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Bruxelles et la nouvelle normalité du terrorisme en Europe

Ils vont promettre d'«assurer notre sécurité», même s'ils savent très bien qu'il est impossible de garantir une sécurité pleine et entière. Il est important que les citoyens restent vigilants et rejettent les utopies proposées par des politiciens opportunistes.
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Alors que les opérations de déblaiement des décombres sont toujours en cours à l'aéroport de Zaventem, il est clair que l'évaluation des dégâts dans leur ensemble prendra des jours, sinon des semaines. Ces attaques paraissent en toute probabilité liées à l'arrestation récente de Salah Abdeslam, le logisticien des attentats de Paris l'année dernière.

Dans ce qui s'apparente à une sinistre prophétie, le ministre belge de l'Intérieur Jan Jambon avait affirmé lundi : «Nous savons que démanteler une cellule peut en pousser d'autres à passer à l'action. Nous en avons conscience, dans le cas présent».

Étant donné que les deux attaques de mardi semblent être des attentats-suicides et ont touché des cibles «faciles», c'est-à-dire aisément accessibles, elles apparaissent comme de brusques actes de désespoir, menés par des individus qui s'attendaient à être arrêtés à tout moment (suite à l'arrestation d'Abdeslam), plutôt que comme une entreprise terroriste planifiée comme l'avait été celle de Paris en novembre dernier.

Les attentats de Bruxelles, tout comme ceux de Paris, qui sont liés, nous donnent à voir plusieurs choses, d'importance variée.

• Premièrement, ils montrent que le terrorisme est pour l'Europe occidentale la nouvelle norme, au moins pour l'heure. Les citoyens et les dirigeants politiques doivent reconnaître ce fait, et pas seulement l'accepter. En clair, ce n'est pas la première fois qu'une telle vague d'attentats se produit - il n'y a qu'à penser au terrorisme d'extrême gauche dans les années 1970, ou aux campagnes meurtrières d'organisations séparatistes comme l'ETA en Espagne ou l'IRA au Royaume-Uni, qui se sont étirées sur plusieurs décennies. La principale différence est que le terrorisme touche désormais plus de pays et plus de personnes.

• Deuxièmement, ces attentats montrent que même les mesures d'urgence et de sécurité les plus drastiques ne peuvent pas rendre une société (démocratique) totalement sûre! Bruxelles, comme Paris, étaient des villes en état d'alerte maximale, pleinement conscientes d'être des cibles de choix pour les djihadistes, mais elles n'en ont pas moins été frappées.

• Troisièmement, même si ces attentats ont provoqué des destructions massives sur le plan humain et sur le plan matériel, ils ne laissent voir, au mieux, qu'un niveau modeste d'organisation - d'où l'usage quasi exclusif de cibles faciles. Même si ce degré de sophistication rend les attaques moins mortelles en général, il rend aussi plus difficile la détection des terroristes.

• Quatrièmement, la plupart des djihadistes impliqués ont un profil socio-démographique relativement bien défini, qui ne fait ressortir qu'un petit sous-ensemble de la population européenne musulmane : les immigrés de seconde génération et les convertis «de souche», dont plusieurs ont combattu récemment au Moyen-Orient (ou ont tenté de s'y rendre) et sont connus de la justice pour des infractions passées sans lien, et souvent en totale opposition, avec leur parcours terroriste ultérieur. Nombre d'entre eux se sont radicalisés en prison et ont été recrutés soit pendant leur incarcération, soit à leur sortie. Mais les terroristes ne sont pas seulement des «perdants de l'intégration» ; certains sont issus de familles de la classe moyenne et disposent d'un niveau de formation relativement élevé.

• Cinquièmement, et c'est essentiel, le terrorisme djihadiste a des racines profondes, qui sont à la fois domestiques et extérieures. Il est motivé principalement par des groupes terroristes étrangers, principalement des organisations comme l'État islamique au Moyen-Orient, mais il n'est implémenté quasiment que par des djihadistes locaux, animés par des griefs locaux. Comme l'explique Olivier Roy, le problème djihadiste n'est pas tant une question religieuse ou politique qu'une «révolte générationnelle». Les djihadistes nationaux se sentent pris en tenailles entre les «indigènes» (non-musulmans) et les représentants de la communauté musulmane, principalement des immigrés de première génération plus âgés qu'eux, deux catégories qui paradoxalement les traitent comme des «invités» dans le pays où ils sont nés.

Tout ceci ne vise évidemment pas à affirmer que l'Europe serait responsable de son propre problème terroriste. Le continent a créé les conditions du ressentiment qui anime les djihadistes, mais l'immense majorité des personnes qui subissent ces conditions n'ont pas recours au terrorisme. Mais cela signifie aussi qu'il ne suffira pas de détruire les menaces terroristes extérieures comme l'État islamique pour se débarrasser de la menace djihadiste en Europe.

Des représentants politiques de toutes tendances vont appeler à une réponse forte et rapide, et affirmer haut et fort que cette «nouvelle menace» nécessite plus de moyens pour les services de sécurité. Ils vont promettre d'«assurer notre sécurité», même s'ils savent très bien qu'il est impossible de garantir une sécurité pleine et entière. C'est la raison pour laquelle il est si important que tout de suite, au pic de l'effet de choc et du traumatisme, les citoyens et les dirigeants des démocraties libérales restent vigilants et rejettent les utopies proposées par des hommes et femmes politiques opportunistes.

Ni l'autoritarisme, ni le rejet des différences ne sauveront la démocratie libérale européenne! L'état d'urgence sape directement l'état de droit et la protection des droits des citoyens, et pas seulement ceux des «coupables» ou des «autres». De la même manière, contenir les immigrés et les réfugiés hors d'Europe aide peu à réduire le recrutement de terroristes qui, presque tous, sont nés et ont grandi en Europe. De fait, ces mesures ne feront que renforcer leur rancœur et le rejet qu'ils subissent de la part d'une population «de souche» encore plus apeurée.

Ce n'est qu'en prenant conscience que nos sociétés multi-ethniques, de la même manière que nombre de sociétés mono-ethniques avant elles, sont confrontées à des divisions internes à chaque groupe ethnique, plutôt qu'entre ces groupes, que nous pourrons apprendre à vivre avec la nouvelle norme du terrorisme et, espérons-le, un jour parvenir à la dépasser. Il nous faut tourner nos regards vers l'intérieur de nous-mêmes, plutôt que seulement vers l'extérieur, ne pas voir les problèmes en termes de «eux» et «nous», et prendre conscience qu'une démocratie libérale ne peut vivre que si les citoyens font confiance au système politique et les uns aux autres.

Cet article, initialement publié sur The WorldPost, a été traduit de l'anglais par Mathieu Bouquet.

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