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Ne prenez pas aux riches pour donner aux pauvres!

Du 23 au 27 janvier se tenait à Davos le Forum Économique Mondial. À cette occasion, Oxfam International a présenté un rapport largement repris, dans lequel est dit que l'extrême pauvreté dans le monde serait "éradiquée quatre fois avec le revenu annuel des 100 plus riches personnes du monde".
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Du 23 au 27 janvier se tenait à Davos le Forum Économique Mondial. À cette occasion, Oxfam International a présenté un rapport largement repris, dans lequel est dit que l'extrême pauvreté dans le monde serait "éradiquée quatre fois avec le revenu annuel des 100 plus riches personnes du monde".

Malheureusement, la pauvreté étant un phénomène multidimensionnel et dynamique, il ne peut être éradiqué par une simple équation comptable. Mais au-delà de la discussion du rapport lui-même, se pose alors une question simple: pourquoi donc les plus riches de ce monde ne feraient pas don ne serait-ce que d'un quart de leur fortune afin de contribuer à réduire les inégalités extrêmes?

Homo œconomicus et homo status

Ce n'est pas la première fois que l'appel est fait aux plus riches afin qu'ils fassent acte de charité.

Dans une interview de 1996 déjà, Ted Turner (CNN) déclarait que les milliardaires étaient corrompus par le Forbes 400, la liste des 400 plus grosses fortunes du monde: s'ils ne donnaient pas, c'était par peur de ne plus être classés et de voir leur rang et leur statut se réduire. Depuis quelque temps, effectivement, les économistes ont remplacé l'homo œconomicus traditionnel, calculateur et égoïste, mais seul, par l'homo status, un individu qui se soucie de son rang à l'intérieur du groupe dont il fait partie.

Ce n'est pas pour autant que nous nous sommes retrouvés dans un monde meilleur: si l'homo œconomicus était heureux grâce à ses diverses richesses absolues, l'homo status est lui heureux de manière relative, sa satisfaction dépendant du fait qu'il détienne quelque chose de plus que les autres.

Il y a alors dans son monde un jeu à somme nulle: si certains sont premiers, certains autres sont derniers et plusieurs personnes ne peuvent bénéficier du même statut relatif. Si on veut augmenter la richesse des uns (par exemple les pauvres), dans ce monde unidimensionnel, il faut obligatoirement réduire la richesse des autres (par exemple les 100 plus riches). Et alors les riches vont percevoir cette perte de statut comme du vol.

La course au statut est inhérente

Par exemple, en 2005, lorsque la Norvège arriva seconde après la Finlande dans le Yale Environmental Sustainability Index, le Premier ministre, au lieu de célébrer cet excellent résultat, convoqua un groupe de travail afin de trouver une solution pour dépasser la Finlande.

Les individus se comparent entre eux, sont sensibles à leur statut et ceci fait partie de leur nature et influence leur bonheur.

Les individus s'engagent donc dans une course à la satisfaction ou au bonheur, avec un perdant et un gagnant, et cette course épuise des ressources (temps, argent) et peut donc avoir des effets qui finalement réduisent le bonheur de tous: les individus sont capables et disposés à dépenser des ressources pour avoir un classement supérieur aux autres (dans le domaine des salaires, des emplois, de la taille de leur bureau, du montant de leur prime, du mode de vie, etc.), des ressources qu'ils auraient mieux fait d'allouer à des causes humanitaires par exemple.

Dimension et groupe de comparaison

Serait-il possible de transformer ces situations à somme nulle en situations qui améliorent le bonheur de tous?

La réponse des analyses économiques classiques est non. Mais le statut, qui est si important dans nos sociétés, a deux composantes: la dimension sur laquelle on se compare (salaire, beauté, responsabilités, etc.) et le groupe de référence dans lequel on opère cette comparaison (famille, collègues, voisins, etc.).

On ne peut rien faire pour que les individus arrêtent de se comparer. Par contre, on peut manipuler ces deux dimensions pour créer des externalités positives! La réponse de l'économie comportementale peut donc être oui! Voici deux solutions simples à mettre en place.

  • Une première solution consisterait simplement à accroitre le nombre de dimensions sur lesquelles les individus se comparent.

Les preneurs de décision pourraient facilement implémenter cette technique, puisque nous vivons dans un monde de domaines et de spécialisations: au lieu de proposer, par exemple, dans une entreprise, des primes pour le meilleur employé, une prime pourrait être accordée à celui qui a fait le plus gros chiffre, une autre prime à celui qui a passé le plus d'heures au bureau, une prime pour celui qui a eu le plus de contacts professionnels dans le mois, etc. Tous les individus qui se verraient attribuer ces primes seraient premiers sur leurs dimensions et donc heureux!

Nous trouvons toujours des solutions de remplacement qui nous permettent de rester optimistes. N'avons-nous jamais expliqué à des collègues mieux payés que nous travaillions par plaisir et non pas pour un salaire? De cette manière, si on regardait les riches sous une autre dimension que la montant de leur richesse monétaire? Au lieu de taxer les gros revenus, on accéderait à plus d'efficacité économique si on créait le prix de la plus grosse fortune qui est restée en France.

Permettons-leur, aux riches, d'avoir une autre dimension et ils nous rendront heureux!

  • Une deuxième solution consisterait à accroître le nombre de groupes de référence dont un individu fait partie.

Le groupe de référence le plus cité pour les comparaisons interpersonnelles est celui des collègues de travail; c'est en effet au travail que l'on envie le plus les uns aux autres les avantages visibles: un tel collègue a un bureau plus agréable, celui-ci un poste plus intéressant, celui-là plus d'attention de la part de notre hiérarchie. Quand dans une entreprise il existe par exemple un seul poste de directeur, il est difficile que plusieurs personnes qui font la course au statut l'obtiennent.

L'essai de fusion entre Glaxo Wellcome and SmithKline Beecham, par exemple, a failli après des négociations longues, parce que les deux CEO n'ont pas réussi à trouver un accord sur lequel d'entre les deux allait prendre la direction générale: ce genre de fusion réduit le nombre de postes à haut statut, et ce type de situation a aussi été observée l'année dernière dans les processus de fusion que connaissent beaucoup d'écoles de commerce en France.

Un manager devrait donc donner la possibilité aux employés de créer tous les types imaginables d'associations, de clubs ou d'unions: et si tout le monde devenait responsable de quelque chose? Automatiquement, plus de positions de haut statut à l'intérieur de ces structures seraient disponibles et donc plus de bonheur serait créé!

Améliorer les courses au statut

Mais revenons aux riches, aux courses au statut, et à Ted Turner.

Ce que Ted Turner proposait était justement la création d'un classement parallèle à Forbes 400: le Slate 60, classant les 60 plus importants donateurs. C'est à l'époque du Slate 60 que les plus grosses fortunes de ce monde ont transformé la course, vicieuse, au statut par la richesse, en une course vertueuse au statut par le don, en créant des fondations ou en donnant 90% de leur fortune afin d'occuper les rangs supérieurs dans ce classement!

Dans le monde des écoles, en 2008, les écoles françaises, mal positionnées dans le classement de Shanghai, ont gagné des places dans le nouveau classement proposé par l'École des Mines, qui remplaçait certains critères de Shanghai (nombre de Prix Nobel) par des critères d'employabilité sur des postes de CEO, par exemple.

Avant donc de rester sur nos positions de Robin des Bois et continuer de voler aux riches pour donner aux pauvres, en essayant de réduire de manière illusoire les inégalités, pensons à des mécanismes efficaces et gratuits, qui se basent sur des défauts que les individus ont déjà (dont celui de vouloir être "premiers quelque part"), mais sans essayer de les corriger: offrons aux riches la possibilité d'être premiers partout, y compris sur le don charitable!

8: Québec: 22 %

Les écarts entre riches et pauvres dans les grandes villes canadiennes

Pour aller plus loin:

Gilles Grolleau, Igor Galochkin, Angela Sutan: Escaping the zero-sum game of positional races, Kyklos, Vol. 65, November 2012, No. 4, pp. 464-479

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