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«À la vie, à la mer»: entretien avec la chanteuse Laurence Jalbert

«À la vie, à la mer» : Laurence Jalbert, la résiliente
Stéphane Lamontagne

À la vie, à la mer. C’est le titre que Laurence Jalbert a choisi pour sa biographie, lancée au début du mois. La métaphore représente le tempérament de feu de la femme à la chevelure tout aussi incandescente, son appétit – non, sa rage – de vivre, et, bien sûr, l’amour inconditionnel qu’elle voue à sa Gaspésie natale.

Mais, à la lecture de l’ouvrage, il nous traverse l’esprit qu’il aurait pu s’intituler La résiliente ou Ode à la résilience, ou n’importe quelle autre image évoquant l’acte de se tenir debout devant l’adversité, de se reconstruire dans la sérénité, d’aborder l’avenir avec espoir malgré les écueils.

Car la vie a souvent éprouvé Laurence Jalbert, de bien des façons : départ de la maison familiale alors qu’elle était adolescente, conditions de tournées affreusement difficiles, soucis financiers, maladies qui lui ont fait voir la mort de près à trois reprises (dont la bactérie mangeuse de chair), épisodes de violence, naissance prématurée de son fils, qui a failli mourir en voyant le jour…

Pourtant, toujours, Laurence Jalbert a su trouver la parcelle de lumière qui la propulserait vers des jours meilleurs, et s’en sortir grandie, sans colère ni rancune. La citation de René Char qui accueille le lecteur aux premières pages d’À la vie, à la mer, est le reflet de sa ténacité : «La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil».

«La résilience est un mot très, très puissant, observe Laurence. Oui, il a fallu que je fasse preuve de résilience à quelques moments dans ma vie, mais le mot est trop puissant pour que je l’utilise comme titre de livre. C’est trop évocateur. Ma vie n’a pas été que résilience. Oui, dans des périodes, j’ai eu affaire à rebondir, parce que je suis faite comme ça, mais je n’en aurais pas fait le titre de mon livre.»

«À la vie, à la mer, ça me définit bien, parce que je suis une excessive, une intense, poursuit la chanteuse. J’ai toujours dit que je fais les choses à la vie, à la mort. Il y a plusieurs années, une amie de Gaspé voulait que je lui signe une affiche ; j’étais devant la baie de Gaspé, et j’ai écrit : «À la vie, à la mer. Laurence Jalbert». Ça décrit tellement ce que je suis!»

La tendre rockeuse n’a pas tort. Si elle n’a jamais cessé de se battre, elle a toujours su se raccrocher à ce qu’elle savait beau : ses enfants, sa passion pour son métier, et les êtres humains qu’elle croise encore à tous les jours et la nourrissent de mille manières.

«Je te jure que, parfois, je cherchais la moindre lueur. Je me disais que c’était peut-être juste une odeur de fumée, le bout d’une allumette, mais je cherchais. C’est peut-être ce qui me caractérise. Si la lumière n’est pas là, je vais la trouver. S’il y a un nuage au-dessus de ma tête, je ne vais pas déplacer le nuage, je vais me tasser d’en dessous. C’est à moi de faire les choses. C’est à nous de bouger. C’est à nous de changer notre vie, de la chercher, la lumière. Parce qu’elle est là.»

«Qui je suis pour dire ça? Tout ce que je sais, c’est que c’a fonctionné pour moi», expose Laurence, d’une voix douce, sans la moindre trace d’arrogance ou d’insolence.

Précieux témoignages

Ce n’est pas une biographie traditionnelle que Laurence Jalbert propose avec À la vie, à la mer, qui souligne ses 40 ans de carrière et les 25 ans de son premier album éponyme, paru en 1990.

Sous la plume de l’auteur et journaliste Claude André, l’auteure-compositrice relate les chapitres importants de son existence à partir de 12 titres marquants de son répertoire : Tomber, Au nom de la raison, Corridor, Mots de femmes, Encore et encore, Berceuse, Chanson pour Nathan, Pour toi, Comme tu me l’as demandé, Jeter un sort, Qui est cet homme? et Rage. Le document s’accompagne d’un album numérique (disponible sur iTunes) rassemblant les 12 morceaux, réinterprétés par Laurence en version acoustique.

«Une bio en tant que telle, il n’était pas question que je sorte ça, tranche-t-elle. Une biographie à 55 ans, pour moi, c’aurait été prétentieux. Mais Claude me connaît bien. C’est un ex-chum…C’est lui qui a eu l’idée des 12 chansons.»

Un beau cadeau d’anniversaire pour le public qui la suit fidèlement depuis toutes ces années, la remercie-t-on. «C’est un cadeau pour moi aussi», s’empresse-t-elle de préciser, avec son humilité, qui nous happe dès les premiers mots échangés avec elle. Simple et terre-à-terre, Laurence Jalbert estime recevoir autant des gens qui s’intéressent à sa carrière et se confient à elle, qu’eux retirent d’elle lorsqu’elle leur offre les textes et musiques qui viennent de son cœur et qu’elle leur tend une oreille attentive.

«Depuis mon enfance, j’ai une «face à confidences», raconte-t-elle. J’étais dans mon petit village, à Rivière-au-Renard, et mes petits amis me racontaient leur vie. Et moi, je pensais que c’était comme ça pour tout le monde. Quand tu sors un album où tu t’adresses aux gens, où tu leur racontes des histoires qui les concernent, ça devient leurs histoires à eux.»

«Quand les gens viennent me parler, je ne reçois pas uniquement des compliments sur la voix, la ligne mélodique, le swing de la chanson, la qualité du concert ; oui, ces mots, je les mets dans mon cœur, et je dis toujours un énorme merci d’avoir reçu ce talent-là. Mais, le plus grand des talents que j’ai reçus, c’est d’avoir cette ouverture à recevoir les témoignages des gens. J’entends des histoires incroyables, de personnes qui doivent recevoir des traitements douloureux et qui écoutent ma musique pour s’encourager, de gens qui glissent un papier dans ma poche, me disant qu’ils étaient sur le point de s’enlever la vie et qu’ils ont changé d’idée en entendant l’une de mes pièces à la radio, d’adolescentes qui me sautent dans les bras sur le coin d’une rue en me demandant de les aider…»

«Mais c’est important de souligner que ce n’est pas grâce à moi, souligne Laurence. C’est grâce aux petites chansons que j’ai écrites sur le bord d’une table, que j’ai co-composées… Moi, je porte le message, je le porte dans ma voix, mais c’est cette dimension, au-delà du compliment, qui fait du bien. Ce sentiment de faire une différence dans la vie du monde. Ça, ça donne un sens à ma propre vie, à ce métier de fou que je pratique depuis si longtemps.»

«Moi, j’ouvre mes bras. Je ne peux rien faire de plus que de chanter et écouter. Je ne peux sauver personne. Mais c’est extraordinaire de recevoir ça. Une chanson, c’est banal, mais moi, je sais que ça peut aller très loin, dans le cœur des gens. Quand on vient me parler et que je suis au restaurant ou à l’épicerie, j’écoute quand même, parce que je ne peux pas arrêter ces conversations.»

Modèle de courage

Quelques photos de la famille de Laurence Jalbert agrémentent les écrits de À la vie, à la mer, notamment des portraits de ses enfants, Jessie, 32 ans, et Nathan, 19 ans, et de ses quatre petits-enfants.

Jessie et Nathan ont ils hérité de la force de caractère de leur maman? La vie ne leur a pas beaucoup laissé le choix, à eux non plus. Né grand prématuré, Nathan a effectué maints allers et retours à l’hôpital pendant ses premières années de vie et se souvient d’avoir eu un dossier médical «épais comme le bottin de la ville de Montréal» à son nom. Jessie, elle, «s’est élevée toute seule», aux dires de Laurence. «Son père est parti le jour de l’accouchement, comme dans une vue…», mentionne la fière mère sans, encore une fois, aucune trace d’amertume dans la voix.

«Ma fille a beaucoup, beaucoup de sa mère. Je l’ai élevée toute seule, avec 150 shows par année, alors que je lançais mes premiers albums. J’étais assez pauvre… Elle avait six ans quand mon premier album est sorti, et sa mère est partie sur une chire… Mais ma fille s’est bâtie sur ce que j’avais de mieux. Quand j’étais présente, j’étais totalement là. Il y a des décisions, comme de ne pas aller faire carrière en France, que j’ai prises pour elle, et elle ne l’a su que beaucoup plus tard. Moi, je ne suis pas carriériste, dans la vie, je suis passionnée, et ça ne m’intéressait pas. Ma fille a toujours su qu’elle n’était pas une décoration dans ma vie, à exposer sur les pages couvertures de magazines. Ma fille, c’était précieux. Et mon fils aussi.»

Laurence a d’ailleurs eu de la difficulté à «partager», en quelque sorte, son petit garçon avec le Québec en entier lorsque Chanson pour Nathan a commencé à rouler sur les ondes radiophoniques, en 1998.

«Quand il avait quatre ou cinq ans, on marchait sur la rue et il m’avait demandé : «Maman, pourquoi tout le monde me connaît?». Et je n’avais pas aimé ça. Tout le monde le reconnaissait, l’appelait par son prénom, et moi, je regrettais d’avoir appelé cette chanson ainsi. Quand je l’ai écrite, j’étais dans le désespoir total. Être sur le bord de perdre son enfant, il n’y a rien de pire. Avoir peur de perdre mon enfant, c’est la plus grande des souffrances à laquelle j’ai dû faire face. Quand j’ai écrit ça, je pensais que c’allait être juste entre lui et moi. Je voulais juste lui dire à quel point c’était un champion, mon champion, et à quel point il était un modèle de courage. Mais je me suis aperçu que bien des gens ont interprété Chanson pour Nathan comme modèle de courage pour ce qu’eux avaient à traverser dans leur propre vie.»

Laurence Jalbert donnera à compter du mois de mai une série de conférences intitulées Je vais bien, dont le contenu sera un dérivé d’À la vie, à la mer. L’automne prochain, elle lancera un nouvel album de matériel entièrement original.

Le livre et le disque numérique À la vie, à la mer sont en vente depuis le début mars.

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