Enfants témoins, enfants victimes, parfois acteurs des guerres... Leurs dessins sont si parlants que le Haut Commissariat aux réfugiés et l'association Zérane ont choisi de les exposer à la Médiathèque André Malraux de Strasbourg.
Jusqu'au 16 décembre, les visiteurs peuvent découvrir "Déflagrations", des dessins issus de conflits depuis la Première Guerre mondiale, jusqu'à la guerre en Syrie et au Soudan.
Pour la commissaire de l'exposition, Zérane Girardeau, "'Déflagrations' a pris sa source dans le temps long de la guerre en Syrie qui s'installe, jours après jours, années après années. Les enfants sont là au cœur de toutes ces violences de masse, en Syrie, au Yémen, en Irak, au Nigéria, en Birmanie, au Soudan du Sud... comme ils l'étaient en Espagne, à Hiroshima, à Terezin, au Cambodge, au Guatemala.
Sur leur expérience totale de la violence, où est leur parole, que nous livrent-ils, que nous enseignent-ils? Pour moi, c'était là, dans cette "hauteur d'enfant" que notre œil pouvait s'arrêter et se déplacer autrement, et ce mouvement-là pouvait nous aider à nous approcher autrement de l'expérience de la violence et de la cruauté. Je me suis mise au travail avec la volonté de constituer une documentation de dessins d'enfants au cœur des violences de masse depuis la Première guerre mondiale."
Des grands noms ont accompagné cette exposition, à l'instar de Françoise Héritier, disparue récemment, marraine de l'événement, ou bien du dessinateur Enki Bilal et de l'historienne Manon Pignot, spécialiste de l'enfance en guerre au XXe siècle.
Les enfants, victimes directes
"Au-delà d'être des victimes collatérales, précise Zérane Girardeau au HuffPost, les enfants sont aussi devenus des cibles directes dans ce siècle traversé. Les enfants sont tués, ils vivent la mort de leurs proches, ils sont blessés, mutilés, ils vivent l'exil et les privations, ils vivent parfois l'impossibilité de leur entourage proche à prendre soin d'eux, ils sont enrôlés eux-mêmes dans des groupes armés, ils ne sont en rien épargnés par le trauma."
"Lorsque l'enfant rencontre l'événement traumatique avec sa propre mort et/ou celle de des proches, lorsque les règles mêmes de l'humain sont saccagées, c'est tout son monde qui s'effondre, sa confiance en l'autre et en un monde protecteur. Les dessins où les enfants représentent des scènes de massacres de populations civiles -avec toute la précision des sévices corporels- nous projettent dans la déshumanisation. Impossible de contourner la question des conséquences psychotraumatiques infantiles."
Dessiner est un geste de créativité, de narration, de lien, de soin... de vie, plus encore quand toutes les valeurs et les représentations du monde ont volé en éclats.
Les enfants nous propulsent dans le cœur de l'humain
"Les enfants n'en finissent pas de représenter les corps dans leurs dessins, continue Zérane Girardeau. Et là aussi, quand nous pouvons être tenté de mettre à distance toutes les atteintes portées au corps dans les violences de masse, les enfants nous ramènent au cœur de l'expérience de la guerre et de ses armes: ils dessinent les corps dans l'effroi (les signes graphiques de l'effroi sont un peu partout), les corps morts, les corps bombardés, les corps exécutés...
Si nous devions regarder ces mêmes scènes photographiées ou filmées, elles deviendraient insoutenables. C'est le langage intime du dessin qui va nous faire approcher de ces scènes et imaginer cet instant de l'inhumain au cœur de l'humain."
Plus de 50% des réfugiés sont des enfants
Les enfants représentent plus de 50% des réfugiés. Cette proportion est déterminante dans certains conflits, selon Céline Schmitt, porte-parole du Haut commissariat aux réfugiés, co-organisateur de l'exposition. "Deux tiers des réfugiés du Soudan du Sud sont des enfants de moins de 18 ans, précise-t-elle. Les enfants de moins de cinq ans, particulièrement vulnérables aux maladies et à la dénutrition, représentent près d'un réfugié sur cinq. La plupart sont arrivés en Ouganda, au Kenya, en Éthiopie et au Soudan."
"Au Soudan du Sud, plus d'un millier d'enfants ont été tués ou blessés depuis l'éclatement du conflit en 2013 et l'on estime qu'environ 1,4 million d'enfants ont été déplacés à l'intérieur du pays. Près des trois quarts des enfants du pays ne vont plus à l'école. C'est la plus forte proportion d'enfants déscolarisés dans le monde."
"Plus de 75 000 enfants réfugiés en Ouganda, au Kenya et en Éthiopie ont passé les frontières du Soudan du Sud seuls ou après avoir été séparés de leur famille." Donner une mémoire, une parole et un statut à ces enfants, acteurs de l'Histoire, voilà le pari que cette exposition relève.
Ce texte a été publié originalement dans le HuffPost France.
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