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Ces avatars gèrent l'ingérable, autant au niveau du consommateur que de leur devoir de défendre une compagnie qui me semble obsédée par une obsolescence programmée.
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Benoit Tessier / Reuters

Jeudi dernier, je me rends compte que mon iPhone se meurt. Cette bagatelle à 700$ fait encore des siennes. Si seulement il avait la durabilité de mon ouvre-boîte Starfrit qui n'a jamais laissé une canne tomber en plus de 10 ans... Non. Bienvenue dans le monde du luxe jetable. Mais avec le temps, on prévoit le coup. J'ai acheté la garantie Apple Care, car ça fait une éternité que les produits de cette compagnie me font défaut. Je vous entends déjà me dire : t'as qu'à utiliser autre chose! Je suis graphiste, j'ai plus ou moins le choix donc je subis le joug technologique de la pomme depuis 1990. Ça fait 28 ans que le dernier cri me fait hurler...

11:00 AM, j'arrive. Il n'y a qu'un seul Apple Store à Québec et il se trouve au centre d'achat des BOBO d'ici, Place Ste-Foy. Les gens déambulent, endimanchés comme des paons. Chaque fois que je vais dans ce lieu haut de gamme, j'ai toujours la même réflexion. Il n'y a que du beau ici. En fait, tout ce que ce centre a d'authentique pour moi, c'est sa superficialité.

Me voilà devant la façade illuminée d'une grosse pomme. Y'a 50 ans, ça aurait probablement été une croix. Il y a plus ou moins 20 avatars de bleu vêtus, prêts- ou pas - à me servir. Des avatars, car ces gens, on dirait qu'ils ont laissé leur personnalité à la maison, devenant à la place des êtres corporatifs à l'empathie programmée. Ils me lancent de brefs regards, tentant de décoder si je viens pour acheter ou pour me plaindre. Ils ont sûrement deviné, car personne ne vient me voir. J'arrive au bout de cette allée de tables design, parsemées de bébelles à 1000$. Ils ont compris ici. Plus le produit est conditionné, plus le consommateur le sera. On m'arrête. Un grand mince, iPad à la main, me demande ce que je veux, le tout précédé d'un « ça va bien? », aussi vide qu'hypocrite. J'explique mon cas et on me donne rendez-vous dans une heure. Je dis oui et je retourne explorer « Palace » Ste-Foy.

Tant qu'à être ici, je file chez Simons. J'ai besoin de gants de ski. Malgré les milliers de pieds carrés et le fait qu'on soit le 15 février, il reste seulement quelques paires de gants de cuirs, comme ceux que mon papa affectionnait. C'est trop tard, c'est déjà l'été ici. Je sors un peu déçu.

Midi, je retourne voir mon avatar au iPad qui, un peu perdu me demande encore « ça va bien? » et me dit d'aller m'asseoir au « Genius Bar ». Et à ce bar, tu ne commandes pas une tequila ni une Heineken, car ici, ils ont le temps de niaiser. Le « génie » arrive. « Bonjour, ça va bien? », me dit-il avec la même franchise que les autres avatars. Il fait des petits tests à mon téléphone et il doit changer la batterie et l'écran. Ce sera prêt dans deux heures. Je souris et je vais dîner à la halte bouffe. C'est drôle, ici, même les gens âgés venus prendre un café pour passer le temps, sont des « de luxe ». Ce n'est pas mêlant, je fais attention en mangeant, car tout le monde se dévisage, le nez à environ 45 degrés vers le haut.

Ce n'est pas mêlant, je fais attention en mangeant, car tout le monde se dévisage, le nez à environ 45 degrés vers le haut.

14:00. Après une attente parsemée de brefs épisodes de sommeil, assis sur une confortable banquette de cuir, le sans-abri que je suis (en tout cas, c'est de quoi j'ai l'air ici), se pointe au bout de l'allée, accueilli par une avatar souriante avec des espadrilles rouges avec plein de brillants. « Bonjour, ça va bien? », me dit-elle en me montrant l'endroit où je dois aller pour attendre une autre avatar qui va me donner mon téléphone. Je lui dis : « Vous, euh... quand vous cognez vos souliers ensemble, vous retrouvez-vous dans un monde merveilleux?» Elle me regarde bizarrement et ne comprend pas ma blague. Une chance que j'ai parlé de ses souliers et non de ses pieds, car c'était des plans pour que je me retrouve le #MeToo de la semaine. Une nouvelle avatar s'approche. Je prends les devants.

–« Oui ça va bien », dis-je avec, je crois, autant d'hypocrisie.

–« Monsieur Moisan, nous, pas. Notre machine à calibrer est brisée et nous devons remplacer votre téléphone », me dit-elle, me montrant à la fois une nouvelle boîte et mon ex-appareil, inerte, dans un « body bag ».

–« Ah vous autres... », dis-je d'un ton sobre, mais furieux. « J'ai pas de sauvegarde récente! ».

C'est là que je comprends pourquoi le décor est si zen ici. N'importe qui qui pogne les nerfs passe pour un sérieux malade mental.

–« Je peux vous vendre un forfait iCloud à $1,29 pour 50 gigaoctets ».

Je dis OK et je commence la sauvegarde de mon vieil appareil à qui il restait quelques onces d'énergie. Mon téléphone m'indique une heure d'attente. Bah, rendu là. Je me surprends à sourire.

Après un moment, mon avatar vient me voir et me dit « ça va bien?». Je ne pensais pas que des mots aussi banals pouvaient tant s'apparenter au supplice de la goutte. Je souris en lui disant qu'il me reste seulement... Quatre heures à ma sauvegarde! iCloud a révisé ses prévisions, faut croire. Mon avatar est démasquée. Face à mon calme et à ma résignation, elle devient sincèrement gentille. Tout comme son collègue d'à côté et la fille aux souliers rouges. Même le boss vient me voir pour discuter.

Il fallait rester un moment finalement pour découvrir qu'au-delà de ces avatars, il y a des humains.

Il fallait rester un moment finalement pour découvrir qu'au-delà de ces avatars, il y a des humains. Tout comme il faut rester un moment pour voir les chialeux qui se pointent ici en quantité industrielle. Ils ont beau être habillés avec des fringues hors de prix, leur niveau de langage ne vaut pas la pire des chaussettes. Ou comme l'autre dame qui arrive avec son écran d'ordi pété. « Je vous assure, c'est arrivé tout seul ». Ou l'autre gars à qui l'on refuse de remplacer la batterie, car son iPhone est courbé comme la palette de Marty McSorley en finale de la coupe Stanley, en 1993 et qui menace de se plaindre à l'office du consommateur pour cas de téléphone se déformant tout seul.

Ces avatars gèrent l'ingérable, autant au niveau du consommateur que de leur devoir de défendre une compagnie qui me semble obsédée par une obsolescence programmée "surpackagée".

À ces conditions, je laisserais probablement moi aussi mon humanité à la maison.

Bonne semaine!

Avril 2018

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