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Traître ou héros? La perception à l’égard de Riel a évolué progressivement.
Justin Fraser/Radio-Canada

Chaque troisième lundi de février depuis 2008, le Manitoba célèbre la Journée Louis Riel, un congé en l'honneur du chef métis. Mais encore aujourd'hui, le statut de ce personnage historique n'est pas une affaire réglée. Louis Riel, traître ou héros? Des Métis du Manitoba demandent à Ottawa de l'innocenter une fois pour toutes et estiment que 2017, 150e anniversaire de la Confédération, serait l'année idéale.

Un reportage de Camille Gris Roy

Au Manitoba, Louis Riel est maintenant partout dans le paysage. Il a donné son nom à des rues, des ponts, des écoles et entreprises.

On le retrouve même comme marque de commerce, sur des vêtements ou des porte-clés.

Pourtant officiellement, il reste celui qui a été pendu pour haute trahison. À deux reprises, Louis Riel s'est opposé au gouvernement canadien pour faire reconnaître les droits et la culture de son peuple, les Métis.

En 1870, après la Résistance de la Rivière-Rouge, il a dirigé le gouvernement provisoire qui a négocié l'entrée du Manitoba dans la Confédération.

En 1885, il mène un autre soulèvement métis qui se solde par une défaite à Batoche, dans l’actuelle Saskatchewan. Il est alors emprisonné, jugé pour trahison à Regina et exécuté.

Reconnaissance progressive

La perception à l’égard de Riel a évolué progressivement. En mars 1992 notamment, la Chambre des Communes puis le Sénat du Canada adoptent à l’unanimité des résolutions qui reconnaissent « le rôle unique et historique » de Louis Riel en tant que fondateur du Manitoba, ainsi que sa contribution à la Confédération, au Canada, au peuple métis.

L'Assemblée législative du Manitoba emboîte le pas quelques mois après en adoptant aussi, à l’unanimité, une résolution similaire.

En 2017, l'Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba (UNMSJM) estime que la dernière étape logique, c'est de finalement blanchir le chef métis. L’association, avec la Société franco-manitobaine, a déposé une demande formelle auprès du fédéral au printemps dernier.

« [On ne demande] pas un pardon, précise Paulette Duguay, la présidente de l’Union. Parce qu’un pardon ce serait admettre qu’il était coupable. Ce qu’on veut c’est déclarer son innocence. »

« C’est le temps », affirme-t-elle.

Pas la première fois

Ce n’est pas la première requête de ce type. À Ottawa, entre les années 1980 et aujourd'hui, de nombreux projets de loi ont été déposés aux Communes comme au Sénat. Certains demandaient le pardon pour Riel, d’autres la révocation de sa condamnation ou sa réhabilitation. Tous ont échoué.

Il y a notamment eu les projets de la députée bloquiste Suzanne Tremblay et des libéraux Denis Coderre et Reg Alcock, à la fin des années 1990. « Rappelons-nous que Louis Riel aimait le Canada, Louis Riel était non seulement le champion des Métis mais a défendu avec brio le territoire canadien », déclarait Denis Coderre à l’époque.

Dans les années 2000, la sénatrice métisse Thelma Chalifoux et le député néodémocrate Pat Martin essayent aussi à leur tour.

Maintenant ou jamais?

Le Métis Georges Beaudry a fait partie du comité de rédaction pour le projet des députés Coderre et Alcock. À l'époque, on lui a dit que ça n'a pas marché faute de temps et question de procédures. Pour lui, il ne peut pas y avoir de « réconciliation » sans que Louis Riel soit innocenté.

« Si c'est pas la bonne année : laquelle serait-elle? Dans trois ans, quand le Manitoba va fêter son entrée en Confédération? Ça serait la dernière chance. »

Justin Johnson, étudiant à l’Université de Winnipeg, fait partie de la plus jeune génération de Métis. Il estime aussi que blanchir Louis Riel serait un acte fort de réconciliation, et de respect.

« C’est clair que dans notre histoire au Canada, c’est pas tout le monde qui croit que Louis Riel a un rôle à jouer dans la société canadienne. On doit prendre en compte ces points de vue parce qu’ils ont existé depuis très longtemps, mais […] prenons le temps de comprendre l’autre coté de la médaille, qui est Louis Riel. »

Lui-même a découvert récemment qu’il était Métis et descendant d’André Beauchemin, un membre du gouvernement provisoire de Riel. « Je me suis senti presque dans l’obligation de redécouvrir cette histoire-là. »

Il a alors décidé de consacrer ses travaux de maîtrise aux écrits de Louis Riel et à sa philosophie politique - une pensée qui, dit-il, a gardé sa pertinence. « On parle du multiculturalisme, on parle de respecter les valeurs des gens, leur foi […], leur langue. »

Des divisions qui persistent

Mais 132 ans après la mort de Riel, l'idée que le gouvernement fédéral puisse l’innocenter divise même les Métis.

La Fédération des Métis du Manitoba (MMF) « ne supporte pas du tout » la demande de l’Union, dit la ministre associée Mona Buors.

La MMF considère que cela n'aide pas la cause des Métis et qu'il y a des enjeux plus importants, notamment la négociation de compensation avec Ottawa pour des terres promises aux Métis qui n’ont jamais été données. La Fédération affirme que le Canada ne doit pas « échapper au jugement de l’histoire ».

Un processus complexe

Du côté du fédéral, l’affaire n’est pas encore jouée. Dans une correspondance obtenue par Radio-Canada, Patrimoine canadien indique son « intérêt » pour le projet et pour la poursuite les discussions.

Pour le reste, le député fédéral libéral de Saint-Boniface-Saint-Vital Daniel Vandal, qui est Métis, explique que c'est une démarche qui prendra du temps. « C'est pas un projet simple, c'est un nouveau processus judiciaire. C’est pas une déclaration de la ministre Mélanie Joly qui va le faire ou même du premier ministre. »

Il soutient l'initiative à titre personnel, mais souligne lui aussi qu'il y a d'autres enjeux pour les Métis.

Et après?

Pour les prochaines générations de Métis, il s'agit aussi de penser à ce qui adviendrait si Louis Riel était innocenté.

«Les Métis d'aujourd'hui, les Métis modernes, qu'avons-nous à offrir à la société canadienne? Qu’allons-nous faire pour rendre meilleure la province du Manitoba? Je crois fermement que Riel aurait posé la même question.» - Justin Johnson, étudiant métis

« Et je vois les Métis jouer un plus grand rôle de représentation : ils doivent se voir dans l’Assemblée législative, dans le processus politique… C’est pas pour rien que Louis Riel a fondé une province », suggère le jeune étudiant.

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