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Birmanie: le recensement, risque ou opportunité pour les Rohingyas ?

Birmanie: le recensement, risque ou opportunité pour les Rohingyas ?

Dans les camps de déplacés de l'ouest de la Birmanie, de nombreux Rohingyas, minorité musulmane persécutée, espèrent affirmer leur identité lors d'un recensement à risque fin mars.

Les quelque 800.000 Rohingyas confinés en Etat Rakhine, privés de nationalité par l'ancienne junte militaire et considérés par l'ONU comme une des minorités les plus persécutées au monde, sont soumis à des restrictions de voyage, de travail, d'accès à la santé ou encore au mariage.

Le recensement, inédit depuis 1983, permettra de mettre à jour des informations cruciales sur un pays aux 135 minorités ethniques officielles, dont ne font pas partie les Rohingyas.

Mais des définitions controversés de l'ethnicité et la méfiance envers les autorités risquent de mettre à mal les efforts de paix du régime post-junte, préviennent les observateurs. Et d'exacerber encore les tensions religieuses après plusieurs vagues de violences antimusulmanes.

Ces questions d'identité sont au coeur des divisions en Etat Rakhine, cette région de l'ouest du pays où l'animosité entre bouddhistes de la minorité rakhine et musulmans a dégénéré en affrontements en 2012.

Plus de 200 personnes ont été tuées et 140.000 déplacées, principalement des Rohingyas, apatrides même s'ils assurent vivre depuis des générations en Birmanie.

Des violences ont déjà éclaté dans les camps de déplacés alors que certains Rohingyas s'inquiètent des conséquences du recensement.

Eindarit, 36 ans, voudrait que le plus de Rohingyas possible soient comptés alors il a tenté d'empêcher des "boat people" rohingyas de prendre comme des milliers d'autres la route de l'exil.

Mais ils l'ont "blessé à l'arme blanche, à la tête et aux mains", assure Hla Mint, un des leaders de la communauté rohingya, pendant que le blessé récupère, la mâchoire serrée dans des bandages.

Un incident qui ajoute aux craintes liées au recensement.

"Tout le monde a peur que cela ne provoque une nouvelle vague de violences", prévient Chris Lewa, de l'ONG Arakan Project, qui milite pour les droits des Rohingyas.

"Il pourrait y avoir des affrontements entre Rohingyas et Rakhines, mais aussi au sein des communautés", poursuit-elle.

Certains Rohingyas redoutent que le gouvernement, qui les considère comme des immigrés illégaux du Bangladesh voisin, n'utilise le recensement pour anéantir leurs espoirs de citoyenneté.

Le formulaire n'aura pas de case spécifique pour eux aux côtés des 135 minorités officielles, mais leur laissera la possibilité d'écrire "rohingya" près d'une case "autre".

Si certains sont déçus, d'autres y voient une opportunité pour affirmer leur identité et une avancée par rapport au recensement de 1983 qui les avaient qualifiés de "Bengalis".

"La preuve que nous sommes nés ici, que nous vivons ici, est cruciale pour nous", insiste ainsi Hla Mint.

Mais l'opération "risque d'enflammer les tensions à un moment critique" de la transition démocratique, a mis en garde récemment un rapport du groupe de réflexion International Crisis Group (ICG), plaidant pour que les références à l'ethnicité et à la religion soient abandonnées.

Les premiers résultats devraient en effet être connus d'ici les législatives de 2015, qui pourraient conduire à la victoire de l'opposante Aung San Suu Kyi.

Mais pour l'heure, le gouvernement et le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), qui participe à l'organisation du recensement, ont rejeté toute modification.

Tous les groupes rebelles de minorités ethniques, sauf un, acceptent le recensement, note Janet Jackson, responsable de l'agence onusienne en Birmanie.

Tous les efforts sont faits pour s'assurer que tout le monde soit compté "avec tact et calme", souligne-t-elle, précisant que les questionnaires seraient anonymes.

En Etat Rakhine, l'ONU compte notamment recruter des recenseurs parmi la population musulmane.

Mais à Sittwe, la capitale régionale, les leaders rakhines continuent d'exprimer haut et fort leur hostilité envers les Rohingyas.

"Il n'y a pas d'ethnie rohingya dans le monde, c'est juste un mot. (...) Leur objectif est politique", lance ainsi Shwe Maung, du Parti pour le développement des nationalités rakhines (RNDP).

Le précédent recensement minimiserait la population musulmane (seulement 4% de la population totale), selon l'ICG.

Le nouveau comptage pourrait donner l'impression fallacieuse d'une augmentation récente du nombre de musulmans, a noté le groupe, soulignant qu'en Etat Rakhine, les bouddhistes radicaux pourraient l'interpréter comme la preuve d'une immigration récente des Rohingyas.

Ces derniers sont eux enfermés dans un dilemme entre les dangers de s'affirmer Rohingyas et la perspective de rester apatrides.

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