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Détenus afghans : des membres de la Police militaire accusent leurs dirigeants d'entraver l'enquête

L'armée canadienne dans l'embarras
COLIN PERKEL

Dans une lettre ouverte envoyée à La Presse, des membres de la Police militaire canadienne demandent au ministre de la Défense d'intervenir pour s'assurer que les Forces armées collaborent pleinement à l'enquête sur le traitement qui a été réservé à des détenus afghans en 2010 et 2011.

Depuis l'automne dernier, la Commission d'examens des plaintes concernant la Police militaire du Canada (CPPM) enquête sur des allégations anonymes selon lesquelles certains détenus auraient subi de mauvais traitements lorsqu'ils étaient aux mains de policiers militaires canadiens.

S'exprimant sous le couvert de l'anonymat, les auteurs de la lettre allèguent toutefois que l'État-Major de la police militaire refuse l'accès à des documents et des enregistrements à la CPPM dans le cadre d'une enquête sur des crimes de guerre « dont les principaux suspects sont eux-mêmes des hauts gradés de la Police militaire ».

« Nous demandons au ministre de la Défense d'ordonner au chef d'État-major de la Défense et au vice-chef d'État-major de la Défense, le grand patron de la Police militaire [le général Robert Delaney, NDLR], de s'assurer de la pleine collaboration du Grand Prévôt avec la commission », écrivent-ils.

« M. Delaney, vous avez refusé à plus d'une reprise de remettre les documents demandés à une instance légitimement mandatée à recevoir ses documents. [...] Offrez la pleine collaboration à la Commission et fournissez les documents demandés afin de répondre de nos actes en tant qu'organisation policière. »

« Faites honneur à l'uniforme que vous portez », ajoutent les auteurs, qui disent avoir eux-mêmes enquêté certains faits.

Selon La Presse, les membres de la Police militaire à l'origine de cette initiative ont requis l'anonymat car ils craignent une peine de prison pour leur geste. Le quotidien a rencontré un des auteurs.

Des civils « qui n'avaient rien à se reprocher »

Les auteurs allèguent notamment que « près de 50 % des personnes incarcérées par la police militaire n'étaient que des gens comme vous et moi, des époux, pères de famille, fermiers qui n'avaient strictement rien à se reprocher ».

Ces faits, disent-ils, « sont validés par des enregistrements audio/vidéo de témoignages rendus ou par divers documents classifiés. »

Selon eux, ces civils afghans donc ont été incarcérés « illégalement » en raison de l'« incompétence organisationnelle systémique » de l'armée, qui a fait preuve d'« indifférence » et d'« insouciance » à l'égard des lois internationales. Le plus souvent, ils s'étaient simplement trouvé « au mauvais endroit au mauvais moment ».

Cette réalité, rappellent-ils, a déjà été dénoncé par un ex-ambassadeur canadien en Afghanistan, Richard Colvin, et un ancien traducteur de l'armée, Malgarai Ahmadshah.

Des chefs qui donnent « l'ordre d'agresser » des détenus

Selon eux, les « hauts dirigeants de la police militaire » ont en outre donné l'ordre « d'agresser à plusieurs reprises les personnes détenues », notamment en les soumettant à des « exercices dynamiques d'une extrême intensité ». La tenue de ces exercices est au cœur de l'enquête déclenchée par la CPPM.

« Par exemple, en pleine nuit, près de 50 membres de la compagnie de police vous réveillent spontanément, envahissant le centre de détention, exécutant des "exercices " dans votre cellule. »

Ces exercices « avaient pour objectif d'apeurer et de réduire la résilience cognitive des détenus ». Ces derniers se réveillaient « en frayeur et paniqués au milieu de la nuit », et leur « anxiété [était] nettement visible. »

« C'est [...] très exactement ce qui s'est passé », écrivent-ils. Plusieurs policiers interrogés confirment les ordres de hauts dirigeants de la police de "terroriser" les détenus. Ces témoignages sont filmés audio/vidéo. »

Il ne s'agit pas là d'une « simple bavure policière, comme en témoignent d'autres fonctionnaires depuis plusieurs années », écrivent ces membres de la Police militaire, mais d'un « comportement déviant [...] normalisé ».

«Il y a à peine 20 ans, les membres des Forces armées canadiennes ont tué un adolescent sous la torture. Force est de constater aujourd'hui que la culture déviante demeure présente plus que jamais. Maintenir le statu quo, combiné à l'absence d'une réforme policière majeure, cristallisera davantage ce comportement organisationnel déjà bien installé. Il se renforcera et s'aggravera. Nier les faits est renier notre serment policier.»

- Extrait de la lettre

Les auteurs soutiennent en outre qu'une entente classifiée a aussi été conclue avec le service de renseignement intérieur afghan (NDS) « pour que les détenus apparaissent comme étant sous leur garde alors qu'ils étaient tous dans nos cellules canadiennes ». L'entente a été conclue « dans le but non avoué de fausser les faits ».

Les policiers militaires déplorent en outre que la Police militaire « n'est en fait que l'instrument ou la marionnette des Forces armées canadiennes ».

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