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Syrie : ce drame que révèle la photo de Yarmouk

Syrie : ce drame que révèle la photo de Yarmouk

Sur la photo, on les voit massés à perte de vue, entre les édifices ravagés par les bombardements. L'horreur de cette image publiée plus tôt cette semaine, c'est que pour une très grande partie de ces gens qui attendent désespérément de l'aide alimentaire, leur tour viendra trop tard, une fois les denrées épuisées.

Un texte de Marie-Ève Bédard, correspondante au Moyen-Orient

Déjà, une centaine d'habitants de Yarmouk sont morts de faim au cours des derniers mois selon des organismes humanitaires.

La scène d'apocalypse a vite fait le tour de la planète par l'entremise des grands médias et des médias sociaux, semant l'émoi et l'indignation comme peu de choses arrivent encore à le faire dans cette guerre qui frise son troisième anniversaire.

Cette photo a été prise par L'Agence de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNWRA) dans le camp palestinien de Yarmouk le 31 janvier dernier. La distribution de denrées alimentaires reprenait dans cette banlieue de Damas, assiégée depuis environ un an, à la suite d'un armistice convenue entre rebelles les armées et le gouvernement.

Une tragédie qui se répète

Une réalité que connaît trop bien Qoussai Zakaria, un Syrien qui se retrouve aujourd'hui au Liban. Attablé à l'ombre sur une terrasse en vogue de Beyrouth, il n'est pas tout à fait à l'aise. Il y a peu, il était lui-même de cette population assiégée à Mo'adamiya, la banlieue voisine de Yarmouk.

La faim ou la soumission. C'est comme ça qu'il décrit le moment où un comité de négociation à l'intérieur du territoire sous le contrôle des rebelles a accepté la houdna, la trêve.

Drapeau contre nourriture

Il raconte les coulisses des négociations sur le terrain. « D'abord, le gouvernement a exigé que nous fassions flotter le drapeau de la Syrie sur l'édifice le plus élevé de Mo'adamiya au lieu du drapeau de la rébellion. Le lendemain, ils ont laissé entrer un peu d'aide, moins d'un repas par personne : 200 grammes de sucre, 100 grammes de riz et un morceau et demi de pain pour chacun. »

Comme dans une dizaine d'autres banlieues de Damas, les pourparlers pour alléger le blocus jusque-là inébranlable se sont déroulés selon un scénario similaire. Après la levée du drapeau, une victoire symbolique pour le régime de Damas, les forces de sécurité ont exigé des rebelles qu'ils remettent leurs armes lourdes : chars, canons, blindés, etc. Ils ont pu garder leurs armes légères, mais ont dû les répertorier.

Le gouvernement a aussi demandé que l'on expulse les étrangers, une référence aux combattants de Jabat Al-Nusra et de L'État islamique en Irak et au Levant (EIIL), ainsi que de certains individus recherchés par le régime.

Une armistice au goût amer

De nombreux témoignages recensés contredisent les quelques images de rebelles armés embrassant les officiers de l'armée du gouvernement syriens dans la foulée des trêves conclues. Ils tendent à démontrer qu'il n'y pas de réconciliation. Au mieux, les armistices sont rendues possibles parce que la population a atteint les limites de sa capacité de résister.

Qoussai Zakaria avait souvent juré qu'il ne concèderait jamais quoi que ce soit au régime syrien. La victoire ou la mort, disait-il au cours de nombreux entretiens alors qu'il était toujours en Syrie.

Mais pour lui, comme pour de nombreux Syriens, la faim s'est avérée une arme plus redoutable que les double barils d'explosifs lancés du haut des airs.

« J'étais menacé de mort par le régime qui s'en prenait aussi à ma famille et mes amis, mais aussi par certaines factions du côté de l'opposition. Je n'ai jamais hésité à critiquer qui que ce soit si je n'étais pas d'accord avec leurs actions, même les gens de l'Armée syrienne libre qui a un problème de leadership », explique le jeune homme.

Il compte néanmoins poursuivre la lutte, d'une autre façon. « Pour moi, c'est une défaite amère. Mais j'ai dû retirer mes lunettes roses et accepter cette défaite pour pouvoir poursuivre mon travail. »

L'illustration de l'impuissance de la communauté internationale

La photo publiée plus tôt cette semaine est vite devenue le symbole de la souffrance incontestable de la population syrienne, un coup de poing à la face de l'impuissance de la communauté internationale à y mettre fin. Malgré les armistices et une résolution adoptée au conseil de sécurité des Nations unies qui contraint toutes les parties à permettre l'accès libre à l'aide humanitaire, les choses changent peu sur terrain. Les tentatives de distribution d'aide alimentaire restent souvent infructueuses.

Plusieurs ont perçu la publication de cette puissante image comme un signe que les agences onusiennes en avaient assez de rester polies tout en demandant l'accès à la population en crise.

Certains ont même avancé que la photo avait été truquée, ce que l'UNRWA dément catégoriquement. Selon son porte-parole, Christopher Guness, l'agence se garde bien de faire de la politique. Il rappelle la neutralité essentielle à sa mission et du même souffle, affirme qu'il est du devoir de l'UNRWA de plaider en faveur de ceux-là mêmes qu'elle a la responsabilité de protéger.

« Nous témoignons de la profonde et tragique souffrance humaine objectivement, sans parti pris. Nous avons appris en première ligne que nous avons plus d'impact en évitant de faire de la politique », soutient-il.

Avant d'ajouter : « Quand une image rend à la fois la vérité, la beauté et l'humanité, [...] elle se transforme d'elle-même. Elle est bien au-delà de la politique. C'est quelque chose d'inestimable, de miraculeux. »

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