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Balkanisation du Canada: les provinces sont-elles des boucs émissaires?

La multiplicité des interventions gouvernementales, ou leur omniprésence, favoriseraient donc le démantèlement du marché commun à l'intérieur d'une fédération. Ainsi, on assisterait depuis plusieurs décennies à une balkanisation de l'économie canadienne.
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L'énoncé d'une même idée, ici le rôle balkanisateur du gouvernement fédéral, peut provoquer des réactions opposées. Ce fut mon expérience en 1981 lors de deux événements, l'un lors d'une intervention dans le cadre d'un colloque universitaire sur le fédéralisme et l'union économique canadienne et l'autre au moment de la discussion d'un travail sur l'harmonisation fiscale qui avait été commandité par l'ancien Conseil économique du Canada. Nous y reviendrons à la dernière section de ce texte portant sur la balkanisation de l'économie canadienne.

La protection du marché commun national

Depuis plus de deux cents ans - surtout si l'on se réfère aux deux livres importants publiés en 1776 par l'abbé Étienne Bonnot de Condillac et Adam Smith - les économistes enseignent les vertus du libre-échange comme source de bien-être. Il permet un marché plus étendu, de même qu'une diminution des coûts grâce à une meilleure division du travail et à un environnement concurrentiel accru.

Ceci est encore plus important pour une petite région. Elle a en effet davantage intérêt à se spécialiser. Même à court terme, elle n'a sur le marché international aucun pouvoir monopolistique. De plus, le protectionnisme exercé par d'autres juridictions ne justifie pas le recours à des mesures protectionnistes, parce que le libre-échange, même unilatéral, accroît le revenu total. Si un pays subventionne une activité, le Canada n'a pas à l'imiter, mais plutôt à profiter de la générosité de ce pays. C'est un comportement similaire que doit adopter un individu.

Toutes les constitutions des fédérations interdisent aux gouvernements régionaux d'établir des barrières tarifaires aux produits importés d'autres pays ou d'autres régions du même pays. Le commerce international et interrégional est donc de la compétence exclusive du gouvernement central. Ce dernier ne peut imposer des barrières tarifaires qu'aux produits importés. Ainsi, les constitutions fédératives visent la création d'un marché commun sur le territoire interne, c'est-à-dire un libre-échange des biens et services.

Toutefois, les barrières tarifaires ne sont qu'une des nombreuses formes d'entraves à l'échange, une forme dont l'importance relative décroît en raison de différentes négociations. Aujourd'hui, le protectionnisme prend davantage la forme de barrières non tarifaires : notamment le contingentement de différents produits, les subventions aux producteurs autochtones, les mesures d'achat préférentiel, les nationalisations et, enfin, la réglementation de différents biens et services.

Le sens de la notion de balkanisation

La multiplicité des interventions gouvernementales, ou leur omniprésence, favoriseraient donc le démantèlement du marché commun à l'intérieur d'une fédération. Ainsi, on assisterait depuis plusieurs décennies à une balkanisation de l'économie canadienne.

Il est nécessaire ici de donner un sens valable et rigoureux à la notion de balkanisation, qui semble synonyme de protectionnisme. C'est le phénomène par lequel l'intervention gouvernementale dissocie le prix des biens et services régionaux des coûts de production. La balkanisation est donc la dimension régionale de l'inefficacité.

Ajoutons que l'effet balkanisateur est tout aussi présent lorsque ce sont les prix des biens et des services offerts par le secteur public qui sont faussés. En modifiant les prix relatifs régionaux, l'intervention publique se trouve à conférer des bénéfices variables aux gens des régions et aussi à leur imposer des coûts variables. Cet effet différentiel engendre la balkanisation.

À titre d'exemple, signalons que l'ancienne aide de plusieurs milliards de dollars du gouvernement fédéral à l'industrie nucléaire a considérablement profité à l'Ontario. Cette aide fut une source de balkanisation de l'économie canadienne; elle a faussé les prix relatifs ou régionaux sur le territoire. L'avantage du Québec sur l'Ontario en matière d'électricité a été artificiellement diminué.

Selon le sens donné au concept, la balkanisation de l'économie canadienne n'est point la seule conséquence des politiques protectionnistes provinciales : elle est aussi provoquée par les multiples programmes du gouvernement central qui faussent les prix relatifs régionaux. Il est loin d'être farfelu d'avancer l'hypothèse que le gouvernement central a un effet balkanisateur plus important que celui des autres ordres de gouvernement : son pouvoir discrétionnaire serait plus élevé que le leur, puisqu'il est moins soumis à la concurrence qu'ils ne le sont.

L'harmonisation de la taxation

Du point de vue analytique, la question de l'harmonisation de la taxation s'apparente à la recherche d'un marché commun. Elle vise à permettre aux différentes ressources de se localiser et d'être exploitées là où elles sont les plus productives. La taxation des gouvernements provinciaux peut entraver la poursuite de l'efficacité en faussant la localisation optimale des activités sur le territoire. La taxation n'est alors pas neutre.

Une harmonisation qui serait ici imposée par le gouvernement central serait une source de monopolisation qui accroîtrait le pouvoir discrétionnaire du secteur public sur le citoyen en facilitant la perception des taxes. Elle irait à l'encontre de l'efficacité économique, qui demande que l'on ne camoufle pas le caractère onéreux de la taxation.

D'un autre côté, l'harmonisation peut tout simplement être le résultat spontané de la volonté des gouvernements de minimiser les coûts d'efficacité de leurs taxes. On obtiendrait de la sorte le degré optimal d'harmonisation. Cela est illustré par l'exemple des pays fédéralistes où les gouvernements inférieurs évitent les trop grandes différenciations des taxes imposées aux entreprises, de peur de les faire fuir.

Ainsi, l'harmonisation est bonne ou mauvaise, selon qu'elle est libre et spontanée, ou qu'elle est imposée. Dans le premier cas, elle est le produit de la concurrence et, dans le second, elle émane d'un pouvoir monopolistique, source de contraintes pour le citoyen.

Réactions au rôle balkanisateur du fédéral

Quelles furent les réactions à ces idées qui demeurent encore aujourd'hui peu partagées par les économistes? Lors du colloque, ma brève intervention sur le rôle balkanisateur du gouvernement fédéral provoqua un effet de surprise. Les idées exprimées eurent toutefois un impact : les directeurs de l'ouvrage qui en est résulté écrivent au chapitre synthèse :

« De fait, il est difficile de prédire que les gouvernements centraux ou unitaires seront moins enclins à fausser les flux commerciaux internes que les niveaux inférieurs de gouvernement. L'évidence présentée dans ce livre suggère l'opposé ». (M.J. Trebilcock et al. 1983. Federalism and the Canadian Economic Union. Toronto : University of Toronto Press, p. 558.)

La réaction à l'étude commanditée par le Conseil économique du Canada fut à l'opposé : la discussion du texte engendra une opposition unanime à l'exception d'un professeur de l'Université de Toronto qui exprima son intérêt à ce moment-là et plus tard pour son contenu. Le Conseil ne publia pas l'étude dans sa collection Document de travail. [L'étude fut publiée par la revue L'Actualité économique (no 4, 1982)].

Cette réaction opposée suit l'ordre des choses : le milieu universitaire demeure plus ouvert aux idées minoritaires que les organismes gouvernementaux.

Ce billet a aussi été publié sur Libres Échanges, le blogue des économistes québécois.

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