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La parité appliquée au jihad

Après avoir longtemps été considérées comme des victimes, puis comme des complices ou des manipulatrices, les femmes ont pris toute leur place dans le terrorisme contemporain.
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Comme souvent en matière de criminalité ou de terrorisme, ce qui semble nouveau est souvent ce que nous avons oublié.

Si la place des femmes dans le monde arabo-musulman souffre d'un manque d'égalité criant pour des Occidentaux (qui eux mêmes n'ont longtemps guère brillé en la matière, mais essaient de se rattraper), l'apparition de «girl band terrorists» n'est pas si innovante que cela.

David Cook rappelle dans son remarquable article de 2005 sur le sujet qu'un ouvrage d'Abd al-Ghani al-Maqdisi traite même des mérites de plusieurs femmes guerrières accompagnant le prophète durant l'hégire: Nusayba, fille de Ka'b, qui fut blessée menant le combat avec quatre autres femmes lors de la bataille d'Uhud en 626. Ou Safiya, tante du prophète, qui se battra lors de la bataille de Khandaq en 627, l'épée à la main. Aliyya Mubarak, dans Sahabiyyat mujahidat, a également établi une liste de 67 femmes qui combattirent avec le prophète durant ses périples.

Le travail des légistes du Coran a largement sous-estimé ou ignoré ces éléments mais, depuis les années 1980, on trouve de plus en plus de commentaires sur le rôle des femmes dans le jihad. Le travail de Muhammad Khayr Haykal dans Al-Jihad wa'l Qital fi as-Siyasa ash-Shar'iyya (Le jihad selon la charia) publié en 1993 prévoit expressément des possibilités pour les femmes de se battre de manière volontaire, même s'il considère que leur préparation au combat devrait être obligatoire.

De nombreuses femmes issues du monde arabo-musulman s'étaient engagées dans des actions violentes, notamment pour les organisations nationalistes palestiniennes. La première «kamikaze» (ce terme n'a en réalité guère de sens, le groupe État islamique parle plutôt d'inghimasi) moderne apparaît en 1985 au Liban. Depuis, les femmes Tigres de l'Eelam tamoul (LTTE), les militantes du PKK kurde, apparaissent essentiellement comme des militantes politiques et n'entraient pas sur le terrain religieux.

Les femmes ont pris toute leur place dans le terrorisme contemporain.

Il faudra attendre le conflit tchétchène pour que des femmes croyantes et pratiquantes soient invitées à rejoindre les unités combattantes, et pas seulement les groupes de support. La question de la possibilité de femmes agissant comme des commandos suicides restait en suspens, sauf si celles-ci «conservaient des vêtements appropriés» selon un jurisconsulte dévoué. Les implantations dans les territoires palestiniens de groupes islamistes, les conflits tchétchène, bosniaque, afghan, nigérian, etc., allaient changer la donne.

Ainsi, Nawaf al-Takuri, dans son recueil al-'Amaliyyat al-istishhadiyya fi al-mizan al-fiqhi sur la légalité des opérations martyres, trouve une dizaine de fatwas autorisant la participation des femmes provenant de prédicateurs divers, dont certains issus de la faculté d'al-Azhar.

En 2003, Yusef al-Ayeri, un Saoudien proche de ce qu'on croit devoir appeler Al-Qaïda, publiait Dawr alnisa' fi jihad al-'ada' (Le rôle des femmes dans le jihad), soulignant que les femmes peuvent aider le jihad et y participer même sans le consentement de leurs parents, ce qui supprimait l'un des derniers obstacles à une participation pleine et entière.

Nelly Lahoud, dans son étude sur Le sexe négligé, l'exclusion jihadiste des femmes du jihad, citait en exergue de son document une citation du fondateur de ce qui allait devenir le «Front islamique mondial pour le djihad contre les juifs et les croisés» (improprement appelé «Al-Qaïda»), Abdullah Azzam: «la participation des femmes au jihad est possible selon la charia, mais ouvrir cette porte créera un grand mal».

Si la situation d'adolescentes montant au jihad ou de femmes kamikazes s'est intensifiée depuis, seul Boko Haram a lancé des fillettes de moins de dix ans pour commettre des attentats-suicides, en général dans des marchés contre des populations essentiellement civiles.

Ainsi, contrairement à ce qui se dit et se proclame ici et là, il n'y a pas de nouveauté particulière dans «l'administration de la barbarie» chère à l'État islamique. Il s'agit au contraire d'une constante historique, renforcée par l'émergence d'un nouveau féminisme par la violence qui surprend autant maintenant, qu'hier la revendication du voile dans un collège ou l'apparition du niqab, voire de la burqa, tant les Occidentaux voyaient ce processus comme celui inverse de leur volonté d'une émancipation des femmes, alors que certaines de celles-ci considèrent qu'elles redeviendraient par l'usage des différentes formes de voile plus respectables dans un univers de la consommation et de la pornographie qui les opprimerait.

Si nous expliquons depuis longtemps que l'interprétation salafiste des textes sacrés musulmans ouvre la voie à une occultation des femmes dans les sociétés occidentales ou occidentalisées, le passage au terrorisme semblait bloqué par ce même processus. Le verrou avait sauté dans les espaces ou l'islam est majoritaire. La Russie avait subi, du fait de sa politique en Tchétchénie, les premières manifestations en Occident dès 2002 au Théâtre Doubrovka de Moscou, puis dans son métro. Les États-Unis ont connu leur première attaque de ce type à San Bernardino en décembre 2015. De nombreuses femmes, filles, amies de terroristes ont été identifiées dans les groupes responsables des attentats de 2015 à Paris, et depuis.

Après avoir longtemps été considérées comme des victimes, puis comme des simples complices, ou des manipulatrices qui ne voulaient pas se salir les mains, les femmes ont pris toute leur place dans le terrorisme contemporain.

Alain Bauer est professeur de criminologie au Conservatoire National des Arts et Métiers, New York, Shanghai et Beijing. Prochain ouvrage : ABC de la criminologie, Cerf 2016.

Ce billet a initialement été publié sur le Huffington Post France.

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