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Prônée par les jihadistes, la destruction des frontières coloniales peu crédible

Prônée par les jihadistes, la destruction des frontières coloniales peu crédible

La destruction des frontières héritées du colonialisme, prônée par les jihadistes en Syrie et en Irak, a peu de chance de se réaliser car les Arabes se les sont appropriées et les considèrent comme intangibles, estiment des experts.

Il y a deux semaines, l'Etat islamique d'Irak et du Levant (EIIL), un avatar d'Al-Qaïda qui entend constituer un califat à cheval sur la Syrie et l'Irak, a diffusé la photo de jihadistes aplanissant un mur de sable aux confins des deux pays avec comme légende "Briser la frontière Sykes-Picot".

Cet accord signé secrètement à Londres le 16 mai 1916 entre le militaire britannique Mark Sykes et le diplomate français François Georges-Picot, prévoyant le partage du Moyen-Orient entre les deux pays, est le symbole aux yeux des Arabes de la duplicité des grandes puissances.

Sous les décombres de l'empire ottoman, ne naîtra pas un grand royaume arabe comme promis par les Britanniques au chérif Hussein de La Mecque mais des Etats nationaux qui perdurent.

"Je ne sais pas à quel point les gens sont attachés à leurs frontières mais ils s'y sont habitués. Au Moyen-Orient, elles n'ont pas connu d'importants changements et après près d'un siècle, elles vont probablement demeurer", assure Peter Sluglett, auteur de livres sur les mandats britannique et français au Levant.

L'accord Sykes-Picot, entériné à la conférence de San Remo en avril 1920, a été dénoncé régulièrement et de manière incantatoire par les nationalistes arabes et les islamistes, mais les dirigeants de ces nouveaux pays ont tenu jalousement à leur pouvoir et la décolonisation n'y a rien changé, bien au contraire.

La seule tentative de la République arabe unie entre l'Egypte et la Syrie sera éphémère (février 1958 à septembre 1961).

Pour l'ex-ministre irakien Raid Fahmi, "les nationalistes arabes ont appelé à l'unité et à l'élimination des frontières artificielles mais cela a échoué lamentablement car les dirigeants arabes n'ont cherché qu'à renforcer leur pouvoir dans leurs pays respectifs".

Les jihadistes de l'EIIL ne sont pas mus par le nationalisme arabe mais rêvent de réhabiliter "l'âge d'or" du califat, qui s'est constitué à la mort de Mahomet et de réunir la Oumma (nation musulmane) selon les principes du début de l'islam en appliquant de manière stricte la charia.

Outre les quatre premiers califes, successeurs de Mahomet, quatre califats importants ont existé avant de s'éteindre en 1924. Pour les jihadistes, l'islam a connu une expansion durant cette période.

"L'ouverture d'une route (par les jihadistes) entre la Syrie et l'Irak est un geste symbolique mais la majorité des habitants de ces deux pays veulent la paix et rejette l'extrémisme musulman", assure M. Sluglett.

Le géographe français spécialiste de la Syrie, Fabrice Balanche, pense aussi que "les frontières tracées par Sykes-Picot constituent des cadres désormais bien inscrits dans la géographie et l'économie difficiles à effacer".

"De nouveaux États apparaîtront au Moyen-Orient, mais dans le cadre des frontières actuelles. Je ne pense pas qu'un morceau de Syrie et un morceau d'Irak puisse constituer un nouvel Etat. L'Irak va sans doute se disloquer à terme, les Kurdes au nord seront les premiers à prendre l'indépendance et la fédération arabe sunnite-chiite finira par éclater", ajoute-t-il.

En revanche, l'expert français de l'Irak Pierre-Jean Luizard, pense que la région est à la veille d'un nouveau tracé des frontières. "Je crains qu'on ne soit à la veille de bouleversements très importants qui remettent en cause des États perçus comme des créations coloniales".

"Au moment où on entre dans les commémorations de la Première Guerre Mondiale, l'ordre étatique et politique de 1920 est remis en cause. On voit un nouveau Grand Jeu s'instaurer. C'est la délégitimation des États, non seulement en Irak, mais aussi en Syrie et au Liban. Un tel chamboulement ne se fera pas sans violence", dit-il.

Mais pour le directeur d'al-Watan, proche du pouvoir syrien, Waddah Abed Rabbo, l'EIIL sert les intérêts des "néo-conservateurs américains qui veulent créer des entités hostiles". "Dans les coulisses de l'administration américaine, il y a un large débat entre différents courants dont certains estiment que si l'EIIL parvient à s'installer dans l'ouest de l'Irak, ce serait l'occasion de couper l'axe Téhéran-Bagdad-Beyrouth et isoler la Syrie".

sk/tp

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