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Au Pakistan, l'islamisation rampante des universités

Au Pakistan, l'islamisation rampante des universités

Jusque-là, les étudiants semblaient absorbés par leur cours. Mais à l'appel de la prière, ils se précipitent soudain vers la sortie, sous le regard de leur professeur, médusé par ce signe de l'islamisation rampante des universités au Pakistan.

"Ils ne reviendront pas avant au moins 30 minutes et certains d'entre eux ne retourneront tout simplement pas en classe" lâche, dépité, Sajjad Akhtar, maître de conférence en études pakistanaises, en ramassant ses notes éparses.

Dans son université Quaid-e-Azam - "Le grand chef", titre du fondateur du Pakistan moderne Muhammad Ali Jinnah - de la capitale Islamabad, ce scénario se reproduit plusieurs fois par jour au son du muezzin.

Cette université publique, l'une des plus prestigieuses du pays, accorde 15 minutes de pause par cour à ses étudiants pour qu'ils se reposent ou prient.

Mais ils peuvent aussi se lever dès la première syllabe de l'appel à la prière, en dépit de l'avis de certains professeurs qui considèrent cette pause comme une ingérence chaotique dans la vie académique.

Alors que l'islamisation gagne les plus grandes institutions publiques d'enseignement fréquentées par la classe moyenne, l'élite préfère mettre ses enfants dans le privé ou les envoyer étudier à l'étranger.

"A Quaid-e-Azam, il y a quatre mosquées mais aucune librairie", regrette ainsi le physicien nucléaire Pervez Hoodbhoy, l'une des stars académiques de cette institution établie en 1965.

Cette université était considérée comme l'une des plus libérales du Pakistan jusqu'au coup d'État militaire du général Zia ul-Haq de 1977 qui a instillé une version conservatrice de l'islam dans les lois et institutions du pays, en plus de soutenir la formation de combattants destinés au jihad contre les soviétiques dans l'Afghanistan voisin.

Et 25 ans après la mort de Zia, certains disent avoir encore l'impression de vivre sous son joug.

Aujourd'hui, "il n'y a pas de fascination intellectuelle, aucun sentiment de découverte, les filles prennent des notes en silence et il faut les forcer à poser des questions....", déplore M. Hoodbhoy.

A Quaid-e-Azam, la majorité des jeunes femmes portent le "hijab", voile serré laissant voir le visage et considéré comme une importation du Golfe.

Les étudiantes ne portent pas de jean, et celles qui osent se présenter sur le campus sans voile changent de look après deux ou trois mois, constate Hifza Aftab, qui termine sa maîtrise en commerce. "S'il y avait une seule fille +libérale+ ici elle serait connue de tous", dit-elle.

Dans la cafétéria et les salles de classe, les garçons se tiennent d'un côté et les filles de l'autre, même si aucun espace n'est officiellement réservé aux uns et aux autres.

Il n'en a pas toujours été ainsi: il y a 20 ou 25 ans, garçons et filles se mélangeaient et les étudiantes voilées étaient rares à Quaid-e-Azam, se rappelle Jami Ahmed, qui en sortit diplômé en 1991.

Cette islamisation n'est pas confinée à cette seule institution et touche jusqu'au contenu des cours.

L'an dernier, un collège privé de Lahore, capitale de la province du Pendjab (centre), a dû abandonner des cours sur la reproduction humaine après de vives protestations dans la presse de droite criant à "l'obscénité".

"Les étudiants sont de plus en plus émotifs, susceptibles et irrationnels lorsqu'il est question de leur religion", note Hasan Askari, ex-professeur de sciences politiques à l'université du Pendjab.

Et "cette islamisation croissante a tellement affecté la qualité de l'enseignement qu'aujourd'hui, les professeurs ont plus tendance à recourir aux théories du complot (notamment contre le Pakistan ou l'islam, ndlr) qu'à la logique", regrette-t-il.

Le vice-recteur de l'université Quaid-e-Azam, Masoom Yasinzaï, reconnaît que les standards académiques ont décliné à travers le pays ces dernières années mais assure que ce phénomène est national et en rien lié à "la soi-disant islamisation" des universités.

Certains redoutent que cette évolution ne vienne alimenter une radicalisation déjà observée dans le pays à travers la hausse des violences contre les minorités (chiites, ahmadis notamment). Alarmiste, la spécialiste de l'éducation Farzana Bari estime même que son extension au domaine universitaire porte en elle les germes d'une future "crise sociale".

A l'une des mosquées du campus de Quaid-e-Azam, les étudiants sont invités à lire des oeuvres comme "Mettre fin à l'obscénité", livre expliquant comment et pourquoi les "anges déversent du cuivre fondu dans les oreilles de ceux qui écoutent le champ de femmes".

Et l'imam des lieux y prêche devant les étudiants que séismes et inondations sont des châtiments de Dieu pour punir le genre humain de l'homosexualité.

A l'université Urdu de Karachi, le recteur Touseef Ahmed Khan constate bel et bien une "islamisation" des institutions d'enseignement. Et prévient : "on ne peut pas renverser cette tendance en une seule année, cela prendra des décennies".

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