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Encore plus dangereux que le «califat», un Pakistan jihadiste

Le blitz des islamistes en Irak, dix-mille combattants maximum, a pris nos médias par surprise. Pourtant, il existe une autre internationale du jihad, active dans une cinquantaine de pays et qui dispose, elle, de près d'un demi-million de jihadistes.
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Le blitz des islamistes en Irak, dix-mille combattants maximum, a pris nos médias par surprise. Pourtant, il existe une autre internationale du jihad, active dans une cinquantaine de pays et qui dispose, elle, de près d'un demi-million de jihadistes. Cette organisation s'appelle le Jamaat-ud-Dawa, elle a atteint une taille transnationale et elle dispose d'une base autrement plus solide que le nouveau « calife » de Mésopotamie : un état nucléaire, le Pakistan. Tel est l'avertissement que lance aux démocraties un journaliste pakistanais, Arif Jamal, dans un ouvrage fascinant qui vient de paraître Call for transnational jihad, Lashkar-e-Taiba 1995-2014, AvantGarde Books, New Jersey, 2014.

Le 25 juin dernier, les États-Unis ont ajouté le nom du Jamaat-ud-Dawa (JuD) à sa liste des organisations terroristes. Une initiative bien tardive, vu qu'il y a deux ans, Washington avait déjà placé une prime de dix millions de dollars sur la tête du leader du JuD, Hafiz Mohammad Saeed, toujours libre comme l'air au Pakistan et que la branche armée du JuD, le Lashkar-e-Taiba (L-e-T), est sur la liste des organisations terroristes depuis 2003.

Parmi les terroristes formés dans les camps du JuD, Arif Jamal nous révèle des noms connus. Les auteurs du complot contre le journal danois Jylland Posten, le Britannique Richard Reid surnommé le Shoebomber, le poseur de bombe londonien Dhiren Barot, les « Paintball jihadists » de Virginie, le Français Willie Brigitte, lié aux attentats contre des militaires juifs et musulmans dans la région de Toulouse en 2012, son comparse australien Faheem Lodhi, coupable de complot contre les installations nucléaires et militaires de son pays. La liste touche également le Canada avec Jahmaal James, un des 17 apprentis jihadistes qui planifiaient des attentats à la bombe en Ontario en 2006.

L'histoire commence à La Mecque. Le 20 novembre 1979, 400 insurgés s'emparent du lieu le plus sacré de l'Islam, la Kaaba. Incapables de reprendre le contrôle de la mosquée, les Saoudiens font appel aux Français pour déloger les intrus. Le leader des assaillants, Juhayman al-Utaybi sera exécuté, mais son mouvement, l'Ikhwan de Juhayman (JI), survit. En 1981, un de ses adeptes, Khaled Istambouli, assassine le président Sadate. Salafiste, le JU n'a pour référence que deux sources, le Coran et les hadiths, c'est-à-dire la compilation des faits et gestes du Prophète. Il prône l'instauration d'un califat mondial basé sur les règles en vigueur autour de l'an 622. C'est aussi l'avis d'un courant religieux apparu aux Indes dans les années 20, l'Ahl-e-Hadith, « les gens des hadiths ».

Le JI et des membres du Ahl-e-Hadith font leur jonction à l'occasion de la guerre d'Afghanistan contre les Soviétiques. En 1987, ils fondent le Markaz Dawat wal Irshad (MDI), rebaptisé Jamaat-ud-Dawa dans la foulée du 11 septembre. Les membres du MDI ne sont pas des « talibans ». Les talibans, inventés par les militaires pakistanais, sont issus de la secte deobandi, une branche intégriste de l'Islam, mais non salafiste. En Afghanistan, les militants du MDI se battent surtout dans la province de Kunar, où végète un « émirat » Ahl-e-Hadith. En 1990 Hafiz Saeed et son compagnon Zakiur Rehman Lakhvi fondent le Lashkar-e-Taiba (L-e-T), un des bras armés du MDI, futur JuD.

Après son expulsion d'Afghanistan par les talibans, le L-e-T se concentre sur le jihad au Cachemire indien. L'organisation est prise en main par les services secrets de l'armée pakistanaise, l'Inter Services Intelligence (ISI). Des jihadistes du MDI-L-e-T combattent également en Tchétchénie, aux côtés des insurgés moro des Philippines, des islamistes du sud de la Thaïlande, des Rohingya de Birmanie et même des maoïstes naxalites de l'Inde. On ajoutera plus tard l'Ogaden, le Yémen, l'Érythrée, le Soudan, le Nigéria, etc. De 1992 à 1997, révèle Jamal, les brigades islamistes de Bosnie sont une opération du MDI.

Depuis l'indépendance, l'armée pakistanaise n'a jamais fait confiance aux civils. La lutte contre l'Inde étant sa raison d'être, elle interdit aux élus tout contrôle des relations internationales. Arif Jamal décrit deux moments historiques où l'armée, en utilisant le L-e-T, fait dérailler des efforts de paix tentés par des gouvernements civils : en 1999, le fiasco de l'occupation des cimes de Kargil au Cachemire indien et, en 2008, les attentats de Mumbai où les jihadistes du L-e-T font 164 morts. Hafiz Saeed, ne passera que quelques mois en résidence surveillée tandis que le principal cerveau de l'opération, Sajid Amir, coule des jours heureux dans une résidence sécurisée par l'ISI. Aucun des centres d'entraînement ou des locaux du JuD et du L-e-T n'ont été fermés, ils continuent à fonctionner de plus belle.

Officiellement, le Pakistan est l'allié de Washington, mais uniquement contre l'insurrection des talibans pakistanais. Ce groupe n'a jamais pardonné à Islamabad d'avoir lâché les talibans afghans au lendemain du 11 septembre. En réalité, l'armée protège les jihadistes comme le Jamaat-ud-Dawa qui ont eu l'intelligence de ne pas prendre les armes contre le Pakistan. Contrairement à Al-Qaeda, le JuD ne cherche pas pour l'instant à déstabiliser les pays musulmans. L'objectif lointain demeure l'instauration d'un califat mondial, donc la reprise éventuelle du jihad dans les pays musulmans, mais pour le moment la cible demeure les états non-musulmans.

Le livre d'Arif Jamal se termine sur une note lugubre. Le Pakistan est, on le sait, une puissance nucléaire. Dès les années 80, Hafiz Saeed a créé des cellules dans les écoles d'ingénieurs et incité leurs diplômés à obtenir des emplois dans des institutions comme la Pakistan Atomic Energy Commission et le Khan Research Laboratories. De conclure Jamal, « Une des raisons pour lesquelles le JuD ne s'est pas révolté contre l'État pakistanais réside dans le fait qu'il est le groupe jihadiste avec le taux de croissance le plus rapide, ce qui lui permet d'infiltrer l'appareil d'État, y compris l'establishment nucléaire. Le JuD croit qu'il peut acquérir la technologie nucléaire sans avoir à affronter l'État pakistanais. Il se pourrait que nous découvrions plus tôt que prévu que le JuD a la capacité de réaliser son plan systématiquement et de sang-froid. »

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