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Un autre Noël au poste 4

Je ne sais pas pourquoi, mais je me retrouve toujours sur le quart de nuit à Noël. C'est ça ne pas avoir beaucoup de date dans ce département. Comme à tous les Noëls, on se ramasse dehors dans le froid alors que plus que la moitié des commerces sont fermés. Chic, j'ai la «Catherine». J'aurai au moins quelques restos ouverts.
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Je ne sais pas pourquoi, mais je me retrouve toujours sur le quart de nuit à Noël. C'est ça ne pas avoir beaucoup de date dans ce département. Comme à tous les Noëls, on se ramasse dehors dans le froid alors que plus que la moitié des commerces sont fermés. Chic, j'ai la «Catherine». J'aurai au moins quelques restos ouverts.

À l'église Saint-Jacques, la messe de Minuit est très entamée quand je pénètre à l'intérieur du grand portique. Ce n'est pas par ferveur religieuse, mais beaucoup plus pour me réchauffer. Je ne suis pas le seul, juste au fond du parvis se bouscule un petit groupe de sans-abris. Nous autres, on nomme ça des robineux. Ils sont peut-être robineux, mais ils ne sont pas bêtes. Quand les fidèles remplis de Dieu sortiront tout à l'heure, ils auront sûrement la main plus bienveillante et... sonnante.

- Tu vas pas nous mettre dehors constable?

Je regarde Maringouin qui, comme d'habitude à commencé sa soirée assez tôt. En fait, il n'a pas fini sa journée.

- Ben non Maringouin, surtout pas une nuit comme ça!

Mon gros bonhomme me fait un énorme sourire et sort de sa poche une bouteille de St Georges. Ceux qui ont déjà goûté ce vin comprennent. Mes robineux l'agrémentent habituellement avec une bouteille d'alcool à friction, ça lui donne du corps.

- T'en veux-tu un peu ?

- Non merci vieux... j'essaye d'arrêter.

Maringouin ne comprend pas la subtilité de ma réponse et il s'en tape. Le gros homme enfile une rasade toute spéciale, lui donnant à la fois une haleine de chiotte et du courage pour quêter.

Un des marguilliers bloquant la porte de la nef s'approche de moi, me glissant à l'oreille.

- Vous devriez les mettre dehors, ils empestent.

Je le regarde avec un grand sourire tout en ne bougeant pas d'un poil. Croyant que je n'ai pas compris, il s'approche encore une fois.

- J'aimerais bien qu'ils partent avant la fin de la messe.

- Moi aussi...

L'homme me regarde avec un air de «Il n'a pas toute sa tête ce policier et moi, je garde ce joli sourire à demi baveux.»

- Ils vont se mettre à quêter.

Cette fois je cesse de sourire. À mon tour, je me penche vers lui. L'homme semble tout étonné.

- C'est une église ici ?

- Heu.. Oui.

- Donc, Dieu y est présent ?

- Oui

- C'est pas lui qui aime les plus pauvres, les plus démunis ?

- Ben...

- Alors, soyez heureux, vous les avez avec vous ce soir.

Le pauvre marguillier me regarde sans trop pouvoir comprendre. Il a l'habitude d'être avec des rats de bénitiers qui sentent la lavande, pas avec des pochards empestant l'alcool.

- Je ne vais pas les mettre à la porte et vous non plus. Ils ne dérangent personne et probablement que la moitié d'entre eux, ne seront plus de ce monde l'an prochain. Alors, un peu de tolérance ne ferait pas de tort.

L'homme retourne à sa porte. Pour le reste de la messe, il évitera de me regarder. Quelques minutes plus tard, la meute des fidèles passera presque sans regarder nos pauvres sans-abris. Quelques-uns laisseront des pièces de monnaie, mais, pour la plupart, l'odeur de la pauvreté les fit fuir sans même jeter un coup d'œil.

Il me reste à reprendre la patrouille à pied. Dans deux heures, un repas des fêtes m'attend au poste. Nous faisons ça à tous les Noël par petits groupes. Bien sur, on ne va pas priver la population de ses services.

- Hey constable !

Maringouin, je l'avais oublié celui-là. Mon gros robineux s'amène en clopinant. Il porte des bottes trop grandes pour lui, mais comme il dit toujours: «Avec trois paires de bas, on gèle pas.»

- Oui Maringouin, tu veux quoi encore ?

- Rien .

Tout heureux, il me montre un tas de change. Il doit bien y en avoir pour cinq dollars.

- Tu sais, le gars ben sec avec qui tu parlais et qui voulait toujours nous mettre dehors, c'est lui qui m'a donné ça.

- Je suis content pour toi Maringouin.

- Je vais manger au Chinatown pis dormir un peu.

- Alors joyeux Noël

Je commençai à penser que Dieu pouvait faire des miracles.

Mon robineux partit en vitesse, du moins assez rapidement vu son état. Sa nuit de Noël allait être un peu meilleure. Un peu de chinois et un lit à trente sous. Sa nuit de Noël n'avait pas été si mal après tout. Au matin, il irait chez la sœur Bonneau pour un repas des fêtes, mis à part le froid, Maringouin aurait une période faste.

De mon côté, je me les gelais en attendant de rentrer au poste pour des sandwichs et du café, le rituel de Noël au poste 4.

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