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Courte leçon d'étiquette à Éric Duhaime

On aime ça faire les fiers, mais la réalité, c'est qu'on hésite parfois encore à embrasser notre chum en sortant du restaurant, à tenir la main de notre blonde dans la rue ou à rentrer dans la toilette genrée qu'on voudrait utiliser.
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Salut nous, tout juste avant de faire notre sortie du placard. Ça en a pris du travail personnel pour se rendre là non? On a travaillé fort en maudit. Puis aussi, ceux d'avant, qui nous ont défriché le terrain, il faut se le dire. Mais là, ce n'est pas d'eux qu'on parle, c'est de nous. Nous, homme blanc, monsieur Tout-le-Monde, carriériste bien établi, classe moyenne supérieure, qui tient donc, se trouve aussi à être gai. Oui, on est capable de le dire maintenant: on est gai. Par contre, on ne voudrait surtout pas se réduire à ça. On est un être entier, bien plus complexe que ce qui relève seulement de l'intime. Surtout, on ne voudrait pas que le reste du monde nous réduise à ça. Alors on a gardé ça pour nous et nos proches longtemps. Sauf qu'aujourd'hui, on se sent prêts à le dire au monde. On est enfin assez surs de nous, assez établis professionnellement, assez heureux et soutenus pour s'y risquer. On va le faire. Il reste les détails.

Parce que finalement, ça nous fait quand même un peu chier, d'avoir à sortir du placard. Pas que ça nous gêne, non, ça on l'a dit, on est rendus assez sûrs de nous. Non, c'est qu'en fait, on aimerait ça que les étiquettes ne soient pas nécessaires. Qu'on soit juste des humains, peu importe notre orientation sexuelle. Ça serait tellement top ça. Mais on n'en est pas là encore. Sans s'enfarger dans les détails, on sait que les taux de suicide demeurent encore plus élevés chez les personnes LGBTQ+ que dans la population générale (on le sait parce qu'une simple recherche Google nous a fourni des dizaines d'études sur le sujet). On est donc différents. Ce qui nous a amenés à nous demander: faut-il marquer cette différence avec une étiquette ou non?

Choisir une étiquette pour nous-mêmes, c'est beau et grand comme geste ça. Se réapproprier les mots pour nous décrire, ça nous redonne le contrôle. Oui parce que d'une part, ça nous donne un sentiment d'appartenance, un groupe auquel appartenir lorsqu'on en a besoin. Parce qu'on en a tous besoin, parfois, d'appartenir. Que ce soit pour parler de livres dans un club de lecture au secondaire pendant que les autres parlent de hockey, pour se dépenser avec l'équipe de squash du bureau au lieu d'aller prendre un verre le vendredi, ou pour parler avec d'autres gais de notre homophobie internalisée qu'on a parfois de la difficulté à gérer. Ça ne veut pas dire qu'on veut faire de ça l'entièreté de qui l'on est. Ça veut juste dire d'appartenir à cette partie de nous quand on en a besoin.

On aime ça faire les fiers, mais la réalité, c'est qu'on hésite parfois encore à embrasser notre chum en sortant du restaurant, à tenir la main de notre blonde dans la rue ou à rentrer dans la toilette genrée qu'on voudrait utiliser.

D'autre part, de choisir notre étiquette à nous, c'est aussi politique. Bien oui, parce qu'en tant que minorité, choisir un mot pour nous décrire, c'est de dire à la majorité qu'on existe et qu'on veut exister selon nos termes (dans le respect de tous, bien sûr). Ça prend du temps, beaucoup de temps, mais la majorité finit par s'adapter et souvent même à adopter des codes de la minorité. Finalement, tout le monde en sort diversifié et unifié. Mais pour se rendre là, il faut d'abord que la minorité existe en toute liberté. Et on le sait nous, malgré les apparences, la minorité LGBTQ+ n'en est pas encore là. On aime ça faire les fiers, mais la réalité, c'est qu'on hésite parfois encore à embrasser notre chum en sortant du restaurant, à tenir la main de notre blonde dans la rue ou à rentrer dans la toilette genrée qu'on voudrait utiliser. On hésite même durant des années à révéler à notre public notre différence de peur qu'il nous quitte. Parce que oui, le système est maintenant généralement de notre côté, mais la loi de la rue la nuit ne suit pas toujours ce que dicte le système. Bref, nous sommes conscients de ces enjeux et si nous aimerions ne plus avoir à nous identifier, nous savons que nous en sommes pas encore là. Comme nous voulons maintenant faire partie du mouvement, nous allons donc nous rendre visibles. Nous l'avons compris, l'étiquette ne nous divise pas, elle expose notre diversité. Nous l'avons décidé : nous allons sortir publiquement du placard.

Il faut savoir que nous ne sommes pas n'importe qui. On sera écouté. On sait qu'on partage un pan de notre vie privée et qu'on sera respecté pour ça de toute façon, mais on tient tout de même à bien faire les choses. On l'annoncera simplement, sans grande pompe, pourquoi pas en racontant une simple anecdote concernant notre amoureux. Puisque c'est là le cœur de notre point de vue: notre sexualité ne devrait pas nous définir, nous ne nous étendrons donc pas sur le sujet. L'important pour nous, c'est d'être visible et de donner un modèle de plus aux jeunes LGBTQ+ ainsi qu'au reste du monde. Pour ne pas perdre de notre crédibilité, nous n'userons pas de sensationnalisme ni ne tenterons de monnayer notre révélation. Après tout, ayant été dans le placard jusqu'à présent, nous ne sommes pas vraiment au courant du travail que font les divers organismes du mouvement. Aussi, si nous faisons notre sortie du placard aussi librement aujourd'hui, nous savons que c'est grâce au courage d'anciennes figures de proue du mouvement et nous ferons donc attention de ne pas cracher sur leur travail. Évidemment, nous pouvons être en désaccord avec eux ou les critiquer modérément, mais nous savons que nous ne sommes qu'une panoplie de personnes œuvrant dans la même direction. Et que nous allons, du jour au lendemain, faire partie de cette panoplie de personnes LGBTQ+. Surtout. Surtout, nous n'oublierons pas de profiter de notre tribune pour diriger les jeunes vers des ressources spécialisées, pensons à Tel-Jeunes ou Gai Écoute, puisque si le système est de notre côté, les victimes existent encore et des drames personnels se jouent chaque jour. Quelle folie ça serait d'aller retirer à un jeune son droit de parfois se sentir victime, à tout le moins différent, quand il est en pleine construction de son identité.

Nous sommes nouveaux dans cette arène un peu folle du mouvement LGBTQ+ et c'est donc probablement ce qu'on peut faire de mieux à l'occasion de notre première sortie médiatique sur le sujet: offrir des ressources à ceux qui en ont besoin. Après tout, nous aurons probablement par la suite bien des occasions d'intervenir, et ce de façon éclairée par un nouveau point de vue post-sortie du placard. Qui sait comment le monde, ou notre perception de celui-ci changera ou non après? Qui sait comment les témoignages de personnes LGBTQ+ non-hommes, blanches et aisées modifieront notre vision de la vie au travers de notre expérience commune? C'est l'inconnu qui nous attend après tout!

Bref, nous avons maintenant le courage de parler et nous en sommes fiers: cela nous revient entièrement et c'est louable. Nous allons sortir du placard. Cependant, aussi bien demeurer ouvert au dialogue et ne pas prendre position trop solidement... Après tout, si nous ne participons pas activement pour l'instant, au moins, nous ne nuirons pas.

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