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Ère Obama, prise deux : l'état des lieux des relations canado-américaines

Ère Obama, prise deux : l'état des lieux des relations canado-américaines

Un texte de Florence Meney

Pour le meilleur, le plus souvent, et occasionnellement pour le pire, des liens étroits, uniques même, unissent le Canada à son voisin et partenaire économique, les États-Unis.

Les chefs de l'exécutif se sont succédé dans les deux pays, les relations ont fluctué. Au lendemain de la réélection du président démocrate américain, Barack Obama, le premier ministre Stephen Harper s'est dit satisfait de retrouver son partenaire des quatre dernières années. « Au nom du gouvernement du Canada, je tiens à féliciter le président Barack Obama de sa victoire à l'élection de ce soir, et d'avoir reçu un deuxième mandat de la part de la population américaine », a dit le premier ministre dans un communiqué.

« La relation entre le Canada et les États-Unis est l'une des plus étroites et des plus étendues qui existent dans le monde », a-t-il ajouté.

Bien sûr, il y a le langage de la diplomatie. Mais au-delà des déclarations protocolaires, qu'en est-il des relations entre les deux pays dans cette ère Harper-Obama? Et quelles seront les conséquences de la réélection du président américain sur la bonne marche de dossiers importants qui lient les deux pays?

Quelques arpents de réponse.

En entrevue avec Radio-Canada.ca, Stéphane Roussel, professeur titulaire à l'École nationale d'administration publique (ENAP) et expert en matière de relations entre le Canada et les États-Unis, estime que le deuxième mandat de Barack Obama devrait se placer sous le signe de la continuité et de la bonne entente dans les rapports entre les deux nations. « Comme il n'y a pas de relève de la garde, il ne devrait pas y avoir de grands changements sur la plupart des dossiers communs », précise le chercheur.

Le facteur humain et le facteur économique

Le facteur humain, ce que l'on appelle familièrement la « chimie » entre deux leaders, peut jouer un rôle dans le climat qui règne entre les deux pays. Dans le domaine, on peut évoquer l'antipathie qui opposait Jean Chrétien à George W. Bush. Une telle animosité n'existe pas entre les deux dirigeants actuels. Stephen Harper et Barack Obama ont de fait cultivé une relation plutôt cordiale pendant le premier mandat du président américain. Une évidente sympathie transpire de leurs apparitions communes en public. Un climat cordial peut évidemment aider à aplanir les petites aspérités qui surgissent dans certains dossiers.

Stéphane Roussel explique cependant qu'historiquement, la santé économique des deux pays s'est révélée un élément déterminant dans le climat d'harmonie ou de tension qui a pu régner entre les deux pays, « beaucoup plus que la personnalité du chef de l'exécutif de chaque pays ». Généralement, plus le contexte économique est difficile, plus les tensions sont exacerbées. « On voit ainsi les relations fluctuer au fil de la croissance et du ralentissement ». C'est dans des contextes de ralentissement économique et, a fortiori, de récession que des irritants mineurs en temps de prospérité reviennent en force à l'avant-plan et prennent de l'importance.

Stéphane Roussel confirme que c'est dans ces contextes ardus que la tendance au protectionnisme peut venir troubler les eaux limpides de la collaboration commerciale. Par le passé, les deux pays se sont accusés mutuellement de dresser des barrières inutiles, se trouvant parfois englués dans des batailles de tranchée, que l'on pense au dossier du bois d'oeuvre, aux exportations de boeuf, et à d'autres disputes de nature économique.

Un contexte complexe

La situation économique des États-Unis est actuellement précaire, beaucoup plus en fait que celle du Canada, qui, au sein des nations développées, semble pour le moment garder la tête hors de l'eau. Du côté américain, le pays demeure aux prises avec une dette et un déficit massifs. De plus, au terme de l'élection, la Chambre des représentants est restée dans le giron républicain, les démocrates étant majoritaires au Sénat, une situation qui rend la tâche difficile pour d'éventuelles mesures budgétaires et qui fait craindre à beaucoup le fameux « précipice fiscal (fiscal cliff) ».

Dès la réélection de Barack Obama, le premier ministre canadien a verbalisé son inquiétude sur cette question. « Le premier ministre note les mesures "agressives et ambitieuses" qu'ont prises les États-Unis pour réformer leur système financier, mais s'inquiète de la "grande incertitude" que laisse planer le "mur budgétaire" qui se dressera devant le pays à la fin de l'année », était-il écrit dans un communiqué publié par le bureau de Stephen Harper.

Stéphane Roussel prévoit que dans un tel contexte de ralentissement économique, les exportations du Canada vers les États-Unis vont ralentir, ce qui pourrait souffler sur la braise de petits conflits couvant doucement sous la cendre. Verra-t-on ressurgir chez nos voisins des mesures ultra-protectionnistes, du genre de la clause « Buy American »? À suivre, mais le chercheur se montre assez optimiste.

La question de la sécurité aux frontières : deux poids, une mesure ?

La question des frontières ne devrait pas non plus constituer une pomme de discorde majeure. Stéphane Roussel évalue que sur la sécurité aux frontières, le cycle est à peu près complété. Le périmètre nord-américain vient parachever, dit-il, un processus entamé il y a dix ans. Ce périmètre se base sur une approche intégrée du contrôle des personnes et des marchandises entrant en Amérique du Nord et table sur l'échange d'information entre les autorités des deux pays.

Il reste, dit Stéphane Roussel, des points d'interrogation de ce côté, les États-Unis entendant appliquer la même règle aux deux frontières qui délimitent son territoire, soit la frontière avec le Canada au nord et celle avec le Mexique au sud. Peut-on craindre que la guerre des gangs qui déchire le Mexique puisse percoler jusqu'au Canada? se demande Stéphane Roussel. Si aucun danger imminent ne semble menacer le Canada, la question mérite tout de même d'être posée.

Deux visions du monde

Barack Obama et Stephen Harper n'ont pas la même approche sur plusieurs dossiers d'importance. Les observateurs s'entendent pour dire que Barack Obama est plutôt un président vert, qui a mis en place ou a tenté d'implanter des mesures progressistes de défense de l'environnement.

L'approche de Stephen Harper en matière d'écologie est autre, et ses détracteurs lui reprochent de la subordonner aux impératifs de la grande entreprise. Cependant, le chercheur Stéphane Roussel ne prévoit pas d'escarmouches majeures entre les deux puissances. Les divergences émergent parfois, dit-il, dans le cadre de forums bilatéraux, mais dans l'ensemble, chacun semble respecter l'approche de l'autre.

Reste la question délicate du projet de pipeline Keystone qui reste en suspens et sur laquelle Stéphane Roussel préfère ne pas s'avancer trop, car elle demeure incertaine.

Le projet Keystone vise l'acheminement du pétrole extrait des sables bitumineux vers les États-Unis. Il se heurte à l'opposition des environnementalistes, entre autres. Le président Barack Obama l'a bloqué durant son premier mandat, alors que son adversaire républicain se montrait ouvert à l'initiative. Cependant, l'attitude de la Maison-Blanche dans le dossier pourrait ne pas être immuable. La chef de bureau de Radio-Canada, Emmanuelle Latraverse, indique ainsi dans une entrée récente de son blogue : « L'espoir du gouvernement Harper, c'est que maintenant que l'administration Obama est en quelque sorte libérée des considérations politiques et partisanes inhérentes à une campagne électorale présidentielle, elle jugera le projet au mérite et finira par donner son feu vert. »

Le faucon canadien

Dans d'autres domaines, notamment dans les relations internationales avec d'autres puissances, les divergences idéologiques s'expriment de façon marquée, mais semblent pour l'instant avoir un impact limité sur les liens entre les deux pays.

Récemment, le spécialiste des relations internationales Jocelyn Coulon écrivait qu'« après quatre ans d'un premier mandat Obama et malgré une rude crise économique, les États-Unis restent la première puissance de la planète. Ils inspirent toujours la crainte et ont gagné le respect de nombreux pays qui les avaient boudés, sinon carrément lâchés, pendant la présidence Bush » (source : La Presse).

Stéphane Roussel explique que l'approche du gouvernement Harper, son soutien indéfectible à Israël et tout ce qui en découle s'apparente à celle des faucons de l'ère Bush, ce qui n'est pas le cas du côté du locataire actuel de la Maison-Blanche. « Le Canada est aussi beaucoup plus faucon sur la question de l'Arctique », entre autres.

Mais pour l'heure, ces divergences ne semblent pas porter ombrage à la volonté de collaboration des deux dirigeants qui amorcent de nouvelles années de partenariat sur un ton plutôt positif et optimiste. Il faut dire que dans le cas du président Obama, les difficultés internes de son pays et la division des forces politiques risquent de monopoliser toute son attention, du moins en début de mandat.

Stéphane Roussel

Stéphane Roussel est professeur titulaire à l'École nationale d'administration publique (ENAP). De 2002 à 2012, il était professeur au Département de science politique de l'Université du Québec à Montréal (UQAM), où il a agi à titre de titulaire de la Chaire de recherche du Canada en politique étrangère et de défense canadiennes, de directeur de l'Observatoire de la Politique et de la Sécurité dans l'Arctique (OPSA) et de directeur du Centre d'études des politiques étrangères et de sécurité (CEPES). Il est diplômé en science politique de l'Université de Montréal (Ph. D., 1999).

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