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Milioto nie avoir corrompu Luc Leclerc avec des enveloppes d'argent

Milioto nie avoir corrompu Luc Leclerc avec des enveloppes d'argent

Un texte de François Messier

EN DIRECT - Nicolo Milioto, l'ex-propriétaire de Mivela, nie fermement avoir donné des enveloppes d'argent comptant à Luc Leclerc, un ingénieur de la Ville de Montréal qui a supervisé la surveillance de 17 de ses chantiers.

Il confirme tout juste lui avoir offert divers avantages, à ses yeux mineurs, comme des bouteilles de vin, des repas, des billets pour le tournoi de golf de l'Association Cattolica Eraclea et un coup de pouce pour couler du béton à son domicile.

M. Milioto a cependant défendu ces façons de faire. Faire gracieusement des travaux chez Luc Leclerc n'était rien d'autre qu'un « petit plaisir, une petite faveur », soutenant qu'il est « exagéré » de dire que ces avantages pouvaient « acheter » quelqu'un.

L'homme d'affaires a aussi dit qu'il pouvait inviter Luc Leclerc ou d'autres ingénieurs ayant les mêmes fonctions à manger au restaurant pour faire des décomptes progressifs (des paiements effectués au fur et à mesure que le chantier avance) ou pour finaliser des dossiers.

Il a convenu que Luc Leclerc et lui pouvaient parvenir à une entente lorsqu'un différend sur du mesurage au chantier survenait, et ce, sans que le surveillant de chantier ne soit impliqué. Les deux hommes pouvaient couper la poire en deux, a-t-il expliqué.

Milioto embêté pour la première fois

La procureure Lebel a montré, preuves à l'appui, que Luc Leclerc a appelé Nicolo Milioto à 104 reprises entre mai 2004 et septembre 2009. Elle s'est dite étonnée de la fréquence de ces appels, puisque Milioto avait dit plus tôt en matinée qu'il ne parlait aux ingénieurs de la Ville qu'en cas de « problèmes graves », ce qui n'arrivait pas souvent.

Le témoin s'est défendu en disant que Leclerc pouvait l'appeler pour le prévenir de toutes sortes de situations posant problème sur un chantier donné. « L'ingénieur peut m'appeler pour 1001 raisons », a-t-il plaidé. « C'est normal qu'un ingénieur parle à un entrepreneur ». Il s'est plaint que la procureure Lebel « extrapolait des choses » à partir des appels téléphoniques, et que cela était « inacceptable ».

Nicolo Milioto avait révélé plutôt qu'il s'était constitué une liste comprenant les numéros de téléphone des surveillants de chantier ou des ingénieurs chargés de projets avec lesquels il a fait affaire à la Ville de Montréal. La commission lui a ordonné de la produire, avec l'ensemble du livre dans lequel ces informations sont consignées.

Le témoin a quelque peu vacillé à ce sujet. Il a d'abord dit que la liste était officielle, avant de dire qu'il l'avait constituée. Il a d'abord dit qu'elle contenait les noms de tous les gens en fonction, même ceux qui n'avaient pas travaillé sur ses projets, avant de se rétracter, en prétextant s'être « mal exprimé ».

Lorsqu'on l'a sommé de produire la liste, il a pris soin de noter qu'elle était en Italien et qu'il y avait « beaucoup de choses effacées ». « J'aimerais que vous n'effaciez rien du tout », a rétorqué la commissaire Charbonneau. « Je vous l'ordonne ».

Milioto nie les allégations de financement politique

Précédemment, Nicolo Milioto s'était défendu d'avoir jamais réclamé une « cote » à des entrepreneurs pour faire du financement politique.

Lino Zambito avait affirmé, lors de son témoignage, que les membres du cartel des égouts devaient lui verser un pot-de-vin de 3 %, destiné au parti du maire Tremblay, à compter de 2005-2006.

L'entrepreneur Michel Leclerc, qui faisait de la sous-traitance pour les collusionnaires suivant son témoignage, avait aussi dit avoir versé 3 % de la valeur des contrats obtenus à Nicolo Milioto « pour la politique ».

M. Milioto a aussi démenti avoir fait de la collusion dans l'aménagement des parcs, comme l'a aussi soutenu Michel Leclerc. Ce dernier avait expliqué en novembre qu'un système avait été mis en place pour les contrats dans ce domaine au milieu des années 2000 et que cela avait fonctionné pendant deux ou trois ans.

Franco Cappello d'Excavations Super avait mis l'affaire sur pied lors d'une réunion dans les locaux de Mivela. M. Milioto, avait relaté Michel Leclerc, disait « qu'on devrait essayer de s'organiser comme les entrepreneurs de trottoirs et d'égout, dans le but de partager le travail et d'avoir de meilleurs coûts pour travailler ».

Plus tôt en matinée, la procureure Lebel avait souligné que quatre des cinq meilleures entreprises dans le secteur du pavage et des égouts - TGA (Joey Piazza), Garnier (Guiuseppe Borsellino), Catcan (Paolo Catania, fils de Tony) et Frank Catania et associés (Paolo Catania, fils de Frank) - étaient dirigées par des gens ayant aussi un lien avec le village de Cattolica Eraclea. Son témoignage de mercredi avait fait ressortir que les cinq entreprises à avoir tiré leur épingle du jeu dans le domaines des trottoirs à Montréal étaient elles aussi dirigées par des gens liés à ce même village sicilien.

Depuis lundi, l'ex-président de Mivela Construction se décrit comme un homme intègre, malgré ses relations étroites avec les têtes dirigeantes de la mafia et des entrepreneurs siciliens qui se partageaient les contrats publics de la Ville de Montréal.

L'homme d'affaires, qui a cédé les rênes de sa compagnie à son gendre en janvier 2012, doit notamment être interrogé en début de journée sur les contrats qu'il a décrochés au cours des dernières années dans les arrondissements de Montréal.

Nicolo Milioto n'a pas encore été interrogé non plus sur les allégations lancées à son endroit par le représentant du fournisseur de tuyaux Ipex, Michel Cadotte. Ce dernier a raconté que Milioto lui avait demandé un pot-de-vin 150 000 $, qu'il a refusé de verser, pour récompenser trois employés de la Ville.

Nicolo Milioto n'a pas été interrogé non plus sur les allégations de financement illégal et de menaces de mort de Martin Dumont l'ex-organisateur politique d'Union Montréal et ex-chef de cabinet de Cosmo Maciocia.

Le PDG de Génius Michel Lalonde a aussi soutenu que Nicolo Milioto avait été complice dans un stratagème de faux extras. Mivela, a-t-il dit, pouvait verser 25 % des faux extras que Génius lui avait consentis sur certains contrats. L'argent servait à faire du financement politique.

Michel Lalonde a aussi dit qu'il avait remis 15 000 $ en argent liquide à Nicolo Milioto pour la campagne à la mairie de Joe Magri dans l'arrondissement Rivières-des-Prairies-Pointe-aux-Trembles.

Michel Lalonde a aussi affirmé que Nicolo Milioto a versé 25 000 $ à Vision Montréal en prévision des élections de 2009, à la demande de l'organisateur Michel Petit. M. Milioto « m'a dit, effectivement, qu'il était pour ramasser lui aussi 25 000 $ pour le groupe des entrepreneurs. »

Les trottoirs à Montréal, une affaire toute sicilienne

Mercredi, Nicolo Milioto a formellement démenti avoir formé un cartel des trottoirs avec les entreprises BP Asphalte, Pavages CSF, ATG et TGA pour faire main basse sur les contrats de trottoirs octroyés par la Ville de Montréal entre 1996 et 2011. Il a nié l'existence d'une entente pour se partager les contrats et fermer le marché, avec l'appui de la mafia.

Des données compilées par la commission Charbonneau à partir d'informations fournies par la Ville de Montréal montrent que les cinq entreprises ont bel et bien raflé la grande majorité des appels d'offres publics lancés par la métropole au cours de cette période.

La procureure en chef, Me Sonia Lebel, a noté que les propriétaires de Mivela, BP Asphalte (Joe Borsellino), Pavages CSF (Domenico Cammalleri), ATG (Alex Sciascia) et TGA (Joey Piazza) sont tous directement ou indirectement originaires de Cattolica Eraclea - le village natal de Nicolo Rizzuto père - et qu'ils fréquentaient tous le café Consenza, le repaire du clan Rizzuto.

Nicolo Milioto n'y voit cependant rien qui explique leur succès en affaires. « Je ne vois pas aucun lien. On est d'origine sicilienne, ok. On va au Consenza. D'après moi, on est plus performants. C'est ouvert à tout le monde. [...] On a travaillé fort. [...] On a réussi à vivre avec les trottoirs, à survivre, jusqu'à date. Je n'ai pas d'autres explications à vous donner à part ça ».

Les tableaux présentées par la procureure Lebel démontrent plus précisément que 53 entreprises ont déjà soumissionné pour des contrats de trottoirs à la Ville de Montréal entre 1996 et 2011. Le nombre de soumissionnaires a cependant commencé à diminuer au début des années 2000. Le phénomène s'est accéléré jusqu'à ce que le marché devienne quasiment « désertique » vers 2008, a noté la procureure Lebel.

Lorsque la procureure lui a demandé plus tard pourquoi les cinq mêmes entreprises ont longtemps soumissionné sur tous les contrats de trottoirs de Montréal, Nicolo Milioto a argué que c'était parce qu'ellee voulaient « une chance à toutes les occasions ». Il a formellement démenti avoir fait des soumissions de complaisance.

Il a ajouté que les cinq entreprises étaient des compétiteurs « purs et durs » lorsque venait le temps de soumissionner, même s'ils entretenaient des liens d'amitié. Le fait que les entrepreneurs qui dominent le marché montréalais soient tous des amis issus du même village est un « hasard », a-t-il ajouté.

En après-midi, la procureure Lebel a longuement interrogé le témoin sur ses liens avec Michel Leclerc, propriétaire de la firme Terramex. Ce dernier avait raconté à la commission en novembre que Nicolo Milioto l'avait convaincu en 1998 d'agir en sous-traitant pour les membres d'un cartel des trottoirs.

Nicolo Milioto a nié ces allégations. Il a simplement reconnu que Terramex et son entreprise pouvaient se donner des contrats en sous-traitance, mais sans qu'une entente formelle ait été conclue.

Liste des appels d'offres, secteur des trottoirs, 1996-2011 :