Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Génocide rwandais: affrontements au procès de Paris sur des documents désignant l'accusé

Génocide rwandais: affrontements au procès de Paris sur des documents désignant l'accusé

Extrémiste hutu menaçant les opposants ou héros sauvant des Tutsi? Défense et accusation se sont affrontées jeudi autour de documents mettant en cause directement Pascal Simbikangwa, l'ex-officier rwandais jugé dans le tout premier procès en France lié au génocide rwandais de 1994.

Simbikangwa, 54 ans et paraplégique depuis un accident en 1986, est jugé depuis mardi par la cour d'assises de Paris en vertu du principe de "compétence universelle" de la justice française, lui permettant de poursuivre des personnes recherchées pour des faits de crimes contre l'humanité commis à l'étranger.

La justice française a refusé d'extrader cet ancien capitaine hutu vers le Rwanda. Il est jugé pour complicité de génocide et de crimes contre l'humanité, accusé d'avoir incité, organisé et aidé, les massacres qui firent quelque 800.000 morts entre avril et juillet 1994, le rôle de Paris étant critiqué dans cette tragédie.

Première pièce présentée jeudi : une lettre du président du Conseil constitutionnel rwandais, Joseph Kavaruganda, tué au petit matin du 7 avril 1994, aux premières heures du génocide. Le 23 mars, il écrit au président hutu Juvénal Habyarimana, dont l'assassinat sera l'événement déclencheur des massacres, pour se plaindre d'avoir été menacé de mort par le capitaine Simbikangwa.

La lettre, produite lors d'un procès au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), a été transmise parmi 8.000 documents à la justice française dans le cadre de l'instruction sur l'ex-militaire, qui risque la perpétuité pour complicité de génocide.

"C'est impossible", s'indigne l'accusé, se dressant dans son fauteuil roulant. "Il avait sa garde de gendarmes, une garde de la Minuar (force de l'ONU). Et ils n'auraient pas fait de rapport? Impossible, une telle menace ne serait pas passée inaperçue".

Défense et accusation vont ensuite longuement s'affronter sur l'authenticité, et la recevabilité, de la lettre.

Me Alexandra Bourgeot relève que la veuve du magistrat assassiné n'a pas produit la missive lors d'un premier procès au TPIR et que la lettre n'a ni cachet ni signature.

C'était la copie conservée par le magistrat et quel intérêt aurait eu sa veuve à mentionner à tort Simbikangwa dans un procès où il n'était pas partie, réplique l'accusation.

On passe ensuite à un appel de la présidence américaine du 22 avril 1994. La Maison Blanche y exhortait les responsables militaires rwandais à "faire cesser immédiatement les violences", citant Simbikangwa aux côtés du colonel Théoneste Bagosora, directeur de cabinet au ministère de la Défense (condamné à 35 ans de prison par le TPIR) ou du chef d'état-major, le colonel Augustin Bizimungu (condamné à 30 ans au TPIR).

"Comment expliquez-vous que votre nom soit arrivé jusqu'à Washington?", interroge le président de la cour d'assises Olivier Leurent, alors que l'intéressé n'a de cesse de minimiser son importance dans le régime.

"C'est peut-être une extrapolation", commence l'accusé qui explique être tombé, en allant "exfiltrer" une famille tutsi de sa connaissance, "sur deux camions de l'ONU remplis de réfugiés, bloqués par des miliciens. J'ai dû négocier, j'ai dit à ces gars (les miliciens), vous donnez une mauvaise image, j'ai fait l'effort pour ces pauvres gens qui allaient se faire lyncher".

"Et c'est par cette petite action que vous êtes connu de la Maison Blanche?", s'étonne le président.

"Je pense que la Minuar s'est dit, voilà cet homme-là, il a le pouvoir de faire quelque chose, il y a eu des spéculations".

Mais l'accusation produit le récit d'interrogatoire d'un témoin de l'incident. "Des Tutsi réfugiés à l'hôtel des Mille Collines essayaient de rejoindre l'aéroport. Ils ont été arrêtés à une barrière (barrage) de la garde présidentielle. Simbikangwa était responsable de cette barrière. C'est lui qui leur a donné l'ordre de repartir à l'hôtel. Etaient-ils accompagnés de la Minuar? Y a-t-il eu une altercation? Ils avaient trop peur, quand Simbikangwa leur a dit de repartir, ils sont repartis."

Une partie civile enfonce le clou: "La scène se passe en mai, bien après le communiqué de la Maison Blanche."

Dans l'après-midi la cour d'assises a entendu un premier "témoin de contexte" au procès: l'universitaire français André Guichaoua, auteur du livre "Rwanda, de la guerre au génocide", qui se trouvait coincé à "l'hôtel des Mille Collines" à Kigali alors que les massacres commençaient. Très ému, il dit avoir "assisté à des scènes très difficiles".

"Au début, ils ont été le fait quasi-exclusif des militaires de la garde présidentielle et de miliciens qui à mon avis étaient des réservistes", a-t-il raconté.

Dans le quartier de l'hôtel Kiyovu, qui abrite des ambassades, dont celle de France, et où Pascal Simbikangwa est accusé d'avoir opéré, "il s'agissait si j'ose dire des massacres de basse intensité, tout le monde savait qu'il fallait éviter le quartier".

so/at/nou/aub

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.