La ministre de la Santé du Canada refuse de se compromettre quant à la possibilité qu'Ottawa interdise les gras trans dans les produits alimentaires transformés, tel que l'a annoncée mardi matin la Food and Drug Administration des États-Unis.
Interrogée à ce sujet, Rona Ambrose s'est bornée à dire que son ministère allait « étudier » la décision de l'agence américaine de réglementation des aliments », et qu'il consultait déjà l'industrie alimentaire à ce sujet.
« On savait que la FDA allait dans cette direction. Santé Canada est déjà en consultation avec l'industrie alimentaire. »
— Rona Ambrose, ministre de la Santé du Canada
Mme Ambrose souligne que le Canada a été le premier pays à imposer l'étiquetage obligatoire des gras trans sur les aliments vendus en épicerie il y a quelques années, et qu'il a ensuite proposé des cibles volontaires de gras trans pour les manufacturiers.
« Nous voyons la réduction aujourd'hui. Depuis deux décennies, il y a eu une diminution de 60 % de la quantité de gras trans consommée par les Canadiens, ce qui est une bonne chose », a-t-elle noté.
Selon Mme Ambrose, Santé Canada travaille en collaboration avec la FDA. Elle soutient par exemple que l'agence américaine va « probablement » adopter les nouvelles mesures annoncées par son ministère en matière d'étiquetage des sucres contenus dans les produits alimentaires.
Elle n'est cependant pas allée jusqu'à dire que le Canada allait probablement imiter son voisin américain au sujet des gras trans. « Je sais que Santé Canada étudie ce que la FDA a fait, et la science qui soutient ça », s'est-elle contentée de dire.
Des choix pour Santé Canada
Pour Benoît Lamarche, titulaire de la Chaire en nutrition de l'Université Laval, dit ne pas être étonné par l'approche américaine. Il doute cependant du bien-fondé d'adopter une approche aussi coercitive.
« Il y a beaucoup de lobbys depuis les 20 dernières années contre les gras trans, et avec raison. Les études sont assez éloquentes par rapport à ça. Je pense que le lobby a eu raison de la gouvernance », souligne-t-il.
« La coercition dans ce cas-là ne fait de mal à personne. Les gens ne s'en rendent pas compte de ce changement-là. [...] Du jour au lendemain, [leur] alimentation s'améliore », admet celui qui est aussi chercheur à l'Institut sur la nutrition des aliments fonctionnels.
M. Lamarche s'interroge néanmoins sur l'opportunité d'imiter la FDA. Il souligne qu'une étude publiée en 2014 par des chercheurs de l'Université de Toronto a montré que l'approche volontariste préconisée par Ottawa atteint de bons résultats.
L'étude, dit-il, s'est penchée sur 10 000 produits alimentaires contenant des gras trans offerts au Canada à la fin des années 2000. Elle a conclu que 97 % de ces produits respectaient les cibles de Santé Canada en 2010-2011, alors que cette proportion était de 75 % quelques années plus tôt.
« Les mesures de recommandation et l'espoir que l'industrie fasse son bout ont porté leurs fruits. Seuls 3 % des produits disponibles à la consommation ne rencontrent pas les limites imposées par Santé Canada », résume-t-il.
« Est-ce que l'effort en vaut la chandelle pour 3 % des produits? », se demande-t-il. « Ce qui contient encore des gras trans, c'est des produits qu'on ne devrait pas consommer très souvent de toute façon », ajoute-t-il, en nommant entre autres des scones et les colorants à café.
« Ça paraît bien de dire on est rendus à zéro gras trans. C'est un message fort. Par contre, je trouve que c'est beaucoup d'énergie pour pas grand-chose. Un faux sentiment de sécurité peut-être alors qu'il y a des problèmes nutritionnels plus importants que ça. »
— Benoît Lamarche, titulaire de la Chaire en nutrition de l'Université Laval
Selon lui, il serait peut-être plus avisé de mener des « combats plus importants », notamment de convaincre les Canadiens de consommer plus de fruits et légumes et de produits céréaliers avec des fibres, et moins de boissons gazeuses. Ces objectifs, dit-il, pourraient avoir d'importants effets sur la santé de la population.
Marie-Josée LeBlanc, directrice scientifique d'Extenso, le centre de référence en nutrition de l'Université de Montréal, concède que l'industrie a réussi à trouver des solutions de rechange au gras trans.
Elle souligne cependant qu'un certain nombre de produits contiennent toujours des gras trans. Bannir ces graisses, dit-elle, « aurait dû être fait bien avant ». Elle s'attend maintenant à ce que le Canada suive l'exemple des Américains.
Le Canada, note-t-elle, « est encore loin de la recommandation de l'Organisation mondiale de la santé, qui recommande plutôt que les gras trans ne représentent pas plus de 1 % de l'apport énergétique total d'une personne. »
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