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Découvrez l'objectif caché derrière les sites de «fake news» (non, ce n'est pas la désinformation)

Le chercheur américain Jonathan Albright a passé 117 sites de fausses nouvelles au peigne fin pour découvrir que, en fin de compte, ce n’est pas la désinformation qui a fait élire Trump, mais le big data. Explications.
San Pedro, CA, September 15, 2015, Donald Trump, 2016 Republican Presidential Candidate, Speaks During A Rally Aboard The Battleship USS Iowa In San Pedro, Los Angeles, California While Wearing A Red Baseball Hat That Says Campaign Slogan 'Make America Great Again.'. (Photo by: Visions of America/UIG via Getty Images)
Visions of America via Getty Images
San Pedro, CA, September 15, 2015, Donald Trump, 2016 Republican Presidential Candidate, Speaks During A Rally Aboard The Battleship USS Iowa In San Pedro, Los Angeles, California While Wearing A Red Baseball Hat That Says Campaign Slogan 'Make America Great Again.'. (Photo by: Visions of America/UIG via Getty Images)

Le chercheur américain Jonathan Albright a passé 117 sites de fausses nouvelles au peigne fin pour découvrir que, en fin de compte, ce n’est pas la désinformation qui a fait élire Trump, mais le big data. Explications.

L’élection américaine de novembre 2016 a été l’une des plus scabreuses de notre époque moderne.

Et pourtant, le plus gros scandale était encore à venir : moins de deux semaines après l’élection, BuzzFeed révélait que les fake news avaient obtenu plus de like et de partages que les vraies nouvelles sur Facebook, et ce, pendant les trois derniers mois de la campagne.

La conclusion a été instantanée : Trump a gagné grâce à la désinformation. Une histoire de gens mal avisés, qui votent contre leurs propres intérêts… Après tout, 75 % des Américains ayant vu les fake news les avaient tenues pour vraies, a plus tard rapporté BuzzFeed.

Or, ce chiffre a depuis été remis en contexte par deux chercheurs de Stanford : il n’y aurait en fait que 14 % de l’électorat qui considère les médias sociaux comme « leur principale source d’information ». Et selon eux, à peine 1,2 % des Américains auraient vu et cru les fausses nouvelles.

Mais cela importe peu, quand on a déjà trouvé le remède : combattre la désinformation. Facebook et Google ont promis de faire le ménage sur leur plateforme, des médias ont mis sur pied des sites de « fact checking » et la Commission européenne a haussé le ton! Que demander de plus?

Regarder par le mauvais côté de la lorgnette

Le problème est ailleurs, dit Jonathan Albright, chercheur et professeur à l’université Elon.

« Trop d’articles d’analyse post-électorale sur Trump essaient de regarder à travers le judas du filtre Facebook, au lieu de faire le contraire. Alors, retournons le filtre à l’envers et voyons ce qui en sort! »

C’est ainsi que le chercheur américain a décidé, au lendemain de l’élection du 8 novembre, d’analyser en profondeur 117 sites de fausses nouvelles parmi les plus populaires aux États-Unis.

« La presque totalité des sites de fake news ont davantage pour objectif la collecte de données et le ciblage comportemental que la simple diffusion de fausses nouvelles. »

— Jonathan Albright

Plus de 400 000 pages de contenu indexées plus tard, voici ce qu’il a découvert :

1) Ces sites reçoivent un trafic organique important (courriels et recherches Google); ils ne dépendent donc pas uniquement de la publicité, des like ou des partages Facebook pour être vus.

2) Le maillage textuel de ces sites (plus de 735 000 hyperliens sortants) pointe vers tous les grands médias américains et sources d’information « grand public » : Washington Post, CNN, Wikipédia, etc.

3) Ils sont bourrés de « super-cookies » servant à collecter les données de navigation des visiteurs et de code Facebook facilitant le partage des fausses nouvelles sur les médias sociaux.

Il s’agit là d’une infrastructure beaucoup plus complexe que celle d’un simple site visant à obtenir des clics pour passer à la caisse.

La conclusion de Jonathan Albright va en ce sens : « La presque totalité des sites de fake news ont davantage pour objectif la collecte de données et le ciblage comportemental que la simple diffusion de fausses nouvelles. »

Le modus operandi : polariser, cibler, mobiliser

La stratégie se déploie en trois actes.

Dans un premier temps, les sites de fausses nouvelles lancent dans la blogosphère des manchettes ultra-partisanes afin de polariser les internautes, qui se rallient ou s’opposent à coups de like, de partages, de statuts et de tweets.

Dans un deuxième temps, des firmes de data mining collectent minutieusement les données générées par ces débats, et ce, par tous les moyens imaginables : en payant des usagers pour accéder à leur compte Facebook, en créant des applications invasives qui saisissent les données des utilisateurs ou, même, en diffusant de banals tests de personnalité en réalité conçus pour dresser le profil psychologique des électeurs!

Dernier acte : les partis politiques lancent des campagnes publicitaires micro-ciblées et ultra-partisanes pour à la fois décourager leurs adversaires d’aller voter et convaincre leurs partisans de le faire.

Une firme passée maître dans ce genre de tactiques se nomme Cambridge Analytica. Elle s’est fait remarquer lors du Brexit. Elle a ensuite joué un rôle dans la remontée spectaculaire de Ted Cruz en Iowa – au coût de 3 millions de dollars! Puis c’est finalement Donald Trump qui a bénéficié de ses services pendant la présidentielle américaine.

Cambridge Analytica ne fait d’ailleurs aucun secret de ses tactiques. Sur sa chaîne YouTube, elle se vante d’aller « un pas plus loin », en « combinant des informations démographiques et géographiques avec plus de 5 000 points de données comportementales pour chaque électeur américain. »

On ne peut être plus clair!

Théorie du complot, que tout cela?

Malgré la victoire surprise de Donald Trump, certains analystes demeurent sceptiques devant la possibilité que le big data ait pu influencer l’issue de l’élection.

Du nombre, l’éditorialiste Leonid Bershidsky du Bloomberg View doute de l’efficacité du micro-ciblage, racontant avoir reçu plusieurs courriels de sollicitation du camp Trump, alors qu’il n’est ni républicain, ni même citoyen américain!

Et puis, demande-t-il, Hillary Clinton n’avait-elle pas recourt elle aussi à un génie du big data avec Elan Kriegel?

C’est faire peu de cas de la prolifération des sites de fake news de droite, beaucoup plus nombreux et actifs que ceux de gauche pendant la campagne. (Selon BuzzFeed, il n’y aurait eu qu’une seule fausse nouvelle de « gauche » à avoir été virale!)

Dans tous les cas, Jonathan Albright demeure convaincu du rôle névralgique d’une firme comme Cambridge Analytica :

« Le but de mes recherches est justement de montrer que ce n’est pas une conspiration – c’est la nouvelle norme, nous a-t-il confié par courriel. Quiconque comprend comment relier des données personnelles avec du contenu personnalisé réactif en temps réel – qu’il s’agisse de publicité, de ‘’memes’’, de sujets chauds ou de ‘’nouvelles’’ – a l’habileté de manipuler le comportement électoral au niveau même des individus. »

L’antidote? Rendre les armes!

Sachant cela, que peut-on faire pour contrer ces techniques insidieuses de manipulation comportementale? Jonathan Albright n’a qu’un seul conseil à donner : ne rien faire. Au sens littéral.

« Cessez les hostilités, lâche-t-il dans cet article. Mais comme c’est impossible, un premier pas serait peut-être d’arrêter d’argumenter et de partager des propos et des pensées orientés politiquement sur les médias sociaux. (…) Tout est capté. Absolument tout », rappelle-t-il en conclusion.

Arrêter de nourrir la bête, donc.

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