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La saga des égouts de Montréal en 5 questions

La saga des égouts de Montréal en 5 questions

Montréal prévoit déverser le tiers de ses égouts dans le fleuve du 18 au 25 octobre, une mesure qui sème la controverse, tant du côté des politiciens que des citoyens. Pour bien comprendre de quoi il retourne, voici le « flushgate » en 5 points.

1. DE QUOI PARLE-T-ON EXACTEMENT?

Les travaux majeurs pour abaisser la structure de l'autoroute Bonaventure, au centre-ville, exigent de déplacer une chute à neige reliée à un gros égout. Cette conduite de 5 mètres de diamètre achemine normalement les eaux usées à l'usine d'épuration. Pour effectuer les travaux, il faudra assécher la conduite.

Autre raison pour assécher l'intercepteur sud-est : la Ville doit retirer des « cintres », des cerceaux de renforcement en bois vétustes qui ont commencé à se détacher de la structure. Les morceaux pourraient mettre en péril l'épuration des eaux.

Ainsi, 8 milliards de litres d'eaux usées iront directement dans le fleuve par une trentaine de points de rejet (surverses d'égout par temps de fortes pluies) de la rive sud de l'île, entre LaSalle et Rivière-des-Prairies. Il s'agit, selon la Ville, d'une mesure exceptionnelle, avalisée par le ministère québécois de l'Environnement.

Les arrondissements touchés par ce déversement : LaSalle, Verdun, Sud-Ouest, Ville-Marie, Mercier-Hochelaga-Maisonneuve et Rivières-des-Prairies-Pointe-aux-Trembles.

Montréal attend maintenant l'approbation d'Ottawa. Environnement Canada se fait attendre, et explique qu'il faut « explorer les options en vue de prévenir ce déversement d'eaux usées ». Le maire de Montréal, Denis Coderre, accuse le gouvernement conservateur de se livrer à des jeux politiques en pleine campagne électorale, et il rappelle que ce dossier est entre les mains d'Ottawa depuis septembre 2014.

2. UN DANGER POUR LA SANTÉ HUMAINE ET L'ENVIRONNEMENT?

Le déversement des égouts aura un débit de 13 mètres cubes par seconde pendant sept jours contre environ 7000 mètres cubes par seconde pour le fleuve. Donc, pour sept jours, on parle de 8 milliards de litres, l'équivalent de 2600 piscines olympiques de déchets des toilettes, de rejets d'hôpitaux et d'entreprises.

Jusqu'aux années 1980, il était courant de déverser le contenu des égouts dans le fleuve.

La Ville de Montréal se fait rassurante. Le président du comité exécutif de la Ville, Pierre Desrochers, a indiqué qu'il n'y aurait aucun impact sur l'eau potable des villes riveraines du fleuve Saint-Laurent en aval de la métropole.

« Le fleuve a une capacité de dilution importante, avec un débit de 6000 à 7000 mètres cubes par seconde. Ce n'est pas une préoccupation majeure pour l'environnement. »

— Philippe Sabourin, porte-parole de la Ville

Le bon moment pour le faire

La Ville a choisi de déverser les eaux usées à la fin d'octobre, pour qu'il y ait le moins d'impact possible sur l'écosystème du fleuve. Selon un membre du comité exécutif de la Ville, Réal Ménard, la période de frai des poissons est terminée à cette période de l'année, et la température plus basse de l'eau limite la prolifération des bactéries qui s'y retrouveront.

Les activités nautiques seront interdites sur le fleuve durant la période des travaux. La Ville va notamment installer des panneaux d'information sur les berges. Donc pas de pêche sportive, de kayak ou de surf pendant toute cette période.

Ce qu'en disent les experts

Le ministre québécois de l'Environnement, David Heurtel, soutient que la décision de déverser tous ces égouts dans le fleuve est basée sur la science. « Tant les experts gouvernementaux, les experts de la Ville que les experts indépendants confirment que c'est la seule solution possible », répète-t-il.

Sarah Dorner, professeure au Département des génies civil, géologique et des mines à Polytechnique Montréal, croit qu'il ne faut pas s'inquiéter. « Ils ont quand même des procédés de désinfection, ils ont des moyens pour faire un suivi de la qualité des eaux. » Sarah Dorner et quatre de ses collègues viennent d'ailleurs de publier leur position sur cette affaire.

Le Groupe de recherche interuniversitaire en limnologie et en environnement aquatique (GRIL) considère que « si ce déversement est la seule solution possible et acceptable, les effets sur la qualité de l'eau et sur les communautés aquatiques en aval seront négligeables comparativement aux effets cumulés des eaux incomplètement traitées des usines d'épuration des eaux usées et des surverses lors de fortes pluies dans la région de l'île de Montréal. »

Mais d'autres experts pensent différemment. Selon la doctorante en génie civil Isabelle Jalliffier-Verne, le fort débit du fleuve pourrait avoir des conséquences plus néfastes que positives. « Un débit fort transporte les rejets plus rapidement. » Les matières contenues dans les eaux usées pourraient se retrouver sur les berges, là où se concentre la faune, mais aussi les activités de loisirs. Isabelle Jallifer-Verne s'interroge aussi concernant les prises d'eau potable des municipalités. « Ça dépendra des courants », explique-t-elle.

Le spécialiste en procédés de traitement des eaux, des eaux usées et des effluents industriels au Centre des technologies de l'eau de Montréal, Abdelaziz Gherrou, croit aussi qu'il y aura un impact. « C'est vrai que le débit énorme au niveau du fleuve va atténuer un peu cet impact, mais ça reste que, sur une durée d'une semaine, certains contaminants auront le temps nécessaire pour influer sur la faune et la flore », dit-il.

Des maires et des citoyens très inquiets

Plusieurs élus de municipalités riveraines en aval de Montréal, dont les maires de Trois-Rivières et de Bécancour, dénoncent le projet de déversement.

« Nous ne sommes pas un champ d'épuration de la Ville de Montréal. »

— Serge Péloquin, maire de Sorel-Tracy

Le maire Péloquin s'inquiète notamment pour la biosphère du lac Saint-Pierre, qui se trouve sur la route du déversement. Cet écosystème reconnu par l'UNESCO représente 50 % des milieux humides du fleuve Saint-Laurent.

« Quel effet choc ça va causer sur l'écosystème de ce milieu-là? », s'interroge le maire, soulignant que la saison de la chasse au canard et à la bernache bat son plein. Il précise que le fleuve abrite 76 espèces de poissons dans le secteur de Sorel-Tracy. « Oui, on nous parle de dilution, mais rien n'empêche que toute cette quantité [d'eaux usées] va passer chez nous », déplore M. Péloquin.

Un résident de Montréal, Xavier Nonnenmacher, compte déposer une pétition à la Ville qui dénonce le déversement. La pétition a recueilli à ce jour près de 85 000 signatures.

3. QU'EN DISENT LES POLITICIENS?

Cette histoire de déversement suscite un tollé général, au-delà des citoyens et des maires. Des groupes écologiques dénoncent la décision de la Ville. Des médias étrangers en parlent, dont Paris Match, le Figaro et le New York Times. L'affaire s'est aussi invitée dans la campagne électorale fédérale et à l'Assemblée nationale.

Les politiciens en campagne

Le maire Coderre, outré par l'attitude d'Ottawa, souligne que Montréal a déjà obtenu l'approbation d'Environnement Canada en 2003 et en 2007 pour faire ce type de déversement dans le fleuve. Il ne voit donc pas pourquoi la Ville pourrait en être empêchée cette fois-ci. « On a un gouvernement canadien qui veut gagner des petits points politiques parce qu'ils sont à la croisée de leur chemin. »

Le maire écorche aussi au passage le chef néo-démocrate, Thomas Mulcair, qui affirmait cette semaine qu'un déversement est une idée « tellement saugrenue que c'est évident qu'un gouvernement du NPD ne le permettrait pas ».

Denis Coderre a rappelé qu'à l'automne 2003, Thomas Mulcair, alors ministre québécois de l'Environnement sous le gouvernement libéral de Jean Charest, avait approuvé un déversement de 7,6 milliards de litres, en raison de travaux dans le même égout collecteur sud-est. Interrogé par Radio-Canada, le chef néo-démocrate a reconnu les faits, mais dit être depuis 2007 contre ce type de procédé, tout comme son parti.

Le chef du PLC, Justin Trudeau, ne s'est pas prononcé sur la question. Quant au chef bloquiste, Gilles Duceppe, il dénonce l'hypocrisie des autres partis. « Je n'ai pas vu un politicien - des conservateurs, des libéraux, du NPD - dénoncer les déversements réguliers dans le lac Ontario, sans avertissement aucun. »

Plusieurs candidats du Parti vert ont dénoncé le déversement. Deux d'entre eux veulent demander une injonction pour empêcher la Ville d'aller de l'avant. « Faut-il rappeler au maire que nous sommes des millions à vivre en aval du lieu de déversement et que nous buvons l'eau de ce fleuve? », demande JiCi Lauzon, candidat du Parti vert dans Pierre-Boucher-Les Patriotes-Verchères.

À l'Assemblée nationale

Le ministre de l'Environnement est sur la sellette depuis quelques jours. Le porte-parole du Parti québécois en matière d'environnement, Mathieu Traversy, demande au ministre Heurtel de suspendre l'autorisation accordée à la Ville de Montréal, afin d'« évaluer toutes les options et retenir la solution la moins dommageable et la plus durable ».

Quant à la CAQ, elle réclame la démission du ministre Heurtel à la suite du « cafouillage » de son ministère dans cette affaire.

4. Y A-T-IL MOYEN DE FAIRE AUTREMENT?

Selon la Ville de Montréal, il n'y a pas d'autre choix que de laisser se déverser les eaux usées de cet égout dans le fleuve pendant sept jours consécutifs.

Sylvain Ouellet, porte-parole de Projet Montréal en matière d'environnement, se demande pour sa part s'il n'aurait pas été possible de limiter les dégâts. « N'aurait-il pas été possible de pomper ces eaux usées vers une déviation temporaire pour éviter que le fleuve ne soit contaminé? [...] D'utiliser une technologie portative de traitement des eaux usées, ne serait-ce qu'un dégrillage? S'est-on entendu avec les industries situées en amont afin qu'elles cessent temporairement de rejeter à l'égout des produits nocifs? »

La construction d'une conduite auxiliaire, qui aurait permis d'acheminer les eaux usées de l'intercepteur où les travaux seront effectués vers l'usine d'épuration, aurait coûté un milliard de dollars, selon l'évaluation de la Ville. La durée des travaux aurait également privé la Ville d'une chute à neige au cours de l'hiver à venir.

Quant au candidat du Parti vert, Daniel Green, il croit qu'il y aurait eu moins de risques si la Ville avait fait le déversement en hiver. « La Ville de Montréal aurait pu, par exemple, travailler au mois de février et on aurait pu déverser ces eaux usées quand il n'y a pas de migration de canards et d'autres oiseaux migrateurs, pas de chasseurs, de pêcheurs ou de plaisanciers sur le fleuve. »

5. ET AILLEURS?

La Ville de Montréal a rejeté à quelques reprises de très grandes quantités usées dans le fleuve en raison de travaux dans le même égout collecteur sud-est.

  • Printemps 2003 : 10,5 milliards de litres ont été déversés.
  • Automne 2003 : 7,6 milliards de litres ont été déversés.
  • Automne 2005 : 770 millions de litres ont été déversés.

Cette pratique se fait aussi ailleurs au pays. À Toronto, en juillet 2013, de fortes précipitations ont causé le déversement d'un milliard de litres d'eaux usées dans le lac Ontario.

À Halifax, en Nouvelle-Écosse, il n'y a pas eu d'usine de traitement des eaux usées avant 2008.

À Winnipeg, au Manitoba, 185 millions de litres d'eaux usées ont été déversés dans les rivières Rouge et Assiniboine depuis 2004. Il en coûterait 4 milliards de dollars pour régler le problème, et la Ville n'a pas de plan global avant 2017.

Quant à Victoria, en Colombie-Britannique, les déversements d'eaux usées s'élèvent à 130 millions de litres par jour, soit 44,5 milliards de litres par année. Il n'y a pas de solution en vue avant 2020.