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L'euthanasie est un meurtre

Dans mon mémoire de maîtrise en droit de la santé, je mentionnais que l'euthanasie était punissable sous le chef d'accusation de meurtre. Dans l'état actuel du droit, elle l'est toujours.
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Certaines personnes sont d'avis que «l'euthanasie n'est pas un meurtre».

J'estime, au contraire, que l'euthanasie est un meurtre dans l'état actuel du droit. Dans mon mémoire de maîtrise en droit de la santé de l'Université de Sherbrooke, je mentionnais que l'euthanasie est punissable sous le chef d'accusation de meurtre.

Source : Éric Folot, Étude comparative France-Québec sur les décisions de fin de vie : le droit sous le regard de l'éthique, Collection Minerve, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2012 aux pp.82-83.

Considérant l'importance du sujet pour la protection du public, qui doit au nom de la sécurité juridique pouvoir savoir ce qui constitue une infraction criminelle afin de régler sa conduite en conséquence (d'autant qu'en vertu de l'article 19 du Code criminel, « nul n'est censé ignorer la loi » : R. c. McIntosh, [1995] 1 RCS 686 au para.38), j'estime qu'il est de mon devoir comme officier de justice (article 2 de la Loi sur le Barreau) de soutenir le respect de la loi et d'informer adéquatement la population de l'état actuel du droit concernant l'euthanasie.

Afin d'étayer ma position, 1) je procéderai méthodiquement en suivant la hiérarchie des sources du droit (Loi-jurisprudence-doctrine) en commençant avec la loi qui est la première et la principale source du droit criminel et 2) je démontrerai ensuite que l'absence de poursuite ou de condamnation pour meurtre ne permet pas logiquement et juridiquement de conclure que l'euthanasie n'est pas un meurtre en droit.

Les sources du droit

Loi

Le Code criminel n'est pas une loi comme les autres. En plus d'être une loi d'ordre public de direction, il constitue en soi un « code des valeurs fondamentales de notre société ». Par conséquent, « la conduite du contrevenant doit être punie parce qu'elle a porté atteinte au code des valeurs fondamentales de notre société qui sont constatées dans notre droit pénal substantiel ».

L'article 229 du Code criminel définit l'infraction de meurtre ainsi :

« L'homicide coupable est un meurtre dans l'un ou l'autre des cas suivants :

a) la personne qui cause la mort d'un être humain :

(i) ou bien a l'intention de causer sa mort (...) ».

Or l'euthanasie se définit, selon le Barreau du Québec (2010), comme « un acte qui consiste à provoquer intentionnellement la mort d'autrui pour mettre fin à ses souffrances ». Cette définition de l'euthanasie satisfait aux deux éléments de l'infraction de meurtre prévue à l'article 229 du Code criminel à savoir une personne qui cause la mort d'un être humain (actus reus) avec l'intention de causer sa mort (mens rea). Les mobiles ayant incité à poser le geste (par exemple la compassion pour les douleurs ou souffrances de la personne), aussi louables soient-ils, ne suppriment pas l'intention et ne peuvent servir à s'exonérer de sa responsabilité criminelle.

Même l'euthanasie volontaire (avec le consentement du patient apte) est un meurtre. En effet, le consentement de la personne euthanasiée est sans incidence sur la qualification criminelle de l'acte et sur la responsabilité criminelle de l'auteur. L'article 14 du Code criminel dispose :

«Nul n'a le droit de consentir à ce que la mort lui soit infligée, et un tel consentement n'atteint pas la responsabilité pénale d'une personne par qui la mort peut être infligée à celui qui a donné ce consentement.»

Dans l'arrêt R c. Jobidon (1991), la Cour suprême du Canada affirme que « l'article 14 exclut d'une manière absolue le consentement à la mort, et ce, dans tous les cas ». Elle ajoute : « l'autonomie n'est pas la seule valeur que notre droit cherche à protéger ».

Jurisprudence

En octobre 1993, Robert Latimer tue sa fille Tracy, atteinte de paralysie cérébrale grave, par intoxication au monoxyde de carbone pour mettre fin à ses souffrances. En effet, aux dires de la Cour suprême, celle-ci « souffre énormément, et sa douleur ne peut pas être soulagée par les médicaments ». L'acte consistait à provoquer intentionnellement la mort de sa fille pour mettre fin à ses souffrances ce qui correspond parfaitement à la définition d'euthanasie susmentionnée.

M. Latimer fut déclaré coupable de meurtre au deuxième degré en première instance et la Cour suprême du Canada a confirmé cette déclaration de culpabilité. La Cour précise que « les plus graves conséquences possible ont découlé d'un acte dont l'intentionnalité est la plus grave et la plus moralement coupable ». La Cour envoie également un message clair et fort à toute personne désirant commettre une euthanasie : « enlever la vie d'une autre personne est le crime le plus grave en droit criminel ».

Doctrine

En 1982, la Commission de réforme du droit du Canada affirmait :

« Le droit canadien, comme d'ailleurs la plupart des autres systèmes juridiques, prohibe donc l'euthanasie active ou positive, la considérant comme un meurtre pur et simple » (nos soulignés).

En 1995, Me Jean-Louis Baudouin, ancien juge de la Cour d'appel du Québec, affirmait :

« Jusqu'ici le législateur canadien prohibe l'euthanasie et la traite comme un meurtre au premier degré puisqu'il y a mort, intention de causer la mort et préméditation » (nos soulignés).

Voir également le Comité sénatorial spécial sur l'euthanasie et l'aide au suicide (1995), Margaret Somerville (2001), Jocelyn Grant Downie (2004), Jean-Claude Hébert (2006), Pierre Deschamps (2006), Patrice Garant (2009), Danielle Chalifoux (1998 et 2010), le Barreau du Québec (2010), la Commission de l'éthique, de la science et de la technologie (2010), le Comité national d'éthique sur le vieillissement et les changements démographiques (2010) et le Groupe d'experts de la Société royale du Canada (2011).

L'absence de poursuite ou de condamnation pour meurtre ne permet pas logiquement et juridiquement de conclure que l'euthanasie n'est pas un meurtre en droit

Il faut distinguer entre les prescriptions de la loi (le droit ou de jure) de son application ou de son inapplication dans les faits par les tribunaux (les faits ou de facto). Jocelyn Grant Downie affirme avec raison :

«In theory, euthanasia constitutes first or second degree murder. In practice, however, it is almost always dealt with as administering a noxious thing or manslaughter. The Criminal Code is being tempered by the exercise of prosecutorial discretion. Euthanasia is de jure murder but de facto a considerably less serious crime.»

Plusieurs raisons peuvent expliquer l'écart entre les prescriptions de la loi et son application : l'absence de poursuite, le manque de preuves, l'accusé peut plaider coupable à des accusations réduites (par exemple au chef d'accusation reprochant d'avoir administrer une substance délétère). De même, un jury peut refuser d'appliquer la loi (voir R. c. Morgentaler aux paras.59 et 61 et R. c. Latimer aux paras.57-58,68). Cependant, bien que l'annulation de l'effet de la loi par le jury soit possible, elle est, selon la Cour suprême, contraire ou « antinomique au droit ».

Selon le Barreau du Québec et le Comité de juristes experts, l'absence dans les faits de condamnation pour meurtre ne signifie pas que l'euthanasie n'est pas en droit un meurtre et n'exclut donc pas la possibilité de futures condamnations pour meurtre :

« En général, les rares cas où les médecins ont été poursuivis, soit pour avoir pratiqué l'euthanasie, soit pour avoir aidé leur patient à se suicider, révèlent une attitude extrêmement favorable des jurys à leur égard. Par contre, le fait que le processus judiciaire a, jusqu'à ce jour, été très favorable aux médecins ne signifie pas pour autant qu'un médecin ne puisse plus faire l'objet de poursuite criminelle pour meurtre ou aide au suicide en cas de décès de son patient. En effet, il existe tout de même des cas où les règles du droit criminel ont été appliquées de façon plus rigoureuse » (nos soulignés).

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