Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

La croisière blanche de six aveugles dans la nuit polaire du Groenland

La croisière blanche de six aveugles dans la nuit polaire du Groenland

C'est une expédition sans précédent, une croisière blanche de l'extrême dans la nuit polaire du Groenland: six aveugles, en mars prochain, traverseront la baie englacée de Melville, au nord-ouest de l'île arctique, pour démontrer qu'en dépit de leur handicap, les non voyants doivent être placés sur un pied d'égalité avec les voyants.

Cette expédition polaire en autonomie complète d'une quinzaine de jours et quelque 400 km, à ski et traîneaux à chiens dans l'une des régions les plus isolées de l'Arctique, est une première pour des non voyants qui seront accompagnés d'autant de voyants, placés dans les mêmes conditions d'obscurité permanente sur cette banquise au bord de la mer de Baffin.

"C'est l'enfer polaire, l'une des régions les plus froides de l'Arctique avec des températures oscillant entre -40 et -30°C", a expliqué à l'AFP Nicolas Dubreuil, aventurier et explorateur des pôles, qui y vit 6 mois de l'année et sera le chef d'expédition de cette aventure arctique baptisée Nanumut (sur les traces de l'ours en langue Inuit).

L'ours est le maître des lieux, dans la baie de Melville déclarée zone protégée où il est hors de question de circuler sur des engins à moteur. Nicolas l'a déjà parcourue, été comme hiver, à ski, traîneau ou kayak à la fonte de glaces. Il y vit dans le petit village de Kullorsuaq, l'un des derniers bourgs "à l'ancienne" de chasseurs d'ours et de baleines.

Un groupe de chasseurs Inuits de ce village esquimau avec traîneau et chiens sera de l'expédition pour en assurer à la fois la protection contre les plantigrades, mais aussi veiller à déjouer les pièges -à certains endroits difficilement repérables- de la banquise qui peut s'avérer peu épaisse et céder sous le poids des chemineaux à ski.

Si Nicolas Dubreuil est le cicérone de ce trek glacé, l'âme de l'expédition, l'infatigable pèlerin sur les routes du monde en faveur de l'insertion de ceux qui ont perdu la vue, est Gérard Muller. Cet ancien pharmacien strasbourgeois, atteint de rétinite pigmentaire, a perdu la vue au fil du temps depuis l'âge de 20 ans.

Gérard, 66 ans aujourd'hui, qui en 2011 a parcouru seul le chemin de Compostelle, équipé d'un prototype GPS vocal pour aveugles et en 2008 participé en tandem à la cyclo-caravane Paris-Pékin (12.000 km), organisée par la Fédération Française de Cyclotourisme, va lui aussi chausser les skis pour affronter l'enfer blanc:

"Cette nouvelle expédition comme les précédentes que j'ai entreprises, recouvre toujours le même but, mon obsession, mon sacerdoce: sortir les aveugles de la prison de leur handicap. Seul 5% des quelque 2 millions de mal voyants français osent sortir de chez eux, avoir des activités, a-t-il expliqué à l'AFP. Là est le drame, la réclusion, l'enfermement dans le handicap".

"Il y a une honte de soi-même, de l'image que l'on renvoie. Les mal voyants perdent l'amour d'eux-mêmes, plongés dans une éternelle obscurité sédentaire. Acceptez votre handicap, ne regardez pas en arrière, apprenez à vous aimer, ayez des rêves, vivez les", lâche Gérard Muller comme une profession de foi.

La nuit permanente de l'hiver polaire va ainsi placer les voyants et aveugles dans les mêmes conditions extrêmes, avec un avantage pour les seconds qui vivent en permanence dans le monde de l'obscurité.

"La démonstration que nous voulons faire est que dans ces conditions particulières, +l'aidé+ peut devenir +l'aidant+ et qu'il en va de même dans la vie de tous les jours, soutient Gérard Muller. L'immense majorité des mal voyants sont au chômage alors que leur handicap n'empêche en aucun cas l'acquisition d'une foultitude de qualifications leur permettant d'avoir un métier".

Pour construire ce pont entre lumière et obscurité, transformer le handicap de la cécité en simple différence, interpeller les entreprises pour qu'elles ne craignent pas d'embaucher les porteurs de cannes blanches, les six courageux aveugles de l'expédition Nanumut vont payer de leur personne, souffrir dans leur chair mais éclairer la nuit polaire de la baie de Melville d'un immense espoir.

pf/heg/alh

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.