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Et si les jeunes d'aujourd'hui avaient raison?

C’est facile de juger vos choix quand on les regarde avec nos lunettes de vieilles, mais honnêtement, j’échangerais mes 20 ans contre les vôtres n’importe quand.
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Je vous envie tellement pour cette douce liberté, cette nonchalance et cette belle légèreté qui vous permet de décrocher sans aucune culpabilité.
AleksandarGeorgiev via Getty Images
Je vous envie tellement pour cette douce liberté, cette nonchalance et cette belle légèreté qui vous permet de décrocher sans aucune culpabilité.

C'est drôle de voir comment ma génération a été éduquée dans le moule du travail à tout prix. Il fallait aller garder quand on avait 13 ans, il fallait aller à l'école longtemps pour avoir une bonne job plus tard, il fallait se trouver un chum qui avait de l'avenir dans une belle profession, il fallait étudier, travailler, étudier, travailler. Nos parents travaillaient, ils avaient deux semaines de congé l'été et ils recommençaient. On jugeait ceux qui ne faisaient pas 40 heures semaines en disant qu'ils étaient nonchalants.

Je pense que nos boomers sortaient de grosses familles avec un salaire de crève-faim, 3-4 enfants entassés dans les chambres, entassés sur les banquettes de char. Le bouillon était clair et le beurre se faisait rare. Ils nous ont élevés avec le travail en priorité parce que pour eux c'était la liberté. Le rêve américain, la petite maison dans un beau quartier, deux enfants qui ne manqueraient de rien, un chien, et un voyage quelque part à la retraite quand les enfants seraient enfin bien installés dans leur beau quartier avec deux enfants et un chien.

On a travaillé pendant le cégep, l'université. On a travaillé tout l'été, pendant les Fêtes, la relâche scolaire. On a travaillé pour répondre à l'idée d'un monde où on atteindrait le modèle parfait d'une vie réussie.

Quand on regarde les vingt ans d'aujourd'hui, du premier coup, on les juge à grand coup de «moi-dans-mon-temps». Moi, dans mon temps, je travaillais tout le temps, j'avais de l'argent. L'été, on ne se pognait pas le beigne, et quand on avait congé d'école, il n'était pas question de s'amuser. On rajoutait des heures à nos dispos, on se dépêchait de remplacer un collègue.

On les juge parce qu'ils travaillent 3-4 jours semaine, parce qu'ils veulent une job qui va leur permettre d'aller au gym, parce qu'ils prennent des congés différés pour aller visiter l'Europe pour partir en sac à dos pour voyage en Amérique Centrale, parce qu'ils ne prennent pas de remplacement pendant un mois pour emménager dans leur nouvel appart, pour le rénover et se faire des meubles de patio en bois de palette usagé, parce qu'ils ne rentrent pas des fois juste pour profiter du passage d'une amie qui débarque à Montréal le temps d'une escale entre New York et le Sénégal.

On les juge parce qu'on ne comprend pas comment ils font. L'argent, l'argent, l'argent, toujours l'argent. Les REER, les placements, la retraite, et un compte de sécurité pour les imprévus qui risqueraient d'arriver peut-être un moment donné.

Crisse, ils ont compris. Ils ont compris qu'on a juste une vie et que c'est poche de juste la travailler. Ils ont compris qu'on a un monde entier à visiter et que pour en faire le tour, il faut prendre congé. Ils ont compris que ce n'est pas parce que t'en fais plus que t'en as plus, qu'un imprévu, ça reste un imprévu et que si ça arrive on va se débrouiller. Ils ont compris que vivre pour du 8 à 4, c'est crissement plate.

Je fais partie de ceux qui se sentent coupables de faire moins d'heures, qui se questionnent avant de refuser des heures supplémentaires qui me donneraient un peu plus d'argent sur ma paye en me disant que je devrais peut-être dire oui. Chaque année, j'en place un peu, mais je ne sais même pas vraiment pourquoi.

Je les regarde aller, ils ne manquent de rien. Ils ont 24 ans, ils ont vu l'Asie, l'Europe, ont fait des safaris, parcouru la côte ouest américaine. Leurs comptes Instagram sont à l'image du monde pendant que le mien affiche des photos de mes chiens ou bien de mes pieds devant l'écran de la télé.

Leurs comptes Instagram sont à l'image du monde pendant que le mien affiche des photos de mes chiens ou bien de mes pieds devant l'écran de la télé.

On leur reproche de prendre un an de congé après leur diplôme, de s'absenter pour une journée de ski, de prendre un remplacement qui finit à midi pour profiter de la plage un mercredi d'été. Ils prévoient leur année en évaluant la possibilité d'un six mois différés afin de partir quelque part sans horaire sans itinéraire. Ils ont vingt ans, ils voyagent en sac à dos, ils accrochent leur hamac sur le terrain d'une auberge de jeunesse et ils s'endorment en écoutant l'océan Pacifique, pendant qu'ici on trouve le sommeil à grands coups de somnifères, on ne prend pas le temps parce qu'on est brulé, on n'a même pas de temps pour profiter de nos enfants, de nos parents.

Pourtant.

Je n'ai jamais lâché l'école, je n'ai jamais arrêté de travailler sauf pour deux congés de maternité, j'ai work-work-work comme on m'avait dit et là, sur Instagram, je mets des photos de ma coupe de vin à coté d'une assiette de spaghetti pendant que mes petites collègues de 23 ans publient des selfies pris en plongé quelque part aux Antilles avec des poissons que je ne verrai jamais en vrai.

Un bel avenir, c'est quoi exactement ?

Ils se permettent une belle jeunesse avec un passeport bien rempli, apprennent la vie à même la vie, sans culpabilité, même pas quand une matante comme moi leur dit qu'ils devraient travailler pour s'assurer un bel avenir... Un bel avenir, c'est quoi exactement ? Si c'était de travailler six mois pour s'en payer un de congé, si c'était d'avoir le courage de voyager léger, de «go with the flow», si c'était de s'arrêter de tourner un an pour passer le plus de frontières possible avant d'avoir 30 ans, de ramener en souvenir un nouveau tatouage issu de chaque nouveau pays, si c'était de prendre congé uniquement pour le plaisir de s'amuser.

Mon garçon de 18 ans habite dans les Maritimes pour le hockey, il apprend pas mal plus que ce qu'il aurait appris au cégep. Ma fille de 16 ans a déjà voyagé pas mal plus que ce que moi j'ai vu dans toute ma vie. Sur son Instagram, il y a le Grand Canyon, Las Vegas, les plages de Los Angeles et en mars, c'est Paris qu'on va retrouver sur ses photos, la Suisse, et l'Allemagne.

Nos jeunes de 20 ans changent la donne, ils revoient les priorités.

Nos jeunes de 20 ans changent la donne, ils revoient les priorités. Le rêve américain était bien plate finalement. On les dit individualistes, immatures, irresponsables, sans plan de vie ni plan de carrière, et bien moi je leur dis Go ! Je les trouve débrouillards, autonomes, allumés et organisés dans toute leur spontanéité. Allez-vous-en pendant que c'est le temps ! Il n'y a rien de mieux qu'un petit appart en gang, meublé de restants de vente de garage, sans crédit, un petit char qui mène du point A au point B et plein d'anecdotes à raconter.

C'est facile de juger vos choix quand on les regarde avec nos lunettes de vieille, mais honnêtement, j'échangerais mes 20 ans contre les vôtres n'importe quand. Je vous envie tellement pour cette douce liberté, cette nonchalance et cette belle légèreté qui vous permet de décrocher sans aucune culpabilité.

Je ne crois pas qu'on peut prévoir le déroulement de sa vie des décennies à l'avance, je pense que c'est une bonne affaire de la vivre comme si c'était des vacances.

Avril 2018

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