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«Ouvrir la voix»: je suis une femme noire, ça te pose un problème?

Un documentaire nécessaire.
Enrico Bartolucci

En 2018, être une femme noire en Europe demeure toujours aussi compliqué. Entre les stéréotypes postcolonialistes, les discriminations systématiques et les discours racistes, beaucoup crient leur douleur en silence. Avec Ouvrir la voix, la réalisatrice afro-féministe Amandine Gay leur tend le micro. Un documentaire nécessaire.

Elles sont une vingtaine d'afro-descendantes à avoir accepté de passer devant la caméra d'Amandine Gay. À chacune ses difficultés de vivre en tant que femme noire en France ou en Belgique. Il reste que les témoignages et anecdotes recueillis font froid dans le dos. Tour à tour, elles racontent leur invisibilité, la déshumanisation et les fantasmes exotiques dont elles sont victimes. Terrifiant, depuis l'enfance, elles savent toutes qu'elles devront se battre plus fort que les autres (blancs) parce que née noire.

«Très tôt dans ma vie, j'ai moi-même vécu le racisme, a lancé Amandine Gay en entrevue. Déjà, quand je voulais être actrice, les rôles misérabilistes auxquels j'avais droit se résumaient à prendre l'accent africain ou antillais pour interpréter soit une prostituée, une migrante, une prisonnière ou une danseuse nue. J'en ai eu ras le bol de tous ces clichés raciaux, alors, j'ai décidé de mettre un terme à ma carrière de comédienne pour devenir cinéaste.»

Son sourire radieux ne doit pas cacher les tribulations qu'il aura fallu traverser pour écrire, réaliser et distribuer son premier documentaire. À 33 ans, la réalisatrice et sociologue a plusieurs fois douté, mais l'obstination a fini par payer et la voilà qui savoure maintenant sa victoire.

«Cela représente la synthèse de dix années de travail. Rien n'a été facile. Les institutions n'ont pas voulu financer le projet. Les producteurs, en majorité des blancs dans la cinquantaine, n'en ont pas voulu et beaucoup nous ont mis des bâtons dans les roues», a-t-elle regretté.

Des femmes fortes et résilientes

Malgré les obstacles, elle y croit et réussit à trouver l'argent nécessaire par l'entremise du sociofinancement. «Après avoir tenté d'être comédienne et scénariste, je voulais faire quelque chose avec mes propres moyens et l'idée de ce long-métrage est arrivée suite à mes études et mon implication pour la cause noire.»

Militante antiraciste, la jeune femme, adoptée puis élevée dans une famille blanche, n'a pas voulu d'un documentaire comique défendu à travers le prisme de la blague comme on le voit souvent dans le monde du spectacle où le noir doit toujours se présenter dans le mode de l'humour. «Il n'y a rien de drôle envers ce que vivent les noirs en France en ce moment. Il n'y a aucune statistique ethnique en Hexagone, donc les problèmes que vivent les noirs ou autres minorités sont mis sous le tapis. Dans ce pays, on veut croire en la méritocratie qui, dans les faits, n'existe pas.»

Sans jamais faire preuve de victimisation, Amandine Gay n'a pas non plus réalisé une œuvre triste. Bien au contraire, pendant deux heures, on découvre les prises de parole de personnes fortes et résilientes. Elles affirment surtout leur volonté de se battre et de ne jamais courber l'échine.

«Je voulais filmer des femmes telles que je les connais. Elles vivent leur vie. Elles sont hétérosexuelles ou homosexuelles. Certaines sont artistes d'autres ingénieures. Elles ont des parcours de vie différents, mais sont toutes à mille lieues des préjugés qu'on leur impose.»

L'entrevue a été réalisée à Paris grâce à l'invitation d'Unifrance.

Ouvrir la voix – Amandine Gay – Documentaire – EyeSteelFilm – 122 minutes – Sortie en salle le 9 février 2018 – France.

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