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À l'aube des présidentielles, l'Iran broie du noir

À l'aube des présidentielles, l'Iran broie du noir

Un texte de Florent Daudens

Pas de pistaches pour Norouz. Le Nouvel An iranien qui a lieu fin mars, c'est un peu comme Pâques sans chocolat. Triste. Cette année, nombre d'Iraniens ont dû faire l'impasse sur ces noix dont le pays est pourtant le premier producteur mondial, signe de la crise économique qui frappe le pays.

Un reportage de Florent Daudens

Que ce soit dans les venelles du bazar de Téhéran ou les bus poussifs des villes de province, ce n'est pas le nucléaire qui occupe les conversations, mais bien le coût de la vie qui explose. Un ras-le-bol qu'on confie aux Occidentaux de passage, malgré les risques bien réels dans cet État connu pour broyer les dissidents.

Shampoing, eau, essence, logement; tout augmente, peste Parvaneh, jeune trentenaire, autour d'un tord-boyaux maison dissimulé dans une bouteille de soda.

Au Musée d'art contemporain de Téhéran, il faut 30 tickets de 5000 rials pour que le compte soit bon, là où un seul suffisait avant. Au grand désespoir du guichetier qui doit tous les déchirer ensuite à l'entrée. Les galeries sont un assemblage éclectique, pendant que des Picasso, Van Gogh et autres oeuvres accumulées pendant le régime du Shah, peu au goût du régime, dorment dans les coffres. Un homme qui marche, sculpture de Giacometti, semble errer dans le jardin des sculptures, oublié.

Une inflation galopante et une monnaie qui dévisse

Officiellement, l'inflation s'est élevée à 30 % l'an dernier. Les observateurs la chiffre plutôt entre le double et le triple, voire plus.

Une bouteille d'eau minérale valait 1000 rials il y a un an, elle en coûte 5000 aujourd'hui. Dans la capitale, les loyers explosent sous la pression démographique avec une population qui a doublé ces six dernières années, si bien que les familles s'entassent à trois générations sous le même toit.

Sans compter que le rial s'effondre face aux autres devises. Alors qu'un dollar valait 12 000 rials il y a un peu plus d'un an, on peut en obtenir 44 000 aujourd'hui chez les cambistes, malgré la tentative de contrôle des taux du gouvernement. De quoi asphyxier les importateurs.

Les sanctions internationales ont un impact indéniable sur l'économie iranienne, particulièrement l'embargo sur les exportations de pétrole et les transactions bancaires. Les critiques montrent aussi du doigt la politique économique du gouvernement et le fait qu'il ait coupé les subventions sur les produits de base.

Pour autant, la dix-huitième économie du monde n'est pas en ruine. En attestent les rues impeccablement entretenues ou le métro de Téhéran. Dans les wagons neufs, un passager ne croit pas un instant que celui de Montréal puisse mieux marcher.

Mais nombre d'Iraniens se sentent désemparés devant la situation économique et restent sourds aux déclarations de l'ayatollah Khamenei qui place l'an 1392 du calendrier perse sous le signe de « l'épopée politique et économique ». Même chez les baziris, réputés détenir un pouvoir important et plutôt conservateurs, la colère gronde car les affaires sont mauvaises.

La jeunesse au coeur de la tempête

Chez les jeunes, qui représentent la majorité de la population, l'émigration en fait rêver plus d'un, notamment vers les États-Unis, le Canada ou l'Europe. « C'est facile d'émigrer dans votre pays? », se fait-on souvent demander par des jeunes diplômés universitaires sans emploi.

Darya, une jeune mère de famille, a rangé ses ambitions professionnelles au placard pour s'occuper de sa mère et de sa belle-mère. « J'aimerais bien quitter l'Iran, mais étant donné la situation, mon mari préfère rester ici », se désole-t-elle. Du coup, elle remet une dose de sirop sur son faludeh, sorte de glace à base de vermicelles de riz, qui baigne déjà dans le sucre.

Pour la nouvelle année, certains se permettent quand même d'espérer une embellie, avec ou sans pistaches. Shayan, Iranien d'origine né au Québec, a émigré dans ce pays situé entre l'Irak, le Pakistan et l'Afghanistan pour renouer avec ses racines. Le choc fut rude, mais il se console : « L'énergie n'est pas pareille ici », explique-t-il autour d'une ghalian, le nom local de la shisha.

On voudrait lui expliquer la commission Charbonneau, mais la conversation bifurque sur son nez. Il aimerait bien passer sous le bistouri pour plaire aux filles, à l'instar de bien des jeunes qui arborent fièrement leur pansement sur leur os raboté.

D'autres regrettent le temps du Shah, même s'ils ne l'ont pas connu. « Avant, ce pays fonctionnait », lâche Reza, jeune soldat amer qui continue paradoxalement d'apprécier le président Mahmoud Ahmadinejad. On lui souligne que les deux régimes ont torturé leurs opposants; son soupir de défaitisme en dit long. Pour lui, ce sont les religieux qui font sombrer le pays.

Déjouer la censure, sport national

Un avis qu'est loin de partager Sharooz, jeune ado de 16 ans à l'esprit vif et aux opinions politiques bien tranchées. Ses rêves de liberté entrent en collision frontale avec le conservatisme du régime des mollahs et il ne s'en cache pas. Mais ça ne semble pas entamer sa joie profonde, qui redouble devant l'étonnement qu'il provoque en demandant au visiteur son compte Facebook. Encore plus quand il montre ses photos Instagram sur son iPhone. En deux clics, il franchit le mur virtuel qui l'empêche d'accéder aux sites interdits par le pouvoir.

Les censeurs du régime semblent perdre la partie devant les jeunes natifs du numérique qui parviennent à les contourner pour communiquer, malgré le jeu du chat et de la souris qu'ils engagent. « On trouvera toujours un moyen de se connecter », lance Sharooz, bravache.

Et ça ne sert pas qu'à critiquer le système. Dans les cars interurbains, la pop coréenne et américaine se mélange aux classiques iraniens dans les écouteurs des jeunes. Improbable compilation entre Gangnam Style, Rihanna et Kayhan Kalhor.

Des élections présidentielles sous le signe de la peur

Derrière cet interstice de liberté, la famille de Sharooz, comme tant d'autres, a peur à deux mois des élections présidentielles. Elle craint une répétition de la répression brutale de 2009 qui avait fait des dizaines de morts. Aujourd'hui encore, le pouvoir peut mobiliser des centaines de milliers de bassidjis, des miliciens fidèles, ou les Gardiens de la Révolution pour mater toute velléité de révolte dans ce pays de presque 80 millions d'habitants.

« Il faut avancer par petits pas et peut-être qu'on arrivera à laisser un pays libre à nos enfants », laisse tomber son père qui a vu sa carrière brisée à cause de son implication dans des mouvements politiques contestataires.

La majorité de la famille n'ira pas voter aux élections présidentielles du 14 juin prochain, sauf si un candidat leur semble assez solide pour porter leurs espoirs déchus de 2009. Mais ils n'y croient guère, s'attendant plutôt à une mascarade.

Khamenei établit les paramètres

Le Guide suprême, Ali Khamenei, veut un président loyal. Il ne s'en cache pas en évoquant ces « ennemis de l'intérieur » qui tenteront de perturber la campagne électorale, comme le rapportait l'agence de presse Reuters début mars. D'autant plus qu'il doit composer avec une situation extérieure difficile à cause de la guerre en Syrie qui diminue son influence dans la région et qu'il veut les coudées franches dans les négociations sur le nucléaire avec l'Occident, au point mort.

Le Conseil des gardiens de la Constitution doit approuver les candidats qui pourront se présenter à l'élection en mai - ce qui laissera moins d'un mois de campagne. Plusieurs noms circulent chez les conservateurs, certains tenants de la ligne dure, d'autres modérés.

De son côté,le président Mahmoud Ahmadinejad multiplie les gestes de défiance à l'égard de Khamenei. Les tensions sont vives, comme l'ont illustré la détention d'un ex-procureur proche d'Ahmadinejad et les accusations de ce dernier contre le frère du président du Parlement iranien, Ali Larijani, pressenti comme candidat conservateur.

Et ce, alors que le président sortant ne peut pas briguer de troisième mandat consécutif en vertu de la constitution. Il tente de céder la place à son dauphin, Esfandiar Rahim Mashaie, les deux ponctuant leurs discours de « Vive le printemps », ce qui semble le slogan de la candidature encore officieuse du dernier. Pour faire passer son candidat, le président a un argument de poids : il revient à l'État, qu'il dirige, d'organiser le scrutin.

Les réformateurs se cherchent un candidat

Le « mouvement vert » de 2009 peine à se relever de la répression. Les figures de proue de 2009, Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi, sont sous résidence surveillée.

Le régime impose sa chape de plomb jusqu'au cimetière de Téhéran, où l'accès à la tombe de la jeune Neda Agha-Soltan, que le monde entier a vu agoniser sur YouTube lorsqu'elle a reçu une balle dans une manifestation, est souvent interdit par des soldats. La pierre tombale a même été profanée à coups de mitrailleuse.

Plusieurs appellent l'ancien président réformateur Mohammad Khatami à briguer les suffrages. Le principal intéressé n'a pas pris sa décision, mais s'il se présentait, il devrait convaincre qu'il peut faire mieux que ses deux mandats consécutifs qui s'étaient soldés par des espoirs déchus, la majorité de ses projets de loi ayant été rejetés par le veto du Conseil des gardiens de la Constitution. Sans compter le risque de voir une éventuelle victoire niée par le régime, brutalement s'il le faut.

Malgré tout, ils sont nombreux à refuser de se taire d'ici les élections, à l'image de Shayan qui ose l'ironie : « On sait que la politique est bonne pour les citoyens quand ils n'en parlent pas. Ici, on en parle tout le temps ».

* Pour des raisons de sécurité, les noms des personnes citées ont été modifiés.

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