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Armes d'épaule : Québec se réjouit, Ottawa est déçu

Armes d'épaule : Québec se réjouit, Ottawa est déçu

Le jugement de la Cour supérieure qui statue que Québec a le droit d'obtenir les données du registre national d'armes d'épaule suscite des réactions diamétralement opposées à Ottawa et à Québec.

Si le ministre de la Justice du Québec, Jean-Marc Fournier, se « réjouit » de la décision du juge Marc-André Blanchard, le ministre canadien de la Sécurité publique, Vic Toews, ne cache pas qu'il est « déçu ».

« La volonté du Parlement et des Canadiens a été claire. Nous ne voulons pas d'un registre des armes d'épaule qui est inefficace et qui constitue du gaspillage », écrit le ministre, en précisant qu'il étudiera le jugement.

Vic Toews rappelle que le Parti conservateur « va continuer de se battre contre toutes les mesures qui visent les chasseurs qui respectent la loi, les fermiers, et les tireurs sportifs ». Il soutient au passage que le Nouveau Parti démocratique ferait plutôt le contraire.

Le ministre fédéral de l'Industrie, Christian Paradis, abonde dans le même sens. « On est déçus, parce qu'on s'est fait élire sur un mandat d'éliminer ce registre-là, qui est coûteux et inefficace. Et on n'est pas en mesure de compléter notre mandat avec une telle décision », a-t-il déploré.

Selon lui, les données du registre concernant les armes d'épaule ne sont ni fiables, ni précises. « Même la vérificatrice générale avait mis en doute le bien-fondé de ces données-là, donc je pense que c'est approprié de l'éliminer », a ajouté le ministre Paradis.

Le ministre rappelle au passage que le gouvernement n'a éliminé que le registre des armes d'épaule qui, dit-il, « n'a rien à voir au niveau de la sécurité des citoyens ».

Les armes d'épaule représentaient 94 % des armes consignées au registre.

Fournier heureux de la décision

« Je suis heureux que le Québec ait gagné cette bataille », a déclaré le ministre Fournier dans un bref communiqué. « Les données du registre des armes d'épaule et son fonctionnement sont ainsi préservés dans leur dimension québécoise. »

M. Fournier rappelle que la position de Québec dans ce dossier s'appuie également sur une motion de l'Assemblée nationale et un fort consensus au sein de la société québécoise.

Elle est partagée, rappelle-t-il, « par les organisations policières du Québec, par plusieurs organismes qui travaillent en matière de santé et de sécurité publique ainsi que par des familles des victimes des tragédies survenues au Québec ».

Le Parti québécois n'a pas réagi officiellement au jugement. La porte-parole de la première ministre désignée, Pauline Marois, a indiqué dans un premier temps qu'il s'agissait d'une « grande victoire pour le Québec ».

Mme Marois, a-t-elle précisé ultérieurement, ne souhaite cependant pas commenter la décision au moment où l'on s'apprête à célébrer les funérailles de Denis Blanchette.

Le PQ, dit-elle, commentera la décision du juge Blanchard dans un contexte plus neutre.

À Ottawa, le Nouveau Parti démocratique a salué le verdict de la Cour supérieure. « Les experts nous donnaient raison, la police nous donnait raison et c'est maintenant au tour de la Cour supérieure de le faire. Stephen Harper doit comprendre qu'il ne peut pas faire cavalier seul », a déclaré Françoise Boivin, la porte-parole du NPD en matière de justice.

Le NPD, qui pressait les conservateurs de permettre au Québec de protéger les données, estime que la décision rendue par le tribunal démontre bien que le gouvernement Harper a « failli à son devoir d'assurer la sécurité publique ». Le parti d'opposition officielle à Ottawa croit que les conservateurs doivent maintenant faire un choix : respecter la décision de la cour ou gaspiller l'argent des contribuables devant les tribunaux en faisant appel.

Les policiers de Montréal se réjouissent

La Fraternité des policiers et policières de Montréal, qui a toujours maintenu que le registre des armes d'épaules était un outil pertinent, se dit très heureuse de la décision de la Cour supérieure.

Selon le syndicat des policiers montréalais, le registre « n'avait que des avantages » et les mesures visant à affaiblir le contrôle des armes à feu ne sont pas connectées à la réalité sur le terrain. La Fraternité réclamait d'ailleurs le transfert des données du registre par Ottawa et appuyait la démarche judiciaire de Québec.

« Les données du registre sont essentielles à la sécurité du public et toute décision qui participe à freiner l'affaiblissement du contrôle des armes à feu est accueillie avec soulagement par les policiers et les policières de Montréal », a déclaré le président de la fraternité, Yves Francoeur, dans un communiqué.

Une bonne nouvelle pour « Poly se souvient »

La décision de la Cour supérieure constitue une « excellente nouvelle », a pour sa part commenté la porte-parole du groupe « Poly se souvient », Heidi Rathjen.

Dans une entrevue accordée à Radio-Canada, Mme Rathjen s'est particulièrement réjouie que le juge Blanchard ait souligné l'utilité du registre dans une section du jugement intitulée « Les faits ».

« Le juge a écrit que, selon la preuve, le registre a contribué à une baisse de la criminalité, qu'il y a eu moins d'homicides conjugaux par arme à feu, qu'il y a eu baisse des suicides, moins d'homicides par armes d'épaule [...] et que le registre est même important pour combattre le trafic illicite », note-t-elle.

« J'espère que ces arguments vont être repris par les médias, le public, et que les conservateurs vont peut-être atténuer un peu leur affirmation que le registre n'a pas sauvé une seule vie, qui est ridicule », a poursuivi Mme Rathjen.

La porte-parole de « Poly se souvient » s'attend cependant à ce que le gouvernement fédéral porte la cause en appel. « Tout son comportement jusqu'à maintenant montre qu'il ne veut faire aucun compromis, qu'il a un mépris total pour la sécurité publique et qu'il veut simplement plaire au lobby des armes », souligne-t-elle.

Entre-temps, la décision de la Cour supérieure est de bon augure pour une autre demande d'injonction, déposée par un organisme de défense des femmes victimes de violence. Cette demande, qui vise aussi la préservation des données, sera entendue jeudi, à Toronto, selon Mme Rathjen.

Un jugement solide, selon l'avocat Jean-Claude Hébert

Selon l'avocat-criminaliste Jean-Claude Hébert, le gouvernement fédéral a fondé sa défense sur un ancien principe, selon lequel le droit criminel est de sa compétence exclusive. Depuis une dizaine d'années, souligne-t-il, la Cour suprême enseigne plutôt qu'il importe d'harmoniser les compétences des différents paliers de gouvernement.

La décision du juge Blanchard, a-t-il argué sur les ondes du Réseau de l'information, constitue par ailleurs « un argumentaire fondé sur des précédents solides » et il ne serait pas étonnant qu'il tienne la route devant les tribunaux supérieurs en cas d'appel.

« J'ai confiance qu'au niveau de la Cour d'appel, ça va passer le test », a-t-il déclaré, avant d'ajouter : « Rappelons-nous qu'il y a un certain temps, la Cour suprême était favorable au registre des armes à feu, avait validé la mise sur pied de ce registre-là. Il serait étonnant qu'(elle) ait changé d'idée. »

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