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Histoire d'une corruption ordinaire : le cas Saint-Stanislas-de-Kotska

Histoire d'une corruption ordinaire : le cas Saint-Stanislas-de-Kotska

La firme de génie-conseil Roche a décroché plusieurs contrats pour l'usine de filtration de la petite municipalité de Saint-Stanislas-de-Kostka, au sud de Valleyfield, en profitant de l'amour du sport de son ex-maire, Maurice Vaudrin.

Un texte de François Messier

Cette histoire, racontée à la commission Charbonneau par l'ex-vice-président au développement des affaires de Roche, Gilles Cloutier, illustre à merveille les ressorts d'un système bien huilé visant à faire prospérer la firme, quitte à bafouer les lois en vigueur.

Gilles Cloutier a expliqué que toute l'affaire s'était mise en branle après qu'il eut invité le maire Vaudrin à l'évènement annuel que Roche organisait au stade olympique à l'occasion du match inaugural des Expos de Montréal.

C'est le maire de Valleyfield et préfet de la MRC locale, Denis Lapointe, qui avait plaidé la cause du maire Vaudrin, a dit Gilles Cloutier. Ce dernier était intéressé à rencontrer des légendes du hockey, comme Jean Béliveau et Henri Richard, qui participaient à la soirée de Roche.

Gilles Cloutier commence par refuser, mais cède lorsqu'il comprend « qu'il y a un gros projet qui va sortir dans sa ville ». « On en parle aux réunions de la MRC », lui a dit Denis Lapointe.

À la soirée, le préfet de la MRC présente Maurice Vaudrin à Gilles Cloutier. Tout de suite, deux hauts dirigeants de Roche, Jean Beaudoin et France Michaud, viennent se présenter à M. Vaudrin pour une opération charme. Gilles Cloutier explique que ce plan était prêt depuis 48 heures.

« Jean Beaudoin et France [Michaud] ont parlé avec. « Ne vous inquiétez pas, M. le maire, on va parler au bon ministre et on va s'arranger pour vous sortir la subvention le plus tôt possible. ». Le maire Vaudrin « est sorti de là tout émerveillé de sa soirée », explique M. Cloutier.

Jean Béliveau comme appât, à son insu

Quelques jours plus tard, Gilles Cloutier rencontre le maire Vaudrin à la mairie de Saint-Stanislas-de-Kostka. Ce dernier lui dit qu'il a un petit-fils qui aime le hockey et qui voudrait aller au centre Bell. Gilles Cloutier ne fait ni une ni deux et amène le maire et son petit-fils au hockey.

Sur place, Gilles Cloutier profite de l'accès privilégié qu'il a au salon des anciens membres du Canadien pour amener le maire et son petit-fils rencontrer Jean Béliveau. « J'avais préparé Jean Béliveau quelques jours auparavant », dit Gilles Cloutier.

L'ancien numéro 4 du Canadien remet alors au maire Vaudrin un chandail à son nom, dédicacé. « Le petit gars pleurait, le grand-père pleurait », relate Gilles Cloutier.

La semaine suivante, Gilles Cloutier retourne le voir. « Il parlait rien que du match des Expos et du chandail », dit l'ex-vice-président de Roche. « Il a fait tout de suite une résolution la semaine suivante pour que le mandat soit donné à Roche pour l'usine ».

Roche finit par obtenir trois mandats, dont celui des plans et devis pour l'usine de filtration.

Roche avide d'argent liquide

M. Cloutier explique alors qu'il a été chercher une somme de quelque 30 000 $ auprès de l'entrepreneur qui aura éventuellement le contrat de l'usine, afin de répondre à une demande d'argent de France Michaud.

Selon Gilles Cloutier, elle voulait obtenir 30 000 $ d'un entrepreneur local, soit 20 000 $ destinés à quatre ou cinq arrondissements de Montréal en vue de l'élection de 2005, et un autre 10 000 $ pour la Ville de Boucherville.

« La firme avait toujours besoin d'argent et n'avait pas de comptant », affirme Cloutier.

Gilles Cloutier contacte alors le président d'Excavation Loiselle et Frères de Salaberry-de-Valleyfield, Yves Loiselle, qui était un de ses amis, et lui demande l'argent lors d'une rencontre au Château Vaudreuil. L'entrepreneur hésite, mais finit par accepter.

Gilles Cloutier organise alors une rencontre entre son contact et le chargé de projet dans ce dossier, Eric Bélanger, pour « arranger » la soumission de Loiselle et frères. Lors de cette rencontre de quatre heures, le bordereau préparé par l'entrepreneur est alors réduit de 400 000 $ en jouant sur le coût des matériaux.

L'argent allait lui être remis en extras ou par d'autres moyens, précise Gilles Cloutier.

Entre-temps, Gilles Cloutier envoie une fausse facture pour des honoraires professionnels à Yves Loiselle pour 30 000 $. « Yves m'a fait un chèque la même journée », dit-il. Cloutier l'encaisse et remet l'argent comptant à France Michaud.

Le ministre Fournier mis à contribution

Pour faire progresser le dossier de l'usine, Jean Beaudoin de Roche est allé rencontrer le député libéral qui représentait la municipalité du maire Vaudrin. « Il lui a dit: ''faut sortir la subvention'' », a relaté Gilles Cloutier.

« Il a été voir [l'ex-ministre libéral] Jean Marc Fournier. Et moi j'ai parlé à Jean-Marc Fournier. Pis la subvention est sortie. Peut-être cinq ou six mois après. »

Gilles Cloutier dit que lors de sa rencontre avec Jean-Marc Fournier, il avait fait valoir que la demande de subvention avait été acheminée au gouvernement et qu'il devrait « faire son possible » pour la donner le plus rapidement possible.

M. Cloutier précise en outre que le comité de sélection constitué pour l'appel de qualification auquel a répondu Roche pour le contrat de l'usine d'épuration avait été constitué par le maire Vaudrin afin que Roche obtienne le contrat.

Gilles Cloutier soutient qu'il a lui-même expliqué au maire comment procéder en lui expliquant qu'il voulait une note de 87. Roche a obtenu une note légèrement supérieure et a devancé ses deux concurrents, dont Genivar.

Selon Gilles Cloutier, le contrat de l'usine de filtration a été très profitable, tant pour Roche que pour Loiselle et frères. Sans compter le maire Vaudrin et son petit-fils, émerveillés par leurs idoles.

Fournier dément avoir mal agi

Jean-Marc Fournier a réfuté avec force et vigueur les assertions de M. Cloutier à son sujet.

« Je n'ai rien à me reprocher là-dedans. Ce n'est pas parce que je suis allé donner la main à 200 maires [...] au Stade olympique que je suis redevable de quoi que ce soit. Je ne suis redevable de rien. J'ai assumé mes fonctions », a-t-il plaidé dans un premier temps, au sujet de sa présence à la soirée de Roche au stade.

« Il y avait des dossiers comme celui-là, dont le député péquiste disait que ça faisait 10 ans qu'on attendait le projet. Alors là ce n'est pas vrai qu'un monsieur dit que c'est à cause de lui que c'est arrivé. Il y avait une pression que la population puisse l'avoir ce projet-là », a-t-il conclu sur l'usine d'épuration.

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