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Des terrains décontaminés qui ne le sont pas vraiment

L’un des plus grands projets immobiliers de l’heure à Montréal, le projet VillaNova, est passé à deux doigts d’entraîner un désastre environnemental.
Radio-Canada

À Montréal comme dans toutes les grandes villes au passé industriel, la plupart des terrains libres pour le développement immobilier sont contaminés. Or, la décontamination coûte cher et ne se fait pas toujours dans les règles de l'art. Nous avons enquêté sur les Cours Pominville et le projet VillaNova, à Lachine, où le ministère de l'Environnement et l'arrondissement ont fait preuve d'un laisser-aller troublant.

Un texte d’Alexandre Touchette

L’un des plus grands projets immobiliers de l’heure à Montréal, le projet VillaNova, est passé à deux doigts d’entraîner un désastre environnemental.

La Ville de Montréal avait déjà approuvé la première phase du projet quand des tests de sol ont révélé en 2016 que 500 maisons étaient sur le point d’être construites sur un terrain hautement contaminé par des métaux, des hydrocarbures et des BPC.

Le projet interrompu in extremis avait été lancé par Développement Lachine Est, une entreprise affiliée au promoteur Paolo Catania et qui est maintenant en liquidation.

Le terrain de l’ancienne fonderie Jenkins, où le développement immobilier est prévu, avait pourtant été officiellement déclaré décontaminé en 2011, et le plan de réhabilitation du site avait été ensuite certifié par le ministère du Développement durable, de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques.

Un signal d’alarme resté sans réponse

En 2014, des citoyens résidant le long du terrain ont vu des camions déposer de la terre sur le site en pleine nuit.

De crainte que le terrain ne soit à nouveau contaminé, ils ont contacté une conseillère d’arrondissement nouvellement élue, Maja Vodanovic, qui a envoyé une plainte en bonne et due forme au ministère.

La plainte qui relate ces événements n’a toutefois mené à aucune enquête sur le terrain. Selon un porte-parole du liquidateur de Développement Lachine Est, le promoteur avait affirmé à l'époque qu'aucune terre n'avait été déplacée sur le terrain qui avait été clôturé après son achat.

Averti en même temps par un courriel de la conseillère, le maire de l’arrondissement de Lachine, Claude Dauphin, a aussi refusé d’intervenir à l’époque, en invoquant le fait que le terrain était certifié décontaminé et que la surveillance devait être effectuée par le ministère. Il estimait aussi que l’arrondissement n’avait pas le pouvoir de faire tester les sols d’un terrain privé.

Ce n’est qu’en 2016 que la conseillère Maja Vodanovic a finalement convaincu le directeur général de l’arrondissement de faire tester la section du terrain qui devait être cédée par le promoteur à la Ville pour aménager un parc.

Ces tests ont révélé que les sols du futur parc étaient hautement contaminés. Une autre série de tests ont ensuite indiqué que 60 % de la superficie du terrain était contaminé, ce qui a mené à la suspension du projet VillaNova.

Une centaine de personnes qui avaient déjà acheté des unités en prévente avant cette découverte doivent maintenant attendre que le site soit décontaminé par le liquidateur avant d’espérer prendre possession de leur maison.

La conseillère Vodanovic dénonce le fait que l’arrondissement ne soit pas intervenu plus rapidement pour protéger l’intérêt du public.

«Il fallait aller tester. Si VillaNova s’était fait sur des terrains contaminés, ça aurait été une catastrophe. Et puis la compagnie qui fait le projet est en liquidation, elle est en voie de disparition, alors tu cours après qui, après?» - Maja Vodanovic, conseillère à la ville de Lachine

Le processus de certification mis en doute

Le cas VillaNova soulève de graves questions sur la gestion des sols contaminés au Québec, puisqu’il indique soit un manque de surveillance qui a entraîné la recontamination d’un terrain décontaminé, soit une décontamination inadéquate du terrain.

Cette dernière thèse semble être celle défendue par le liquidateur de Développement Lachine Est, qui a mis en demeure l’entreprise qui était chargée de nettoyer le terrain en 2011 et qui a émis la certification de décontamination avant la vente du terrain au groupe Catania.

Dans un cas comme dans l’autre, le constat est accablant pour le ministère de l’Environnement, qui avait certifié en 2011 que la décontamination en bonne et due forme du terrain, conclut le biologiste et avocat en droit de l'environnement, Jean-François Girard.

« C’est qui la police de l’environnement?, demande-t-il. C’est au ministre et à ses fonctionnaires de faire leur travail. Une fois qu’ils sont alertés d’une possible situation, ils doivent jouer leur rôle d’enquête, de surveillance, de contrôle. »

«Dans la mesure où on ne fait pas ça bien, ne vous demandez-vous pas pourquoi ça ne fonctionne pas en environnement au Québec.» - Jean-François Girard, biologiste et avocat en environnement

Un autre dossier troublant

Le projet VillaNova est loin d’être le seul à soulever des questions sur la gestion des sols contaminés à Lachine. Un cas semblable est survenu quelques années plus tôt, à quelques kilomètres de là.

Les maisons des Cours Pominville ont été aménagées sur le site d’une ancienne usine de verre qui avait été nettoyé. Une entreprise affiliée à Ricardo Magi menait ce projet immobilier d’une centaine de maisons.

Dans ce cas, la compagnie à numéro du promoteur a fait faillite après la construction des maisons en laissant, comme au projet VillaNova, un tas de terre contaminée sur la parcelle que l’arrondissement devait transformer en parc.

Serghei Popovici et sa femme avaient acheté un condominium dans les Cours Pominville parce qu’ils rêvaient de voir leurs enfants jouer dans le parc par la fenêtre de leur maison.

Cinq ans plus tard, ils vivent toujours devant un tas de terre nue, où leurs enfants ont joué pendant des années sans se douter que l’endroit était pollué.

«Je trouve ça inacceptable. Je ne me sens pas au Canada. Je ne me sens pas en 2017… Je me sens en 1800, dans un pays de bananes.» - Serghei Popovici, résident des Cours Pominville

La contamination du parc a été mesurée dès 2013. Pourtant ni l'arrondissement de Lachine ni le ministère de l'Environnement n'avaient jugé bon d’avertir les résidents.

Ce n'est que l'année suivante que la conseillère Maja Vodanovic les a informés de la situation.

Même si la contamination du site n’était pas jugée alarmante, la direction de la Santé publique a tout de même recommandé en 2016 que le terrain soit clôturé.

Au bout du compte, après plusieurs années de procédures, l’arrondissement de Lachine va finalement dépenser 3,5 millions de dollars de fonds publics pour nettoyer le site. Les travaux devraient se terminer d’ici la fin l’été.

Selon un rapport d'enquête du ministère de l'Environnement, le promoteur n'a jamais donné la preuve du transport des terres contaminées des Cours Pominville vers un site d'enfouissement autorisé. Un porte-parole du ministère nous a dit que le délai de prescription s'était écoulé avant qu'un avis d'infraction puisse être envoyé. Aucune amende n'a donc été imposée.

Un plaidoyer pour la prévention

Maya Vodanovic est outrée par ce laisser-aller du ministère, mais elle estime que l’arrondissement de Lachine doit mieux jouer son rôle de chien de garde en réinvestissant dans ses équipes d’inspecteurs.

« Ces gens-là qui travaillent sur des terrains contaminés doivent être surveillés, s’insurge-t-elle. On est comme l’épicentre du problème à Lachine-Est avec 60 hectares de terrains contaminés. Je veux qu’on trouve les moyens efficaces pour régler la situation. Je ne veux pas que ça nous coûte des millions, il me semble qu’il y a moyen de mieux faire ça… »

Le ministère de l’Environnement, qui ne nous a pas accordé d’entrevue pour ce dossier, dit être en attente du rapport de réhabilitation du terrain VillaNova pour savoir pourquoi une nouvelle décontamination a été nécessaire.

Voir aussi:

Silo no 5

Le Montréal oublié en images

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