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Gerry Sklavounos: héritage d'une culture sexiste

Grâce à ses excuses artificielles, Sklavounos nous a offert hier une autre illustration flagrante des raisons pour lesquelles être féministe ne pourrait qu'être plus actuel.
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Être féministe en 1920, c'est réclamer le droit de vote pour les femmes. En 1950, c'est se battre pour demeurer au travail, pour obtenir les mêmes droits et les mêmes opportunités que les hommes. En 1970, c'est réclamer le droit à l'avortement, l'ouverture de garderies, des congés de maternité payés, l'équité salariale. En 2017, on ne sait plus trop. Plusieurs pensent que nous avons atteint l'égalité entre les hommes et les femmes. Que le féminisme, c'est dépassé.

Grâce à ses excuses artificielles, Sklavounos nous a offert hier une autre illustration flagrante des raisons pour lesquelles être féministe ne pourrait qu'être plus actuel. Une société dans laquelle un député accusé par plusieurs de ses collègues d'inconvenances sexuelles peut sérieusement soutenir qu'il a pu, bien malgré lui, offenser par sa personnalité « volubile » ou son jeu de « petit charmeur » afin de réintégrer l'Assemblée nationale ne peut être une société égalitaire.

Une lutte inachevée

En 2017, on ne sait plus trop contre quoi lutter, parce que les inégalités qui persistent sont insidieuses, sournoises; elles sont informelles, subtiles, presque imperceptibles. Elles sont si bien camouflées dans nos habitudes qu'elles ne nous paraissent même pas problématiques. Elles prennent la forme du commentaire lancé par-ci, de la petite main qui passe par-là, de la coupe budgétaire adoptée comme ci, ou d'un jugement rendu comme ça. Individuellement, chacune de ces microagressions semble anodine, inoffensive. Or, combinées, elles ont l'effet d'un frein qui retient notre société en arrière.

Ces inégalités, elles sont enracinées dans des comportements qui nous sont enseignés dès l'enfance. Les justifications de Sklavounos ne pourraient mieux représenter la dynamique sexiste qui continue de sous-tendre les relations entre les hommes et les femmes. Un compliment déplacé : tentative d'être charmeur. Des blagues à caractère sexuel sexistes : une tentative de détendre l'atmosphère. Conclusion qui en découle : les filles qui s'en plaignent ont tendance à exagérer.

Une question d'éducation

Notre société apprend très tôt au jeune garçon que l'homme doit être fort. Il doit être courageux, agile, actif. Il rêve de chevaliers et de conquêtes. Et je dis bien notre société, parce que même si tes parents font un effort conscient pour combattre ces leçons, tes camarades de classe se chargeront du rattrapage. Dès la préadolescence, le jeune garçon apprend à trouver le corps de la femme sexy, à objectiver ses fesses, ses seins. Il est constamment exposé à ce discours : dans les vestiaires de hockey, dans les jokes des mononcles, dans les soupers de famille, dans les films et dans les chansons. Les besoins sexuels du garçon sont normalisés. Nul parent ne sera surpris de trouver son préado en train de googler des films pornos. Parce qu'on nous apprend que les garçons ont un plus grand appétit sexuel que les femmes, une question d'hormones nous dit-on.

La jeune fille, quant à elle, apprend à apprécier les comédies romantiques, à espérer son prince charmant, à l'attendre. Elle apprend que jouer dans les bois, courir vite, ou être plus forte qu'un garçon la rend moins désirable. Qu'avoir les jambes couvertes de bleus parce qu'elle a passé l'après-midi à jouer à la patinoire n'est pas esthétique. Le désir sexuel ? Chez une petite fille ? Inexistant, pas vrai? Une jeune fille n'apprend pas que c'est normal, que c'est permis, de se masturber. Elle n'apprend pas à désirer le corps d'un homme. Du moins, pas de la même façon. Elle peut rêver du beau Justin Bieber, d'amour, mais du corps d'un homme, le désirer, de manière sexuelle, jamais.

On arrive donc à l'âge de l'adolescence. Forts de ces expériences, les garçons et les filles interagissent. Ils vivent leurs premières relations sexuelles. Le garçon doit perdre sa virginité au plus vite. La fille doit attendre l'arrivée du « bon gars ». Le garçon doit cumuler les conquêtes. La fille doit se montrer difficile à avoir. Le garçon doit faire les premiers pas, convaincre la fille de lui offrir sa pureté jalousement conservée. Arrive l'âge adulte. Le garçon paie le restaurant, il paie les verres au bar. Une main qui effleure une paire de fesses au passage. Oups. Une tentative d'embrasser la fille à qui on a payé un verre. Justifiée. Une fille qui a l'audace d'embrasser un gars, mais de ne pas vouloir rentrer avec lui. Une agace.

Au lit maintenant, comment tout ça se traduit? Le garçon est à l'aise avec sa sexualité. Il assume ses désirs. Il a toujours été habitué à se battre pour obtenir ce qu'il veut, à conquérir. Il doit faire le nécessaire pour assouvir ses besoins sexuels. Une question d'hormones, vous vous souvenez? Et bien, au lit, il fera la même chose. Alors une fille qui dit non, ça veut dire : oui, s'il travaille assez fort. La fille ne sait juste pas qu'elle en a vraiment envie, pas vrai? Avec un petit peu plus de persuasion, la fille va changer d'idée. Et la fille, dans bien des cas, va effectivement finir par jouer le jeu. Est-ce qu'elle en avait envie? Probablement pas. Est-ce que son non initial voulait dire non? Tout à fait. Est-ce qu'elle va se rappeler de cet incident comme une agression sexuelle? Surement pas. Elle assume, bien souvent, que finalement, elle a joué le jeu. Est-ce que cette situation est problématique? Absolument.

Culture du viol

Nous avons là les conditions parfaites pour permettre à la culture du viol de perdurer, de fleurir même. Un soir, où un garçon ira un peu plus loin, où il sera un peu plus brusque, un peu plus saoul; ce soir-là, la fille ne l'oubliera jamais. Est-ce que cet incident sera considéré comme une agression sexuelle par nos tribunaux? Peut-être pas. Pourtant, en tant que société, pouvons-nous nous mettre d'accord pour affirmer que de telles situations méritent notre désapprobation?

Les tribunaux de droit criminel obéissent à des règles particulières de preuve qui mène parfois à des résultats décalés de la vérité. Ces règles ont été établies dans l'objectif de s'assurer qu'aucun innocent ne soit condamné à l'emprisonnement. D'où la provenance de la présomption d'innocence et du fardeau de preuve hors de tout doute raisonnable. D'où la provenance des strictes règles qui permettent d'exclure du procès les éléments de preuve et les témoignages qui ne présentent pas des garanties de fiabilité suffisantes aux yeux des juristes. D'où la création du critère de la mens rea qui permet d'assurer que nul ne sera condamné s'il n'avait pas personnellement et subjectivement l'intention de commettre le crime dont il est accusé. L'objectif des Tribunaux est de déterminer si, sur la base de la preuve, à une date bien précise, à une heure bien précise, l'accusé a commis un geste bien précis qui mérite une condamnation criminelle. Le système juridique n'a pas le monopole de la vérité, et n'a pas la prétention de l'avoir, parce qu'il n'a jamais eu pour objectif de faire l'éclairage sur tous les faits.

Est-ce cela signifie qu'automatiquement Gerry doit être condamné comme un agresseur sexuel? Pas du tout.

Est-ce qu'Alice Paquet a menti? Je ne le crois pas. Une fille n'a rien à gagner à porter plainte. Au contraire, elle a tout à perdre à voir son passé et sa vie personnelle scrutés dans les moindres détails, à être intimidée sur les réseaux sociaux, à être connue comme une victime d'agression sexuelle. Est-ce cela signifie qu'automatiquement Gerry doit être condamné comme un agresseur sexuel? Pas du tout. Le fait de croire la victime et le fait de juger que l'accusé a commis un acte criminel ne sont pas en direct corrélation. Au sens juridique, le juge peut effectivement conclure qu'une agression sexuelle a eu lieu en se basant sur la perspective de la victime, au stade de l'actus reus (action), et de tout même disculpé l'accusé, en raison par exemple de la croyance sincère de l'accusé que la victime était consentante, au stade de la mens rea (intention).

Le fait est que Sklavounos a probablement commis des gestes envers Alice qui sont sexuellement déplacés, qui ont franchi cette ligne dont nous avons parlé plus haut. Dans cette dynamique, le bagage normatif qui nous a été inculqué fait qu'il est même possible qu'il ne s'en soit pas rendu compte, qu'il considère que cet incident était banal. Comme ses blagues déplacées. Ces gestes ne satisfont peut-être pas les stricts critères de la définition juridique, mais ils rencontrent certainement ceux que nous devrions nous donner comme société pour évaluer ces comportements. D'un point de vue sociétal, d'autres objectifs que la présomption d'innocence doit guider notre interprétation des faits. Nous pouvons activement décider que rendre notre société plus sécuritaire et égalitaire est une priorité, et prendre les mesures pour atteindre cet objectif. Le contexte est plus large. Contrairement au juge, nous pouvons prendre tous les faits en considération. Nous pouvons considérer la position supérieure d'un député, ses transgressions répétées, ses commentaires déplacés.

Alice s'est sentie agressée. Elle n'est pas seule. D'autres stagiaires et collègues de ce député ont été placés dans des situations inconfortables en raison des gestes déplacés de cet homme en position de pouvoir. Ça, c'est la vérité. Ces petits gestes, qu'il a posés, jour après jour, ne sont pas criminels, mais ils sont problématiques. Il est de notre devoir, en tant que société, de les condamner. Il est de notre devoir d'écouter ces femmes qui nous racontent leur expérience, de leur faire sentir qu'elles ont notre soutien. Notre tâche à nous, c'est de s'assurer que ces incidents ne se reproduisent plus, d'offrir aux femmes un environnement dans lequel elles se sentent en sécurité. Dénonçons les petits gestes. Faisons taire les petits commentaires. Remettons à sa place le boss à la main baladeuse. Imposons les conséquences qu'il est en notre pouvoir d'appliquer. Chacun de nous a le pouvoir de changer son propre comportement et de faire changer celui des gens qui nous entourent.

Être féministe en 2017

Nous avons tous été éduqués dans la même société. Prenons conscience collectivement des valeurs implicites que nous véhiculons, celles qui perpétuent les préceptes arriérés du patriarcat. En 2017, être féministe, c'est ça. C'est lutter contre un problème sans visage, pour des enjeux sans nom. Être féministe, ça peut prendre des milliers de formes, parce qu'avant tout, le féminisme c'est se battre pour que chaque femme se sente forte, digne, autonome et capable. Être féministe, c'est actuel, et c'est à la portée de tous, hommes comme femmes, parents et enseignants, amis ou collègues.

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Mai 2017

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