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Normalement, on donne une minute de silence à ceux qui sont tombés... Mais c'est ce que les autres veulent, alors levez votre crayon, tapez sur vos claviers: le fascisme ne passera pas!
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Je suis Charlie....

Mais j'ai beau le suivre, je ne le trouve pas.

Enfin, je le trouve, mais il en manque des bouts, des échardes plein les trous dans les corps de Cabu, Wolinski, Charb, Tignous et leurs amis.

Normalement, on tient une minute de silence pour ceux qui sont tombés, morts, défunts, partis, clamsés, décédés, plus là, absents, trépassés, dérobés, volés, perdus... assassinés, mitraillés, descendus, abattus comme des arbres, fauchés, immolés sur l'autel de la dégueulasserie idéologique et religieuse.

Muets

Normalement on ferme sa gueule. On baisse la tête. On sent le sel des larmes couler sur sa joue. On met en joue le silence des horloges. On met les drapeaux en berne. ET ON SE TAIT. On écoute sans parler l'immense fracas de la douleur qui monte qui monte qui monte à l'assaut de notre colère.

On est muets. Normalement. Muets de peur. Muets de honte.

Honte de s'être tus, de n'avoir rien dit quand ils ont tué Jaurès.

Quand ils ont tué Yitzhak Rabin. Quand ils ont tué le commandant Massoud.

Quand ils ont assassiné plus de cent journalistes et gens des médias en Algérie. Quand ils ont lapidé, décapité, castré, enterré vivant, kidnappé, violé, fracassé la tête, égorgé.

Tu meurs

Tahar Djaout a dit à l'époque : «Si tu parles, tu meurs. Si tu te tais, tu meurs. Alors, parles et meurs. » Tahar Djaout, écrivain, poète, journaliste algérien - pousseur de crayon, tapeur de clavier, pelleteur de nuages, Robin des bois des rotatives.... s'est pris BAM... une balle dans la tête... BAM... une seconde balle dans la tête.

Le 2 juin 1993. Il le savait. Il avait écrit dans L'étreinte du sablier : « et il faudra traîner - oh combien lourde - ma peau de poète sous l'oeil-tentacule des miradors »

Mais c'est la fureur religieuse, la fureur fanatiquement foudroyante et fasciste qui a frappé son beau front de poète moustachu.

Nous étions muets de peur. Nous sommes muets de rectitude politique et de relativisme culturel.

Quand ils ont mené les sorcières au bucher, les hérétiques à la torture. Quand l'inquisition a frappé aux portes. Et qu'on se taisait. Quand les inquisiteurs ont dit « Il n'y a qu'un seul dieu ». On a dit « Oui, ça se peut ».

Y en a un qui a gueulé, le poing levé, le crayon levé, le dessin levé... désarmé. Il a crié « Ni dieu ni maître!»

Dessin de Maxime Benhaim

Il a dit: « De tous les mots en -aime, y en a un que j'aime, c'est le mot «blasphème».

Ils sont venus le chercher.

Et comme sa femme laissait les caresses du vent nouer sa chevelure autour de leurs enfants, ils l'ont emmenée elle aussi.

Je suis Charlie, mais je suis Charlotte

Car les inquisiteurs brulent les Charlie et les Charlotte.

Tout ça - faut tout de même le dire - au nom d'un mec qui est mort il y a 1382 ans !

Si ce berger analphabète, mais loin d'être bête - nul mépris ni pour les bergers ni pour les analphabètes - revenait aujourd'hui, on le pendrait à une grue, comme c'est l'usage à Téhéran.

On lui trancherait la gorge sur YouTube, comme c'est la mode chez les califes qui veulent être calife à la place du calife. On le condamnerait à 50 coups de fouet chaque vendredi jusqu'à ce qu'il ait payé les 1000 coups de fouet de Raïf Badawi... Comme c'est la mode à Riyad. Cette mode qu'on fait semblant de ne pas savoir, de ne pas voir, de ne pas entendre, de ne pas sentir au nom de la bien-pensance, de la rectitude politique, de l'antiracisme, au nom de la cécité volontaire - mais les 150 000 morts de l'Algérie martyre se lèvent et nous regardent droit dans les yeux : "C'est l'intégrisme qui nous a tués!, pas les caricatures de Mahomet!"

Comme les 37 jeunes hommes morts hier à Sanaa au Yémen presqu'au même moment, si loin de la salle de rédaction de Charlie Hebdo.

Comme les 12 morts à Paris

Quatre apôtres de la critique, du mordant, de l'anticléricalisme, de l'amitié, de la bonne bouffe et de la franche rigolade, et leurs collègues et leurs invités et deux policiers. 12 morts.

La scène est noire, rouge, froide et incandescente. Ils riaient, déconnaient, blaguaient, se foutaient de la gueule des bigots, des barbus, des connards gigantesques. Ils se foutaient de la gueule de dieu... Pas par antipathie à l'égard de dieu, mais parce qu'on ne peut aimer vraiment que ce dont on peut se moquer. Sinon, c'est la caserne, la prison, le silence merdique et forcé.

MERDE

La première liberté, c'est celle de pouvoir dire « Merde ».... Les autres en découlent.

Normalement, on donne une minute de silence à ceux qui sont tombés. Je préfère la prendre pour tous les nommer. Ils ont fait mon éducation politique pour certains d'entre eux. Avec Hara-Kiri, puis l'hebdo Hara-Kiri, puis Charlie Hebdo....

Cabu, Wolinski, Charb, Tignous, Bernard Maris, Honoré, Michel Renaud, Elsa Cayat, Mustapha Ourrad, Frédéric Boisseau, Ahmed Merabet policier, Franck Brinsolaro policier.

Normalement, on donne une minute de silence à ceux qui sont tombés... Mais c'est ce que les autres veulent, alors levez votre crayon, tapez sur vos claviers : le fascisme ne passera pas!

No pasarán!

LIRE AUSSI SUR LES BLOGUES

- Pour Cabu, Charb, Wolinski et tous les autres... - l'hommage d'Anne Sinclair et la rédaction du HuffPost France

- Tuerie à Charlie Hebdo: soutien à mes collègues - Xavier Delucq

- Couvrez ce Saint que je ne saurais voir - Sylvain Raymond

- Le monde de Charlie - Yanick Barrette

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- Nommer l'ennemi - Jacques Tarnero

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