Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Il y a une raison pour laquelle les réfugiés ont attendu quatre ans avant de fuir

Depuis deux ans, je parle aux réfugiés syriens dans les pays du Golfe, j'assiste aux collectes de fonds, et je les vois faire faillite quand tous les revenus de leurs sociétés vont à l'aide humanitaire.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

INTERNATIONAL - Rawia, 28 ans, est originaire de Tartous, une ville plutôt sûre -du moins, pour une ville syrienne- contrôlée par les troupes gouvernementales, qui abrite une base navale russe. Contrairement à Alep, Homs ou Idleb, les bombardements rebelles y étaient rares, tout comme les bombes barils du régime. Mais, avec le temps, la guerre a fini par se rapprocher. La peur et l'incertitude ont envahi la jeune femme. Quand prendrait-elle son repas suivant? Que se passerait-il si, dans la rue, les groupes pro-Assad trouvaient qu'elle avait l'air louche?

Alors, récemment, Rawia a décidé de partir, comme plusieurs millions de ses compatriotes. Cette décision, elle ne l'a pas prise de gaîté de cœur, loin de là. Sous ses yeux, les jeunes de son pays ont été engloutis par le désespoir de la guerre. Les écoles ont fermé, alors même que les milices prospéraient. "On est en train de perdre notre jeunesse et je ne sais pas quoi faire", témoigne-t-elle depuis Abou Dhabi, aux Émirats arabes unis. Elle aurait voulu rester et apporter son aide. Mais quand les aides qui lui permettaient de survivre se sont taries, elle s'est décidée.

Ces aides provenaient des membres de sa famille à l'étranger, qui lui envoyaient de l'argent discrètement. Ces dernières années, ce soutien financier a permis à des millions de Syriens restés au pays de survivre: les émigrés étaient environ 10 millions quand le conflit a commencé. La diaspora a payé les loyers et la nourriture des familles sur place, envoyé des colis d'aide médicale et transféré des fonds d'urgence. Mais les besoins ont continué à augmenter, alors que les moyens des expatriés diminuaient: après quatre ans, le système ne fonctionne plus. Si des centaines de milliers de Syriens choisissent de braver la mort pour fuir, c'est en partie pour cette raison.

La diaspora a payé les loyers et la nourriture des familles sur place, envoyé des colis d'aide médicale et transféré des fonds d'urgence.

Depuis deux ans, je parle aux réfugiés syriens dans les pays du Golfe, j'assiste aux collectes de fonds, et je les vois faire faillite quand tous les revenus de leurs sociétés vont à l'aide humanitaire. Il n'existe aucun chiffre précis, mais on estime qu'ils ont envoyé au pays entre 1,8 et 18 milliards d'euros depuis 2011. Ce que l'on sait, c'est que cet argent a maintenu en vie des millions de familles syriennes.

Mais, après quatre ans, la diaspora ne peut plus payer les factures. "Avant la guerre, je pouvais subvenir aux besoins de ma famille", explique un travailleur syrien à Dubaï. "Aujourd'hui, ce n'est plus possible. Ma mère et mon frère sont à l'étranger, mon oncle est sans travail et son fils a besoin de soins. (...) Avant, je pouvais tous les aider, mais plus maintenant."

La guerre n'a touché Rawia qu'assez tard. Sa situation est assez courante: la vie a continué comme à son habitude jusqu'en 2012, voire jusqu'au début de l'année 2013. Et puis, lentement, le carburant est devenu de plus en plus cher, avant d'être introuvable. Le prix des aliments a grimpé en flèche. Des civils ont débarqué de la campagne, ruinés et terrifiés. Ils évoquaient des horreurs encore inconnues en ville. "Le nombre de pauvres a énormément augmenté", explique-t-elle.

Mais les besoins ont continué à augmenter, alors que les moyens des expatriés diminuaient: après quatre ans, le système ne fonctionne plus.

Les combats se sont rapprochés. Les groupes pro-Assad (ou shabiha) se sont mis à faire la loi dans les rues. Rawia ne sortait plus après 16 heures, quand ces brutes commençaient à envahir la ville. En tant que chrétienne et partisane de l'opposition au régime de Bachar el-Assad, elle "ne pouvai[t] rien dire".

Les frères de Rawia travaillent depuis longtemps aux Émirats arabes unis. Ce sont eux qui l'ont aidée et lui ont envoyé de l'argent quand le prix du gaz a augmenté, ou pour se nourrir quand sortir travailler est devenu trop dangereux. Mais, début 2014, le coût de la vie en Syrie s'est envolé et ses frères avaient épuisé leurs économies. Elle est donc partie pour le Liban, où elle a pris un vol pour l'étranger. Elle ne sait pas si elle reviendra un jour.

Même si elle avait reçu plus d'aide à Tartous, cela n'aurait probablement pas changé sa décision: ce qu'il lui fallait, ce n'était pas seulement de l'argent mais la garantie qu'elle pourrait compter sur un soutien. Stabilité, espoir, avenir... Elle avait tout perdu. Quand ses proches lui ont dit qu'ils ne pourraient plus l'aider, elle a su qu'elle n'avait plus d'avenir dans son pays.

Les besoins s'accumulent alors même que l'aide internationale diminue.

La plupart des réfugiés souhaitent refaire leur vie dans les pays qu'ils accusent pourtant de passivité face au chaos syrien. L'Occident avait promis d'aider les insurgés, mais quand le gouvernement a massacré plusieurs milliers de manifestants désarmés en 2011, l'Union européenne et les États-Unis se sont contentés de demander à Bachar al-Assad de démissionner. Ils n'ont jamais tenté de mettre en place des zones d'exclusion aériennes ou d'évacuer des civils. Ils n'ont rien fait, même lorsque le gouvernement a commencé à bombarder les organisations humanitaire et à utiliser des armes chimiques.

S'occuper des réfugiés qui déferlent en Europe apparaît comme la dernière chance des gouvernements occidentaux d'apporter la preuve de leur intérêt pour la vie des Syriens. Si ces derniers ne sont pas pris en charge, intégrés et accueillis, l'Europe devra probablement faire face à une nouvelle catégorie de personnes marginalisées, de nouveau confrontées à la pauvreté et même à l'extrémisme qu'elles avaient fui.

La majorité d'entre eux aurait préféré rester au pays ou dans une région proche, là où vit leur famille et où ils trouveraient une culture et une langue familières. Les premiers émigrés ont d'ailleurs opté pour les pays frontaliers, en espérant pouvoir rentrer rapidement chez eux. Les campements de Zaatari, en Jordanie, devaient être provisoires. Mais, quatre ans après, ces réfugiés de la première heure n'arrivent pas à croire qu'ils sont toujours dans une situation précaire.

Chaque mois, on annonce que les associations humanitaires doivent renoncer à fournir certains services en raison d'un manque de financements.

Même en exil, les Syriens dépendent de la générosité de leurs proches. Les expatriés qui vivent aux Émirats, par exemple, ont organisé des envois de médicaments, de produits sanitaires, de riz et de dattes vers les pays voisins, où vivent leurs familles. Ceux qui ont élu domicile en Turquie, au Liban ou en Jordanie ne restent pas dans les camps de réfugiés. Ils sont donc obligés de payer un loyer, entre autres. Confrontés à l'interdiction de travailler dans leur pays d'accueil, ils n'ont d'autre choix que de demander de l'aide à l'étranger.

Le monde ne se mobilise pas pour les Syriens, et ceux-ci ne comprennent pas pourquoi. Les responsables des institutions humanitaires se lamentent que les donations des Occidentaux se font rares. Les besoins s'accumulent alors même que l'aide internationale par personne diminue. En 2013, ces aides représentaient 4,1 milliards d'euros, selon l'ONU. Ce chiffre a atteint 4,6 milliards d'euros en 2014, une hausse de 10%, alors même que le nombre de réfugiés syriens au Moyen-Orient augmentait de 750%, passant de 500.000 à 3,7 millions. Chaque mois, on annonce que les associations humanitaires doivent renoncer à fournir certains services en raison d'un manque de financements. Apparemment, les Syriens n'ont pu compter que sur eux-mêmes ces dernières années.

Cette nouvelle diaspora sera bien différente de la précédente. Avant la guerre, seuls les plus riches, comme les avocats et les médecins, pouvaient rêver d'aller en Europe. Désormais, ce sont les pauvres qui tentent, en désespoir de cause, de traverser la Méditerranée. Ils débarquent seuls, sans ressources, épuisés par des années d'atrocités avec, pour seul bagage, leurs espoirs meurtris.

Cet article, publié à l'origine sur le Huffington Post américain, a été traduit par Maëlle Gouret pour Fast for Word.

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Mai 2017

Les billets de blogue les plus lus sur le HuffPost

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.