Nous vivons une époque formidable. Une époque en perte de repères. En quête de sens. Certains, tel Olivier Bernard, alias Le Pharmachien, se réfugient dans ce qu'ils perçoivent comme la dernière chasse gardée de la vérité: la science. Mais la science, comme tout le reste, est en perte de légitimité. Pourquoi la faillite morale qui submerge nos institutions, nos religions, nos entreprises et nos médias épargnerait-elle la science? Elle est aussi la résultante d'un travail d'humains traversant une époque sans envergure.
Le Pharmachien - un de ces innombrables «Esperts» qui répètent sur toutes les tribunes «Sur ce sujet je détiens LA connaissance» - nous énonçait lors de la dernière grande messe dominicale, sans sourciller, qu'en sciences, comme en religion, il n'y a toujours qu'une seule vérité. Et cette vérité, il soutient la détenir et nous en faire bénéficier.
Le problème est que la science est en faillite... Ce n'est pas moi qui le dit, mais une partie de l'élite scientifique biomédicale mondiale, elle-même, lors d'un symposium qui se tenait à Londres en 2015, tel que rapporté par le Dr Richard Horton, éditeur en chef d'une des plus vieilles et réputées revue scientifique médicale de la planète ''The Lancet''.
«Une bonne partie de la littérature scientifique, peut-être la moitié, est sans doute tout simplement fausse. Affligée par des études sur de petits échantillons, des effets minuscules, des analyses exploratoires non valables, pétrie de flagrants conflits d'intérêts, avec de plus une obsession de participer aux tendances à la mode, mais sans importance, la science a pris un virage vers l'obscur.»
Le Pharmachien doit bien connaître l'adage: pour chaque étude scientifique qui affirme une chose; on peut en trouver une autre qui démontrera exactement le contraire... Ce qui m'inquiète bien plus, moi, c'est cette autre étude sur le même sujet qui ne sera jamais financée parce qu'elle ne va pas dans le sens des intérêts des bailleurs de fonds.
Cette autre où le commanditaire exige telle démonstration pour rendre un produit nocif conforme à la réglementation et acceptable pour l'opinion publique. Cette autre aussi qui ne sera pas publiée parce que manquant de croquant sensationnaliste... Ou encore cette autre qui sera censurée en partie ou dont les constats seront détournés pour faire dire à une partie des données ce qu'elles ne disent pas vraiment... toujours pour plaire aux bailleurs de fonds.
Il y a aussi, à notre époque de surcontemplation de nombril, ce sujet, plus porteur de potentiel de reconnaissance, que le chercheur choisira parce qu'il est tendance, plutôt qu'un autre moins dans le vent, mais plus susceptible d'être utile au bien commun.
C'est pas mal tout ça qui m'inquiète, moi, et tout ça aussi contribue à faire de la science une science pas mal moins exacte...
C'est comme Olivier Bernard et sa science qui présente les fruits et légumes biologiques ou non comme équivalents au niveau nutritionnel en occultant l'impact des OGM et du mélange des pesticides sur la santé à long terme. Qui affirme à une heure de grande écoute qu'un cola est l'équivalent d'un jus de fruits maison en ne mentionnant pas la quantité de sucre et produits nocifs qu'il contient.
On parle ici de malhonnêteté intellectuelle à coup d'images-chocs afin de se bâtir une visibilité médiatique. Si ça a marché pour Donald Trump...
De plus en plus de citoyens ne font plus confiance aux grandes entreprises telles les pharmaceutiques. Ils les sentent prêtes à les empoisonner si ça leur permet de faire sourire les actionnaires. Ces citoyens ne croient plus que leurs gouvernements les protègent contre l'avarice de ces grandes entreprises.
Le message du Pharmachien face à tout cela? Business as usual. Ne changez absolument rien. Ajoutant une plume de plus dans l'oreiller de l'assoupissement intellectuel dans la Cité ou plutôt, vu qu'il est pharmacien, un somnifère dans le coke...
Ce qui m'attriste est que cette apologie de la paresse et du statu quo fera son chemin chez les plus démunis intellectuellement et il ne fallait pas compter sur le complaisant Guy A. pour être capable de soulever la plus petite objection.
Pourtant, ce qui n'est pas statique, mais en augmentation depuis 25 ans, ce sont les allergies, l'asthme et autres maladies respiratoires, les cancers et maladies du système digestif et reproducteur, les maladies auto-immunes, les troubles d'apprentissage, de concentration et du sommeil, les dépressions et surmenages ou l'autisme. Et j'en passe. Beaucoup.
Le Québec d'aujourd'hui a bien plus besoin de remises en question profondes que de statu quo. Et c'est exactement ce que tentent les philosophes-penseurs (dans le sens de sa racine étymologique : amour de la vérité, de la sagesse) telle Josée Blanchette, dont Olivier Bernard dénonçait les propos sur la médication contre le cancer. Ils font ce que les experts sont incapables de faire : sortir de la pensée en silo corporatiste pour prendre de l'altitude. De la perspective.
Ils se prononcent à titre de citoyens de la Cité. Les experts, comme le Pharmachien, ne comprennent pas cette prise de parole. Ils considèrent que seuls les spécialistes peuvent s'exprimer dans leurs champs de compétences respectifs. Aux politiciens, la politique; aux scientifiques, la science; aux juristes, la loi.
Le problème est que le juriste, le politicien, le scientifique ou le pharmacien est avant tout un humain. Avec tous les défauts que cela comporte. Il défendra donc, dans l'ordre, son propre intérêt ensuite celui de sa corporation bien avant le bien de sa communauté.
Les Josée Blanchette de ce monde, de par leur vaste culture générale, sont capables d'exprimer des idées innovantes aussi bien sur la mort, la culture, la sexualité ou le racisme que sur la médecine ou la science. Cette faculté de faire des liens entre les disciplines de la vie (qui elle n'est jamais cloisonnée) est précieuse. C'est cette faculté de penser en dehors de la boîte qui irrite tant les spécialistes comme Olivier Bernard.
Les «Esperts» prennent de plus en plus de place dans le débat public de par l'espace grandissant que leur accordent les grands médias. Quoi que leur pertinence varie énormément, ils ont tous en commun la défense d'idées d'un conformisme navrant. Le Pharmachien n'échappe pas à cette règle, mais je crois bien que ce qui m'agace le plus de son discours est qu'il le présente comme courageux. Comme si c'était courageux de défendre les positions de l'establishment corporatif.
On peut dire que notre époque a achevé sa zombification si on en est à confondre larbinisme et subversion...
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