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Mannequins hors normes: révolution ou mode passagère ?

Mannequins hors normes: révolution ou mode passagère ?
Madeline Stuart / Instagram

Sur son compte Instagram, Madeline Stuart aime poster des clichés qui mettent en valeur ses yeux gris bleus en amande, sa longue chevelure rousse et son coach sportif. Entre deux séances photos, la jeune femme de 18 ans publie aussi des images d'aéroports et de ses nombreuses parutions presse. A priori, cela ressemble au quotidien de Cara Delevingne, de Karlie Kloss et à celui d'autres top-models. Si la jeune Australienne attire tant l'attention, c'est qu'elle est la première femme trisomique à être devenue mannequin pro.

Ce dimanche 13 septembre, au beau milieu de la semaine de la mode new-yorkaise (du 10 au 17 septembre), Madeline Stuart participera à deux défilés de FTL Moda, un collectif de créateurs italiens. À ses côtés, Rebekah Marine, 28 ans, fera aussi sensation avec son bras bionique. Étrange de voir que les podiums où les mannequins sont d'ordinaire jugés trop filiformes mettent en avant des physiques si différents. Mais est-ce vraiment une révolution?

Aujourd'hui, malgré l'image du mannequin anorexique, les modèles grande taille ont réussi à trouver leur place. Transcendant les normes de "la beauté", Winnie Harlow, la jeune canadienne atteinte de vitiligo est devenue le visage de la marque espagnole Desigual. Dans une moindre mesure, les sourcils de Cara Delevingne, le front de Hanne Gaby ou encore les joues de Devon Aoki sont d'autres preuves que la mode a aussi sa façon d'assimiler les différences. Les personnes handicapées sont-elles la prochaine révolution des podiums?

"Et si la mode était capable de montrer l'exemple?", se demandait Le Monde en février dernier après la première fashion week de New York où des mannequins handicapés avaient été mis à l'honneur. Ce petit monde fermé que l'on accuse fréquemment de manquer d'ouverture d'esprit aurait-il changé à ce point? Pas si sûr. "On constate toujours un manque criant de diversité dans cet univers, tant au niveau ethnique que corporel", rappelle Frédéric Godart, l'auteur de Sociologie de la mode interrogé par Le HuffPost.

Ce n'est pas Naomi Campbell qui dira l'inverse. "Quand j'ai commencé ma carrière, il y avait davantage de mannequins de couleur sur les podiums qu'aujourd'hui", dénonçait-elle par exemple encore en 2014. En 2013, pendant la semaine de la mode dans la Grosse Pomme, le site américain Jezebel avait ainsi compté que 82,7% des mannequins étaient des femmes blanches.

Cheveux lisses, peau blanche, yeux non bridés, les critères esthétiques imposés par l'Europe et l'Occident au sens large sont difficiles à dépasser. Surtout que le mannequin, sauf quand il s'appelle Kate, Claudia ou Naomi, est censé s'effacer pour que le vêtement seul marque les esprits. "Avec l'ouverture des podiums à des mannequins 'différents', un renversement s'opère, analyse Frédéric Godart. Le mannequin revient au centre du défilé". Quitte à éclipser la création qu'il est censé donner à voir?

Models of Diversity

FTL Moda, ce nom vous est certainement inconnu. C'est pourtant ce collectif de créateurs en majorité italiens qui entend faire bouger les choses. Après avoir participé à des fashion weeks secondaires comme celles de Miami, de Los Angeles, de Dubaï ou de Palerme depuis 2008, FTL Moda a fait ses débuts à New York en 2014. Un an plus tard, le collectif organise un défilé avec la Fondazione Vertical, une association italienne pour faire avancer la recherche sur les lésions de moelle épinière et l'agence anglaise Models of Diversity. Des mannequins en fauteuil ou avec des prothèses défilent aux côtés de mannequins "valides". "Le handicap n'empêche pas de défiler auprès des meilleurs mannequins du monde", affirmait ainsi Ilaria Niccolini pendant la fashion week.

Quelques jours plus tôt, la créatrice américaine, Carrie Hammer avait frappé un grand coup en faisant défiler l'actrice trisomique, Jamie Brewer, connue pour son rôle dans la série américaine American Horror Story. Le but avoué de cette créatrice, faire défiler des femmes qui sont inspirantes. "La beauté réside dans la confiance. Mes habits sont un cadre et la femme est le vrai chef d'œuvre", expliquait-elle en 2014 à nos confrères du HuffPost américain.

Force est de reconnaître que FTL Moda, comme Carrie Hammer, sont loin d'être les grands noms de cette semaine de la mode et sont même tout bonnement inconnus du grand public. "Ce type d'initiatives est également très bon pour l'image de marque et pour se faire connaître", reconnaît Frédéric Godart. Mais cela n'entache pas forcément l'initiative de la marque, "tout le monde est gagnant, la marque comme les mannequins", assure Cécile Dupas, la présidente de l'association Trisomie 21 France contactée par Le HuffPost.

"La mode est un milieu très fermé où les corps doivent répondre à des critères très précis et normés, explique-t-elle encore. L'ouvrir à des personnes dites 'non conformes', c'est une super idée. Mais on aura vraiment gagné le jour où on arrêtera de le remarquer", modère-t-elle cependant.

Car oui, on le remarque. Un défilé de mode comme n'importe quel spectacle vivant braque notre regard sur une scène et sur les gens qui s'y produisent. Montrer la différence de la sorte, nous n'y sommes pas habitués, voire même nous avons pour habitude de détourner le regard. "Dans le cadre d'un défilé de mode, ces jeunes femmes sont vues sans que ce soit du voyeurisme", affirme Cécile Dupas.

Cela pourrait vraiment changer les mentalités? Caroline Boudet, mère d'une petite fille trisomique en est convaincue, "Madeline a ouvert les yeux de milliers de personnes 'normales' et changé le regard sur la beauté", écrit-elle dans une tribune publiée sur Le HuffPost. Si le défilé de mode est un beau symbole, il en faudra plus pour faire évoluer les mentalités.

Pour Daniel Rigaud, docteur en nutrition et président de l'association Autrement spécialisée dans les troubles du comportement alimentaire, c'est la télévision qui doit montrer l'exemple. "Par exemple, on pointe souvent du doigt l'anorexie supposée des mannequins et les conséquences sur les jeunes filles. Mais c'est faux, ce n'est pas le mannequinat qui pousse les jeunes filles à devenir anorexiques. Ce sont les gens à la télévision et ceux que l'on retrouve plus largement dans tous les médias qui jouent ce rôle". Ainsi donc, un défilé avec des personnes handicapées n'aurait pas l'effet escompté sur le grand public.

La mère de Madeline Stuart le rappelle, ce n'est qu'un premier pas. Elle a signé une tribune dans le journal anglais The Independent pour soutenir sa fille et convaincre ceux que la carrière de sa fille rendrait encore dubitatifs. "Nous sommes sur le point de faire tomber les murs de l'isolement qui menacent si souvent les vies des personnes handicapées. Le mannequinat est le moyen que nous utilisons parce que c'est la carrière que Maddy a choisie, mais nous espérons à notre échelle changer le monde et balayer quelques stéréotypes en même temps".

Les défilés de mode ont souvent un temps d'avance. Ce n'est pas Andreja Brejic qui dira le contraire. Cette mannequin transgenre a défilé dès 2011 pour Jean-Paul Gautier, John Galliano, Paul Smith ou encore Raf Simons. C'était bien avant l'annonce de Caitlyn Jenner et sa couverture de Vanity Fair en juillet 2015.

La diversité est une tendance qui s'installe sur le long terme, ce n'est pas une mode qui va passer.

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