Les six employées de Convercité ont convié leurs clients à un 5 à 7, le mois dernier, dans leurs locaux du Mile-End, à Montréal, pour leur annoncer une grande nouvelle : le directeur général de l'entreprise, qui a quitté son poste l'été dernier, ne sera pas remplacé.
Un texte de Jérôme Labbé
Convercité est un organisme à but non lucratif (OBNL) qui a pour mission d'aider les décideurs politiques et économiques à consulter la population sur des enjeux de développement urbain dans un esprit d'inclusion, de transparence et d'ouverture.
C'est donc tout naturellement que ses employées ont envisagé un mode de « leadership partagé » pour pallier le départ de leur directeur général Daniel Malo, qui était en poste depuis 2001.
Le conseil d'administration n'a pas été difficile à convaincre. Son président, Pierre Paquin, travaille dans un grand cabinet d'avocats, où les associés sont aussi responsables mutuellement du bon déroulement des opérations.
« Convercité a toujours été une organisation à l'écoute, qui cherche à faire ressortir les grandes tendances, les grandes orientations de différents projets », explique-t-il. « Alors de travailler à une relation égalitaire plutôt que d'avoir une relation en forme de silo, je pense qu'il y a là une logique qui colle bien. »
Les employées de Convercité font maintenant partie d'un « comité de gestion participative », où les responsabilités ont été partagées en fonction des compétences et des intérêts de chacune.
Gabrielle Immarigeon, par exemple, a hérité des communications et des relations publiques. « Ça fonctionne très très bien pour l'instant. Parce qu'il s'avère, par un très beau hasard, que nous avons des personnalités extrêmement compatibles. On s'entend bien. Qu'est-ce qui arrivera si l'une d'entre nous part ou si une nouvelle personne arrive? [...] On ne le sait pas. Ce n'est pas encore arrivé. Il faudra voir... Je pense que c'est important de garder en tête que c'est une démarche évolutive. »
Des clients à convaincre
Directeur général du Mouvement pour mettre fin à l'itinérance à Montréal, James McGregor a travaillé avec Convercité lors du dénombrement des personnes itinérantes à Montréal, l'été dernier. Il conçoit que certains clients comme lui risquent d'être sceptiques face à ce nouveau mode de gouvernance. « Je ne sais pas comment c'est structuré. Il va falloir que je me le fasse expliquer », admet-il.
Le phénomène n'est pourtant pas nouveau, selon la conseillère en ressources humaines Martine Deschamps, qui a accompagné Convercité dans sa transformation. « On le voit au niveau médical et dans d'autres secteurs d'entreprises, mais on n'en entend pas beaucoup parler parce que, souvent, ça fait peur, observe-t-elle. On se dit qu'il y aura trop de patrons, qu'il y aura plus de chefs que d'Indiens et que ça ne sera pas gérable, alors que ce n'est pas vrai. »
Mme Deschamps croit au contraire qu'il s'agit d'un modèle « très pertinent pour les générations actuelles ». « Aujourd'hui, on voit de plus en plus chez les nouvelles générations cette capacité-là de partager la vision, de partager les tâches, etc. Cette discussion-là avait moins lieu avant. C'était plus hiérarchisé, plus compartimenté... Maintenant, c'est plus explosé, constate-t-elle. Et moi, je pense que ça répond aux attentes des nouvelles générations. »
Un modèle plus répandu qu'on ne le croit
On utilise aussi le terme « holacratie » ou « holocratie » pour désigner le mode de fonctionnement des entreprises sans patron. L'expression a été popularisée au début des années 2000 par Brian Robertson, qui a fondé la compagnie HolacracyOne pour aider les entreprises à faire la transition vers un modèle de gestion participative.
HolaCracyOne estime à ce jour avoir accompagné plus de 300 organisations dans leur changement de structure. La plus connue, le géant américain de vente de vêtements en ligne Zappos, a fait le saut l'an dernier à ses risques et périls : 14 % des 1500 employés ont choisi l'allocation de départ qui leur était offerte plutôt que de conserver leur emploi dans une structure complètement réinventée.
« Il y a des conditions de base que ça prend pour faire du leadership partagé, prévient Martine Deschamps. Si on est quelqu'un qui s'accroche au pouvoir, qui a un esprit plus autocratique à faire le travail, qui veut décider, qui veut être directif, ça ne fonctionnera pas. »
La conseillère en ressources humaines, qui a fondé une firme spécialisée en gestion de la relève dans les PME, estime néanmoins que les chances de réussite de Convercité sont bonnes. « Dans un autre type d'entreprise où ce serait très autocratique, où il y aurait des gens à "tête forte", je serais moins optimiste », admet-elle.
Sans patron à proprement parler, Convercité travaille actuellement sur plusieurs projets à Montréal, à Delson et à Brossard. L'organisme prétend n'avoir perdu aucun client depuis sa conversion.
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