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Rébellion dans les salons de beauté afro de l'est parisien

Rébellion dans les salons de beauté afro de l'est parisien

Un vent de révolte souffle sur le quartier parisien de Château d'Eau, sorte de Mecque des salons de beauté pour femmes noires, où les salariées, souvent sans-papiers, commencent à protester contre leurs employeurs, peu regardants sur les règles du droit.

"Madame, une manucure ? des tresses, des mèches ?" Le conflit social n'a pas encore débordé sur les trottoirs, où les rabatteurs continuent d'alpaguer les passantes pour les attirer chez "Afro King", "Suprême White" et "Dallas Afro Beauté".

Depuis une quinzaine d'années, le boulevard de Strasbourg et les rues adjacentes, près des gares de l'Est et du Nord, se sont spécialisées dans la beauté pour femmes noires, comblant le vide laissé dans le quartier par la fermeture des activités de fourrure qui ont longtemps eu pignon sur rue et en s'appuyant sur une tradition ancienne de perruquerie.

Environ 150 salons se partagent une clientèle venue de toute l'Ile-de-France où vivent près de 400.000 personnes originaires d'Afrique Noire. Y règne une spécialisation des tâches: des Africaines coiffent, des Chinoises font les ongles et les sourcils.

"Beaucoup de boutiques ne respectent pas les règles", souligne le maire du 10e arrondissement de Paris, Rémi Féraud, en évoquant des nuisances sur la voie publique, mais aussi le travail au noir, l'embauche de sans-papiers et une "exploitation des salariés".

Des contrôles de police, de l'inspection du travail ou des autorités sanitaires ont régulièrement lieu, mais "c'est difficile de monter des dossiers contre les gérants quand les salariés refusent de se déclarer victimes", souligne l'élu socialiste.

Pour la première fois, une dizaine de Chinoises ont brisé cette loi du silence. Après des années à travailler pour un salaire de misère dans des effluves de dissolvant étouffantes, elles ont craqué fin décembre quand leur patron a totalement cessé de les payer.

L'une d'elles contacte alors une connaissance au syndicat CGT. Pendant deux mois, elles occupent le site avec des militants syndicaux. Le gérant prend la poudre d'escampette, mais huit femmes et un homme continuent pour obtenir leur régularisation, acquise fin avril.

Quelques semaines plus tard, leur exemple a fait des émules. A deux pas de la première boutique, une vingtaine d'employés déposent à leur tour brosses et ciseaux.

Payés à la tâche (ce qui est illégal), les coiffeuses gagnent entre 400 et 1.000 euros par mois, travaillent 7 jours sur 7, du matin jusque tard le soir. "On avait peur de contester parce qu'on est sans-papiers", témoigne une Ivoirienne de 24 ans. "Mais on a vu que ce n'était pas dangereux".

Cette fois le gérant signe, sous la pression de la CGT, des contrats de travail à tous ses employés. "Maintenant on a des horaires, un salaire, on est heureuses", se félicite une Guinéenne.

Ces contrats n'ont pourtant aucune valeur légale, tant que la présence en France des personnes concernées n'aura pas été régularisée par la préfecture de police, souligne Patrick Picard, responsable départemental de la CGT.

Le maire pousse en ce sens. "Pour la première fois, des salariés protestent contre leur sort. C'est une vraie chance pour qu'il y ait un changement dans le quartier. Il faut que les pouvoirs publics les encouragent", avance-t-il.

Alors que le sort des étrangers en situation irrégulière (estimés à 300.000 à 400.000 dans toute la France) est un sujet très sensible politiquement, la droite accusant la gauche de laxisme à chaque fois que cette dernière est au pouvoir, le ministère de l'Intérieur se refuse à donner une consigne générale de régularisation mais admet que "pour sortir d'un conflit social, les préfets peuvent se montrer bienveillants".

En attendant, Rémy Féraud se réjouit que la CGT ait mis "un coup de pied dans la fourmilière". Fin juin, il recevra des gérants en présence de l'inspection du travail et de la CGT pour "voir comment on peut avancer". "J'espère que ça va créer une prise de conscience dans les autres salons, dit-il. Je sais que ce sera un long processus, je ne suis pas naïf".

Du côté des gérants, la gêne est manifeste. Contacté par l'AFP, l'un des représentants de l'association ASBACE qui les fédère, a refusé de répondre.

Quant aux grévistes, elles sont sans illusion: "dans les autres boutiques, on nous accuse d'avoir gâté Château d'Eau".

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