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Rwanda: 20 ans après le génocide

Ces commémorations sont donc quelque peu parasitées, pour cause d'une sensibilité épidermique que suscite le dossier rwandais, tant les interprétations des experts de la question rwandaise sont diamétralement opposées. Au passage, ces discussions font une autre victime collatérale : la vérité.
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Le génocide rwandais dont la communauté internationale souligne le 20e anniversaire (avril 1994 - avril 2014), continue de provoquer des polémiques par journaux interposés, ce qui contribue à égarer l'opinion, l'empêchant par le fait même de réfléchir aux leçons de l'Histoire de cette terrible tragédie.

Ces commémorations sont donc quelque peu parasitées, pour cause d'une sensibilité épidermique que suscite le dossier rwandais, tant les interprétations des experts de la question rwandaise sont diamétralement opposées. Au passage, ces discussions font une autre victime collatérale : la vérité.

Le génocide rwandais a été une horreur indicible. Personne ne le nie. Tout doit être mis en œuvre pour que les auteurs de ce drame répondent de leurs actes devant la justice. Tout le monde en convient. Mais peut-on se satisfaire de la version officielle, quant aux responsabilités dans ce crime, alors que la vérité est plus complexe? La spécificité de ce drame est que ses principaux acteurs sont des Rwandais eux-mêmes, ce qui rend particulièrement délicate (mais pas impossible) la tâche de recherche de la vérité et de réconciliation nationale. Si l'on refuse de s'enfermer dans le formalisme juridique qui, comme dans la mission confiée au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), entend circonscrire cette tragédie à la seule année 1994, on constate qu'elle comporte de multiples facettes sur lesquelles la vérité devrait être faite le plus complètement possible si l'on veut réussir le défi de comprendre comment le Rwanda a été précipité dans l'abîme génocidaire.

Or, la principale préoccupation d'une certaine élite consiste à verrouiller toutes les avenues possibles remettant en cause le récit officiel convenu, véhiculé par Kigali et ses chevau-légers. C'est la raison pour laquelle on se satisfait de raccourcis historiques parce que, apparemment, cela contribue à fonder la légitimité du pouvoir de Paul Kagamé. Le génocide rwandais est comparé à la Shoah juive; on identifie volontiers des Himmler et autres Goebels parmi les acteurs rwandais de l'époque et l'on s'enferme dans le modèle de Nuremberg... Ces raccourcis ne font avancer ni la cause de la réconciliation des Rwandais, ni celle de la recherché de la vérité.

En presque 20 ans de travail et après plus d'une soixantaine d'arrêts - lorsqu'il fermera ses portes en décembre 2014, le tribunal aura jugé 75 responsables rwandais -, le TPIR n'a pas trouvé des preuves convaincantes pour fonder le crime d'«entente pour commettre le génocide», c'est-à-dire de planification du génocide. Même le colonel Théoneste Bagosora, que d'aucuns ont longtemps présenté comme le «cerveau du génocide», a été blanchi de ce crime, comme l'a fait remarquer un des témoins experts du TPIR, le professeur français Bernard Lugan:

« La thèse fondant "la légitimité" du régime du général Kagamé, à savoir celle du génocide "programmé" et "planifié" par les extrémistes hutu, a en effet volé en éclats devant le TPIR. Dans tous ses jugements concernant les "principaux responsables du génocide" tant en première instance qu'en appel, ce tribunal international a en effet clairement établi qu'il n'y avait pas eu "entente" pour le commettre. Si ce génocide n'était pas programmé, c'est donc qu'il fut "spontané". Et s'il fut "spontané", c'est qu'un évènement d'une exceptionnelle gravité poussa certains à le commettre. Nous en revenons ainsi à l'assassinat du président Habyarimana. »

Devant ce paradoxe apparent, plutôt que de jeter des anathèmes, ne faudrait-il pas, une « saine dose de révisionnisme » pour mieux saisir ce qui est arrivé au Rwanda? Les experts de la question rwandaise ne seraient-ils pas mieux inspirés de demander que le Droit pénal international intègre cette réalité en élargissant éventuellement la définition même du génocide?

Quant à ceux qui vantent le miracle économique opéré par le régime rwandais au cours de ces dernières années, il faut expliquer que personne ne remet en cause des progrès enregistrés par Kigali sur le front économique. Mais à quel prix? D'après le rapport « Mapping » de l'ONU, rendu public le 1er octobre 2010 - rapport à la rédaction duquel des experts canadiens ont d'ailleurs participé -, l'armée rwandaise aurait perpétré des crimes contre l'humanité à l'encontre des réfugiés rwandais, majoritairement Hutu, en République démocratique du Congo. Même si le terme de génocide n'a pas été employé par les Nations unies, le trouble subsiste.

Au niveau du respect des droits de la personne, toute voix dissidente est taxée de révisionnisme. Et qu'en est-il de la démocratie ? Le régime rwandais a mis en place un arsenal extrêmement sophistiqué pour contrôler la scène politique rwandaise, tant M. Kagamé perpétue un vrai faux monopartisme « démocratique » grâce aux partis satellites composant une coalition soigneusement taillée à sa mesure. Les scrutins successifs qu'a connus le Rwanda « post-génocide » ont revêtu tous les apparats de la démocratie dans le cadre d'un multipartisme de façade, conçu pour amadouer une certaine opinion très critique. Le scrutin présidentiel d'août 2010, au terme duquel M. Kagamé a été crédité de 93% des suffrages, a été une mascarade électorale. Mme Victoire Ingabire (présidente des Forces démocratiques unifiées) croupit dans les geôles rwandaises. Son crime? Avoir osé se porter candidate aux élections présidentielles de 2010.

Depuis cette période électorale qui aura mis à nu les travers du régime, la traque aux opposants s'est poursuivie même en dehors des frontières nationales. Dans son rapport intitulé «Une répression transfrontalière. Attentats et menaces des opposants et des détracteurs du gouvernement rwandais se trouvant à l'étranger» daté du 28 janvier 2014, Human Rights Watch (HRW) note que «le FPR ne tolère pas l'opposition, la contestation ou la critique. Au cours des 19 ans écoulés depuis que le FPR a pris le pouvoir, HRW a documenté de nombreux cas d'arrestations arbitraires, de mises en détention, de poursuites judicaires, de meurtres, d'actes de tortures, de disparitions forcées, ainsi que de menaces et de manœuvres de harcèlement et d'intimidation contre des opposants du gouvernement et d'autres voix critiques.»

Faudrait-il alors garder en poche le drapeau d'une critique fondée qui remet en question ce dont l'opinion publique a été abreuvée depuis vingt ans, avec pour conséquence d'avoir longtemps fermé les yeux sur les libertés publiques et les droits de l'homme au Rwanda? Manifestement, non! Il faut plutôt s'attacher à faire triompher la vérité, au nom du respect de toutes les victimes de ce drame innommable. Et il faut s'attacher, envers et contre tous les dogmes établis, à réconcilier les Rwandais autour de leur histoire nationale en assumant son héritage sans nullement chercher à en occulter les pages les plus sombres.

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