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Ce que votre rapport à la nourriture dit de votre confiance en vous

Au final, ces comportements autour de la nourriture parlent d'une seule chose : la confiance en soi et son corollaire, la capacité à s'ouvrir à l'autre.
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Pour Jacky Durand, journaliste à Libération et auteur culinaire, "la bectance a ceci de magnifique qu'elle conjugue l'abnégation et la générosité". Bien entendu, nous sommes tous d'accord. Ce qui nous plaît dans la nourriture, c'est le partage et la convivialité, mitonner des petits plats pour les gens qu'on aime, dans la mesure où les recettes ne sont jamais aussi savoureuses que lorsqu'elles sont partagées et dégustées à plusieurs. Mais est-ce bien toujours le cas ?

Quand la nourriture ravive nos instincts archaïques

Evidemment, personne ne conteste que la nourriture parle de notre part sociable et fait écho à des notions de générosité, de partage et de convivialité, a fortiori dans un pays où le repas a été érigé comme patrimoine immatériel de l'humanité. Manger comme l'autre est d'ailleurs signe de l'acceptation et de la solidarité qu'on veut lui témoigner, de notre volonté de nous rapprocher de lui, ce que le sociologue Jean-Claude Kaufmann appelle "la parenté par la bouillie". Mais soyons honnêtes, la nourriture renvoie aussi à ce qu'il y a de plus archaïque en nous et peut réveiller notre égoïsme et notre côté "chacun pour soi". Il arrive que la nourriture vienne titiller notre instinct animal (ce que nous étions avant la socialisation et les bonnes manières) et questionne le rapport de force que nous entretenons avec l'autre. La nourriture peut nous conduire à nous recroqueviller sur ce que nous avons, comme un Picsou sur son or, et à le défendre bec et ongles. Bien sûr, quand nous nous les avouons, nous ne sommes pas fiers de ces petites mesquineries. Bercés par l'encouragement à partager (nos jouets, nos bonbons, nos amis...) lorsque nous étions gamins, nous ne sommes pas très à l'aise avec cette poussée d'égoïsme. Pourtant, à bien nous regarder, sans fard et sans reproche, nous sommes beaucoup (pour ne pas dire tous ?) à lorgner sur la plus belle part du gâteau au chocolat au dessert (il existe même une expression : "vouloir sa part du gâteau"). Voire à nous sentir lésé, déçu, agacé ou ulcéré si nous estimons ne pas avoir été servis correctement, le correctement en question voulant dire « autant que le voisin » dans bien des cas.... voire encore mieux si possible!

La raison en est simple (voire simpliste) : la nourriture est intimement liée à notre instinct de survie. Se nourrir fait partie des automatismes, des habitudes archaïques que nous avons mises en place depuis des millénaires en tant qu'être humain pour la conservation de l'individu. C'est un savoir-faire inné, une sorte de mémoire héréditaire indispensable à notre vie. Rien d'étonnant dès lors à ce que nous soyons parfois rattrapés par cette pulsion et que nous revenions à cet automatisme archaïque alors même que notre intelligence et notre socialisation se sont largement développées depuis. Alors même aussi qu'il n'y a souvent aucun enjeu de survie à défendre. Evidemment, cette réaction instinctive est décuplée dans les périodes de pénurie par exemple, comme en témoignent les scènes de bousculades et les fraudes qui ont pu avoir lieu lors du rationnement pendant la guerre. Garder de la nourriture pour soi (et les siens), veiller à avoir suffisamment à manger, c'est à bien des égards et inconsciemment ou non, assurer sa survie.

Nourriture et positionnement dans un groupe

Au-delà, la nourriture renvoie également à la place qu'on occupe dans un groupe et à la notion de territoire. Dès le Moyen-Age, "la table met en scène le rang que chacun a dans la société. La hiérarchie se marque aussi dans la quantité et la qualité des aliments servis (...) et les convives se contentent des plats placés à proximité d'eux" (Histoire de la cuisine et de la gastronomie françaises, Patrick Rambourg). Plus proches de nous, nous connaissons tous des personnes qui proposent spontanément de faire goûter leur assiette et d'autres qui n'aiment pas qu'on vienne les envahir, même si ce n'est qu'avec nos couverts. La nourriture, et plus précisément l'assiette, permettent ici de délimiter ce qui m'appartient versus ce qui appartient à l'autre. Attention toutefois aux interprétations hâtives : les personnes qui acceptent difficilement de faire goûter ne sont pas nécessairement des irrécupérables individualistes ! Connectées avec leurs envies profondes, elles n'ont aucun mal à sélectionner ce qui leur fera plaisir et souhaitent peut-être assumer ce choix (s'attendant sans doute à ce que les autres en fassent autant). On peut imaginer aussi qu'elles préfèrent quand les choses sont bien à leur place, correctement délimitées et cadrées et que les risques de débordement ou d'éparpillement sont minimisés. Evidemment, être dans une logique "chacun chez soi" quand il s'agit de son assiette peut aussi parler de la résistance à se faire envahir voire engloutir par l'autre. A l'inverse, ceux qui font systématiquement assiette commune, ceux pour qui "ce qui est à toi est à moi" sont peut-être dans une envie de faire plaisir à l'autre, quitte à s'oublier eux-mêmes ? Cela peut en dire long également sur leurs capacités à faire des choix pour eux-mêmes, leur propension à se fondre dans les désirs de l'autre ou leur appréhension à prendre des risques en se différenciant de l'autre par exemple. Toutes les nuances sont bien sûr possibles entre ces deux extrêmes, et rappelons-nous qu'il n'y a pas de bonne ou de mauvaise posture, le tout c'est déjà d'en être conscient.

Quand il est question de nourriture, ce besoin de sentir que mon territoire est respecté se traduit par la peur de manquer et/ou la peur d'être lésé qui ne sont que des marqueurs de l'angoisse de ne pas avoir ma place dans le groupe finalement. Parce que la nourriture fait écho à la vie, c'est un langage universel, concret et tangible qui permet de vérifier combien je suis aimé. Pas étonnant que les enfants d'une fratrie tiennent à un partage strictement égalitaire et soient enclins à compter pour vérifier si la répartition a été équitable. Une cliente me confiait récemment qu'elle avait un rituel avec son frère lorsqu'ils étaient enfants : l'un partageait le gâteau et l'autre avait alors le pouvoir de choisir sa part, ce qui les incitait l'un et l'autre à être vigilant à l'équité. A priori, ce besoin d'équité ne concerne pas que les enfants puisque le web regorge de conseils (calculs de trigonométrie à l'appui !) pour couper en parts égales et qu'il existe même une application développée sur IPhone !

Nourriture et rapport à l'autre.... et à soi !

Observer les comportements des mangeurs est donc riche de sens sur leurs tempéraments respectifs entre ceux qui veulent tout partager, ceux qui ne supportent pas qu'on vienne piquer dans leur assiette, ceux qui se servent sans vergogne et passent leur temps à picorer dans les assiettes des autres, ceux qui demandent à goûter comme une faveur, ceux qui prennent soin à ce que le partage soit équitable, ceux qui réservent systématiquement les beaux morceaux aux autres, ceux qui rechignent à partager un certain type de nourriture parce qu'elle ne serait pas savourée à sa juste valeur voire que ce serait comme "donner de la confiture aux cochons"..... La nourriture devient donc symbolique de la considération que je porte à l'autre et à moi-même, elle parle immanquablement de comment je me perçois et de comment je perçois l'autre. Générosité, oubli de soi, individualisme, indépendance, égoïsme, sans-gêne, opportunisme, tous les comportements se manifestent quand il s'agit de nourriture.

Au final, ces comportements autour de la nourriture parlent d'une seule chose : la confiance en soi et son corollaire, la capacité à s'ouvrir à l'autre. On partage sereinement la nourriture quand on se sent à la fois autonome et dans une relation d'interdépendance avec l'autre, c'est-à-dire conscient de ce que nous sommes et de ce que l'autre peut nous apporter. Alors, la table, "un lieu de plaisir, d'échanges, de générosité, d'extraversion et d'impertinence" comme nous y invite Atabula ? Sans aucun doute mais aussi un lieu où peut se jouer exactement l'inverse : inconfort à trouver sa place, stress, mesquinerie, radinerie, repli sur soi et lutte de pouvoir. A nous d'en avoir conscience, de prendre le temps de l'explorer et de faire en sorte de tirer le meilleur de nous-mêmes!

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