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«Les Hautes Montagnes du Portugal»: Yann Martel, l'homme et la foi

«Les Hautes Montagnes du Portugal»: Yann Martel, l'homme et la foi
Emma Love

Dans Les Hautes Montagnes du Portugal du Portugal, Yann Martel pose deux questions fondamentales : que gagne-t-on à avoir la foi et que perd-on quand on la refuse à notre existence? Pour ce faire, il a imaginé trois personnages endeuillés, un athée, un croyant dont la foi est vigoureusement testée et un homme qui expérimente la croyance au sens littéral.

Après avoir exploré le besoin des humains de se raconter des histoires dans Paul en Finlande, les notions de genres et d’orientations sexuelles dans Self, la place de la religion dans Histoire de Pi et la représentation de l’Holocauste dans Béatrice et Virgile, l’auteur canadien offre une réflexion sur la nature de l’homme, la religion, la symbolique animale et la mort. Des thèmes qui n’ont rien d’une recette de livres à succès en série.

« Quand j’écris, je réponds à une pulsion intérieure et au défi de mettre une histoire sur papier de la meilleure façon possible. J’ai été totalement surpris du succès d’ Histoire de Pi, qui parlait de religion, un sujet extrêmement marginalisé au Québec et qui n’annonçait pas un succès commercial évident. J’espérais seulement écrire un petit livre culte qui serait lu par un petit nombre de gens et un succès critique », explique l’écrivain de passage à Montréal.

Pour appuyer ses dires, il évoque des auteurs à succès comme Stephen King et Danielle Steel qui, selon lui, ne sont pas mus par des pulsions financières ou de célébrité. « Je n’ai pas besoin de plus d’argent. Et une fois qu’on est connus, on reste connus. J’ai adoré le succès d’Histoire de Pi, à cause de mes rencontres avec les lecteurs et des voyages, mais on s’habitue à la notoriété. Et ça ne nourrit pas ma personne. Dans la vie privée, je suis avant tout un papa pour mes enfants et un conjoint pour ma femme », dit-il une fraction de seconde avant de répondre au téléphone à sa femme, à qui il demande des nouvelles sur la santé de son fils, avec douceur et empathie.

À cet instant, on dresse un parallèle avec la première histoire de son roman, dans laquelle Tomàs, un habitant de Lisbonne, perd son petit garçon, sa femme et son père en l’espace de cinq jours. Protestant contre cette perte monumentale, il se mettra à marcher à reculons et partira à la recherche d’un artefact extraordinaire décrit dans le journal d’un père évangéliste du 17e siècle, dans une église des Hautes Montagnes du Portugal.

Son récit sera suivi par celui d’Eusebio, un pathologiste portugais et passionné d’Agatha Christie, qui doit déterminer comment le défunt mari d’une paysanne à « vécu », et non comment il est mort. Le roman se termine avec l’épopée d’un sénateur canadien, dont le destin bascule, peu de temps après la mort de sa femme, le jour où il visite un Institut spécialisé dans l’étude des chimpanzés et qu’il décide d’acheter l’un des « macaco » pour le ramener sur la terre de ses propres ancêtres : les Hautes Montagnes du Portugal.

Réagissant bien différemment aux obstacles de la vie, les trois hommes entretiennent une relation fort différente avec la religion. « Tomàs est en colère avec la foi. Sa quête est purement négative. Il tourne le dos à Dieu, au propre et au figuré, afin de l’humilier. Eusebio, le pathologiste qui a lui-même perdu un être cher, illustre à quel point il peut être difficile d’avoir la foi dans certaines situations. Avec le sénateur, je désirais voir quelle était la relation la plus intime qu’on puisse avoir avec Jésus. Lorsque le chimpanzé entre dans sa vie et qu’ils se retrouvent au Portugal, sans connaître la langue ni personne, grâce à l’animal, il se sent à la maison. »

Les comparaisons entre les animaux, les hommes et les représentations divines sont nombreuses dans l’esprit de Yann Martel. « Chez les personnages religieux comme Jésus, Bouddha, Mahomet, Krishna et les autres, on dénote une capacité à vivre le moment présent avec une intensité surprenante. Quand ils parlent à quelqu’un, ils sont pleinement là pour la personne, en prenant compte de toute son humanité. Ce trait est également très fort chez les animaux, qui sont dans le ici et maintenant. Contrairement aux humains qui passent leur temps à se remémorer le passé et à s’inquiéter du futur, les animaux possèdent une certaine qualité divine. »

Divinité, religion, foi : trois thématiques qui ont encore leur place dans un roman, en 2016, selon l’écrivain. « La preuve est le succès phénoménal d’Histoire de Pi, qui ne réside pas tant dans l’intrigue que dans le ton spirituel du personnage. Je crois qu’on peut parler de religion et de foi avec une démarche ouverte et intelligente, sans assommer les lecteurs avec un carcan de pensées. Au fond, nous sommes tous des êtres solitaires et éphémères qui, à un certain stade de l’existence, se questionnent sur leur nature et leur destin. »

« Je ne veux absolument pas être un évangéliste à l’américaine, mais à une époque où tout nous pousse vers le pragmatisme, je trouve ça intéressant de lâcher prise sur la logique. Que ce soit avec l’art ou la religion, qui demandent tous deux une bonne dose de pensée magique, ce qui ne veut pas dire que ce sont des lubies. L’acte de foi est un acte imaginaire qui redéfinit la réalité, comme la littérature. »

Ce n’est pas pour rien qu’il a campé son histoire au Portugal, un pays où il a vécu entre l’âge de 16 et 20 ans avec ses parents diplomates. « Le Portugal est le premier pays où j’ai voyagé seul avec un sac à dos. Il y a une région dans le nord-est qui veut dire “au-delà des montagnes”, alors qu’il n’y a aucune montagne… C’est plutôt une référence à l’au-delà, comme si la géographie était un acte imaginaire. Je trouvais que c’était un lieu parfait pour créer une allégorie sur la vie de Jésus. »

Se faisant un devoir, comme artiste, d’aller là où les historiens et les journalistes ne vont pas, Martel continue d’entretenir sa passion pour la philosophie et les grandes questions existentielles. « J’ai toujours été attiré par les idées. Selon moi, l’art ne doit pas seulement être un pur divertissement. Bien sûr, il n’y a aucune raison de lire un roman ennuyant, mais s’il n’est que divertissant, on l’oublie rapidement. Si on veut que ça dure, il faut faire réfléchir les lecteurs. Et puis, sachant à quel point j’écris lentement, sur plusieurs années, je préfère investir mon temps dans des projets d’envergure. »

Le roman « Les Hautes Montagnes du Portugal » est présentement en librairies.

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