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Les attaques meurtrières attisent les divisions sur la côte kényane

Les attaques meurtrières attisent les divisions sur la côte kényane

La vague d'attaques meurtrières qui s'abat depuis plus d'un mois sur la côte touristique du Kenya attise les divisions dans une région où islam radical, tensions ethniques et querelles foncières forment un cocktail explosif.

"Les gens ici vivent toujours dans la peur, et les autres ont fui", confie à l'AFP Anne Gathigi. Cette mère de cinq enfants a perdu son mari dans le raid perpétré à la mi-juin contre la localité de Mpeketoni et des villages alentour, sur la côte de l'océan Indien proche de l'archipel touristique de Lamu (sud-est).

Depuis lors, au moins 87 personnes ont été tuées dans ces attaques. Les insurgés islamistes somaliens shebab ont revendiqué la plupart de ces opérations, lancées en représailles à l'intervention de l'armée kényane en Somalie dans le cadre d'une force africaine.

Mais, pour la population, la confusion règne. Le gouvernement accuse en effet, non les islamistes, mais des réseaux politico-criminels locaux qui voudraient "rendre le pays ingouvernable", selon le vice-président William Ruto. Aux yeux des Kényans, c'est l'opposition qui, malgré ses démentis, est montrée du doigt.

Pourtant, selon des survivants, les massacres ont bien été commis par des commandos qui proclamaient leur appartenance aux shebab et qui exécutaient des hommes de confession chrétienne.

L'implication des shebab ne fait pas de doute, confirment des chancelleries étrangères.

"Pour nous il est clair que les shebab étaient impliqués d'une manière ou d'une autre au niveau des effectifs, de la planification et de la logistique", indique une source militaire occidentale.

Mais, souligne cette source, "ils travaillaient avec des sympathisants locaux et c'est en fait plus inquiétant que si c'était simplement une opération 100% shebab. Cela montre qu'ils ont étendu leur franchise, que la menace s'est transformée en quelque chose de nouveau".

Le Kenya, première puissance économique d'Afrique de l'Est, subit depuis plusieurs années des attaques attribuées aux shebab, affiliés à Al-Qaïda. Les islamistes ont revendiqué l'assaut contre le centre commercial Westgate à Nairobi (67 morts en 2013).

Mais, en visant la côte, les auteurs des dernières attaques frappent une région déjà fragile. Une "cible idéale" pour attiser les divisions, résume un diplomate.

Les habitants en dénoncent depuis longtemps la marginalisation économique, à l'image du Conseil républicain de Mombasa (MRC), mouvement séparatiste officiellement interdit, mis en cause aussi après les tueries.

Et les problèmes fonciers sont un défi majeur. "La question de la terre dans la région de Lamu est au bord d'exploser", alerte Hussein Khalid, responsable d'une ONG locale. Les shebab "peuvent tirer profit de la situation", prévient ce défenseur des droits de l'Homme.

La région est l'une de celles où les querelles foncières empoisonnent de longue date les relations entre ethnies, déjà divisées par la religion.

Les autochtones, essentiellement musulmans, s'estiment lésés au profit de communautés venues de l'intérieur du pays, en grande majorité chrétien, à qui le gouvernement avait attribué sur la côte des terres il y a des décennies.

Mpeketoni, où une cinquantaine de personnes ont été massacrées, est ainsi une zone habitée par des Kikuyu. Originaire du centre du pays, c'est l'ethnie la plus nombreuse, et celle du président Uhuru Kenyatta.

Sur le terrain, alors que l'islam radical aux sympathies pro-shebab affichées progresse parmi la jeunesse, certains craignent une exacerbation des tensions interreligieuses.

Mais la situation a pu être maîtrisée jusqu'à présent, assure un parlementaire, Julius Ndegwa. Selon lui, après les premiers raids le climat "était pire, des rumeurs disaient que des chrétiens voulaient attaquer les musulmans locaux en représailles".

Les forces de sécurité paraissent en tout cas dépassées.

"La police n'a pas la capacité opérationnelle pour contenir les assaillants car elle n'est pas formée pour lutter contre une guérilla", explique un membre des services de renseignements kényans.

Le gouvernement affirme cependant que la situation est sous contrôle et appelle au "calme".

Toutefois, estiment des diplomates, le pouvoir s'enferme dans le "déni" en récusant le rôle des shebab. Et les relations avec les alliés occidentaux du même coup se dégradent, pendant que les touristes désertent la côte.

Dernier épisode en date: à peine le Foreign Office déconseillait-il la semaine dernière aux Britanniques de se rendre sur l'archipel de Lamu, que Nairobi appelait les Kényans à éviter l'aéroport londonien d'Heathrow.

"Coup pour coup", soupire une source sécuritaire occidentale, ajoutant: "les autorités kényanes semblent plus affectées par nos avertissements aux voyageurs que par les attaques shebab".

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