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«Tsunamis», un nouveau souffle littéraire pour Michel Jean

L'écrivain publie son 10e livre et dévoile une plume plus efficace et subtile que jamais.
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Décembre 2004, un tsunami s'abat sur l'Asie du Sud-est, tuant des centaines de milliers d'habitants, détruisant des villes entières et harnachant les mémoires à jamais. Quelques heures plus tard, le reporter Jean-Nicholas Legendre s'envole vers le Sri Lanka pour couvrir les ravages de la catastrophe et mettre en lumière la guerre civile entre la majorité cinghalaise et les Tigres tamouls. Un mandat qu'il a accepté pour s'éloigner du Québec, là où sa femme et sa fille ont été assassinées, au terme d'une série de reportages dérangeants qu'il avait réalisés.

Brisé, le journaliste est peu à peu confronté à la souffrance qu'il veut taire, alors qu'il s'enfonce dans la jungle, tantôt pour rencontrer un haut dirigeant tamoul, tantôt pour fuir une attaque-surprise. Son histoire, haletante et poignante, est celle qu'a imaginée Michel Jean, lecteur de nouvelles à TVA et correspondant à l'étranger depuis plus de 15 ans. Mélangeant des souvenirs extrêmement précis de sa présence au Sri Lanka et une bonne dose de fiction, l'écrivain publie son 10e livre et dévoile une plume plus efficace et subtile que jamais.

En tant que journaliste, quels sont les avantages et les dangers de raconter l'histoire fictive d'un reporter?

Je suis allé au Sri Lanka dans les mêmes circonstances que Jean-Nicholas. J'ai fait les mêmes rencontres, sans être attaqué cependant. Je connais les contraintes et les codes, et je sais jouer avec ça. Mais il y a toujours le danger d'être complaisant et de trop lui donner la belle part. Je ne voulais pas qu'il soit James Bond. Quand il se ramasse dans la jungle, Kamala la Tigre Noire et Apsara sa «guide» sont plus fortes que lui. Il est dépassé par les événements.

Pourquoi voulais-tu retrouver Jean-Nicholas, qu'on avait découvert dans Un monde mort comme la lune?

Je m'ennuyais de lui. Je l'aime. Il a les mêmes valeurs professionnelles que moi et une intégrité au plan personnel que j'admire. Je l'ai retrouvé dans la nouvelle que j'ai publiée dans le recueil Pourquoi cours-tu comme ça et il apparaît aussi comme personnage secondaire dans mon roman La belle mélancolie. Avec lui, je pouvais retrouver un style d'écriture plus enlevant, même si ce n'est pas un polar.

Avec tous les événements internationaux que tu as couverts, pourquoi avoir choisi l'après-tsunami et le conflit civil comme trame de fond?

Le Sri Lanka est un pays qui me fascine. C'est un joyau au milieu de l'océan indien. C'est la nature dans ce qu'elle a de plus luxuriant, avec la jungle, les montagnes, les plages et la mer turquoise. À l'époque, j'avais été marqué par le contraste entre cette beauté et les horreurs du tsunami et de la guerre civile. Je pense aussi qu'en tant que Québécois, les lecteurs vont avoir un regard différent sur la situation minoritaire des Tamouls. Et j'aime faire découvrir aux gens un pays et une société méconnue.

Jean-Nicholas part-il là-bas en espérant rallumer quelque chose d'éteint en lui?

Il part d'abord parce qu'il n'est plus capable de rester avec lui-même. C'est l'histoire d'un homme brisé qui sera confronté à des événements l'amenant au bord de l'abime et lui permettant ultimement de revivre. J'ai souvent remarqué que les gens qui vivent des drames personnels ne sont pas capables de passer à autre chose, tant qu'ils ne réussissent pas à voir un sens à tout ça. Jean-Nicholas est un peu comme les gens que j'ai côtoyés dans mon travail : son esprit n'est pas capable de comprendre ce qui lui est arrivé.

Il a perdu sa femme et sa fille à cause du journalisme d'enquête. Est-ce que ton travail a déjà eu des répercussions négatives dans ta vie?

Un jour, j'avais fait une série de reportages au Téléjournal sur les trafiquants de pot à Pierreville, et la police était débarquée là-bas. Par la suite, alors que je joggais en pleine campagne, un char me suivait. J'ai consulté un policier et il m'a dit que si on voulait me tuer, je serais déjà mort. Ils voulaient seulement me faire peur.

Crains-tu les représailles?

Oui. La possibilité existe. Mais je crois à la responsabilité des journalistes de faire notre travail. Si les criminels s'en prennent à nous, ça va leur coûter plus cher. Et il faut dire que les risques d'être tué comme média sont plus faibles au Québec. À un moment donné, il faut que tu prennes sur toi. À l'étranger, c'est autre chose. Quand tu es un envoyé spécial, tu dois comprendre ton rôle et tes limites.

Est-ce que seuls les autres correspondants à l'étranger peuvent réellement comprendre ce que tu as vécu?

C'est très particulier. Quand on débarque dans un pays comme le Sri Lanka, une partie de notre cerveau est hyper excité, parce qu'on veut toujours couvrir la plus grosse histoire, nos patrons nous ont fait confiance et on est confronté aux journalistes d'ailleurs dans le monde. On essaie toujours de donner le meilleur de nous-mêmes. C'est un thrill. Mais une autre partie de notre cerveau voit des gens souffrir et mourir, des femmes qui perdent leur enfant... Ça ne laisse pas indifférent. On devient anxieux, on est terrifié, on est touché. C'est impossible d'oublier ça. Mais on doit contenir nos émotions pour faire notre travail. Comme le disait mon ancien patron à Radio-Canada, Jean Pelletier, les journalistes sont comme des médecins : on ne souhaite pas que le monde soit malade, mais quand le monde va bien, on ne peut pas travailler.

Pourquoi as-tu choisi d'aborder ces réalités dans un roman et non dans un documentaire?

Si je dis aux gens, je vais vous parler des Tamouls et des Cinghalais au Sri Lanka, ils ont déjà envie de s'endormir avant que j'aie fini ma phrase. Ça ne les intéresse pas. La preuve : on a laissé des dizaines de milliers de personnes mourir là-bas... Mais si je leur raconte une histoire pour qu'ils comprennent ce que ces gens vivent et ressentent, ils vont être touchés. Les romans permettent de rejoindre les gens d'une autre manière. Tu t'adresses à leur cœur. Si un livre fait juste t'impressionner parce qu'il est bien structuré et bien écrit, c'est comme un homme ou une femme à la beauté impressionnante, qui te laisse de glace. Je préfère les gens et les histoires qui viennent me chercher et me font trembler.

Tsunamis est ton 6e roman et ton 10e livre depuis 2007. Comment ta plume a-t-elle évolué?

Mon écriture est de plus en plus simple et dépouillée. Quand tu commences à écrire et que tu aimes la lecture, tu veux être un virtuose et que les gens te trouvent bon. Il y avait de ça à mes débuts. Mais maintenant, je ne veux pas que l'écriture vienne distraire les lecteurs. S'il y a trop de belles formules, c'est comme voir la ficelle au bout d'une marionnette : ça gâche l'expérience. Ma plume est donc plus humble qu'avant. Je veux que les gens soient portés par mes histoires.

Courtoisie

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