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«The witch is dead...»

Ce n'est pas un sentiment très noble que d'espérer la mort d'un être humain ou s'en réjouir, mais le peu d'empathie que Margaret Thatcher avait pour autrui se reflète aujourd'hui dans la réciprocité de ses détracteurs.Son décès n'atténuera pas les blessures qu'elle a infligées durant son règne à sa propre nation, ni aux victimes de sa politique étrangère. Cela ne renversera pas non plus un système politique et économique génocidaire et suicidaire.
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Reuters

Je me suis réveillé lundi matin, les yeux cernés de poches épaisses, l'inquiétant résultat d'une occasionnelle soirée sans une goutte d'alcool, m'obligeant à angoisser seul dans mon lit, pleinement sobre, lucide et fragile, scrutant le plafond en vain, espérant une réponse aux multiples questions qui se pressent aussi soudainement qu'inutilement dans ma petite cervelle. Une autre de ces nuits où je me décide à faire le bilan de ma vie, à faire le procès du monde, etc.

Une réflexion sans fin, à laquelle aucune réponse n'arriva par miracle; une peur adolescente m'envahissait, comme s'il m'avait bêtement nécessité 25 ans pour réaliser que je n'avais pas d'emprise concrète sur mon environnement, que je n'arrêterai pas l'exploitation des hommes sur les hommes, qu'on va continuer à s'entretuer comme des connards pour enrichir d'autres connards, qu'on remplacera la culture par des téléréalités aussi abrutissantes qu'avilissantes, que le citoyen averti et critique laissera la place à un consommateur «alerte et engagé». Donc, des heures d'insomnie à trier des informations glauques, à faire des constats plus moribonds les uns que les autres, suivies d'un sommeil troublé et agité.

Une heure plus tard, devant une banque, il y avait trois Inuits soûls raides qui demandaient pour des cennes ou des cigarettes; une amie m'a dit récemment qu'en leur donnant deux piastres: je «subventionnais leur alcoolisme...» Avoir à subir le regard désintéressé ou accusateur des passants, l'humiliation de quémander, la dégradation physique, le froid, l'humidité, la mort lente et anonyme qui passera inaperçue de toute manière, la moindre des choses est qu'ils aient un peu de bibine pour s'engourdir, ou au risque de faire un pied de nez au cynisme, de pouvoir s'acheter un sandwich. Encore une fois, je me suis donné un deux piastres de bonne conscience, curieusement sensible à une image qu'à force de côtoiement, de valeurs individualistes, la réalité urbaine tend maladivement à me rendre banale.

Au parc, coin St-Joseph et St-Laurent, la gang de pro-vie n'était pas là, sûrement ailleurs en train d'utiliser une invention humaine (Dieu et Cie) pour culpabiliser la femme, la déposséder de son corps, la renvoyer à sa place soumise dans son rôle de simple génitrice, lui réattribuant ce rôle démographique qui ressemble plus à celui d'une poule pondeuse qu'à un être humain libre, et ainsi nous ramener gentiment dans la société rétrograde et misogyne du Canada pré-1969.

Dommage, parce que cet état morose et dépressif ne me quitte pas, et que, s'il y a un truc que j'aime avec ces siphonnés, c'est de crier à leur attention et celle des passants, des phrases du genre : « Z'avez raison, il faut faire cesser le génocide! Le sang des fœtus est sur leurs mains! À mort les meurtriers, au bûcher les pécheresses, écartelez tous les gynécologues praticiens! Rédemption, rédemption!» Ils détournent les yeux vite fait, ils se la font moins aller la morale à deux vitesses. Réconfortant d'observer chez eux cet inconfort d'être eux-mêmes enfin confrontés à un type encore plus marteau, et d'être obligés de lui laisser le droit de parole.

De retour chez moi, à ruminer sur tout et surtout sur rien, j'apprenais la nouvelle: Margaret Thatcher était finalement morte. Ça m'a donné une claque, ça m'a tiré de mon misérabilisme. Pas n'importe qui, la Dame de Fer, celle qui a provoqué la mort de Bobby Sands et de ses compatriotes dans la prison de Maze, les laissant crever de faim plutôt que de leur donner le statut de prisonnier politique; la même qui a détroussé les mineurs anglais, a saigné les syndicats, détruit des communautés entières, qui par ses décisions et déclarations engendra des émeutes monstres et sanglantes; la même qui fut le chantre du néolibéralisme, démontrant qu'avec une bonne pub et de bons larbins bien dressés qui répètent comme des pies dans les médias les vertus du système, ou plutôt de la non-existence d'alternatives, on pouvait faire gober tout cela à la population. Une actrice politique intraitable, qui a balayé de la main ce qui restait d'espoir et d'illusion des années 60, qui influença une génération de fripouilles. Beau lègue.

Le billet d'Emmanuel Cree se poursuit après la galerie

Ce n'est pas un sentiment très noble que d'espérer la mort d'un être humain ou s'en réjouir, mais le peu d'empathie que cette femme avait pour autrui se reflète aujourd'hui dans la réciprocité de ses détracteurs. Je ne me sentirai pas coupable de prendre un verre pour célébrer, malgré le sempiternel discours que l'on doit respect et sobriété même aux tyrans, la mort de cette femme impitoyable. Son décès n'atténuera pas les blessures qu'elle a infligées durant son règne à sa propre nation, ni aux victimes de sa politique étrangère; cela ne renversera pas un système politique et économique génocidaire et suicidaire, ni n'inspirera les dirigeants à réviser leurs décisions ou affiliations; mais au moins, Dame de Fer ou pas, elle finit avec les vers, comme tout le monde. À la vôtre!

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