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Collusion sur les contrats du MTQ : retour sur les origines

La commission s'intéresse à la programmation des travaux du MTQ
CEIC

La volonté du gouvernement péquiste de contrer une baisse anticipée de l'activité économique dans la foulée du 11 septembre 2001 en haussant les investissements dans les travaux routiers a eu des effets pervers en ouvrant la voie à la collusion. S'est alors entamée une lutte, à armes bien inégales, entre le ministère des Transports et les collusionnaires.

L'ex-adjoint au sous-ministre des Transports Gilles Roussy (1994-2008) a expliqué à la commission Charbonneau que, fort d'un budget soudainement gonflé à 1,39 milliard $ pour 2002-2003, le MTQ s'est retrouvé à lancer sur le marché un nombre accru d'appels d'offres pour des projets routiers.

Rapidement, dès le printemps 2002, les fonctionnaires du ministère se rendent compte que les soumissions sont bien plus élevées que d'habitude : les écarts entre les estimées du MTQ et les soumissions des entrepreneurs, auparavant d'au plus 5 %, dépassent parfois les 25 %, 30 %, voire 35 %.

Décision est alors prise que tout écart de plus de 10 % devait être approuvé par le bureau du sous-ministre et l'on prend bonne note du nom des entreprises qui soumissionnent ainsi, aux aguets pour de la collusion.

C'est ainsi, grâce à cette vigilance a expliqué M. Roussy, que décision sera prise de retourner en appel d'offres pour un projet concernant l'autoroute Décarie ainsi que le projet de voies de déviation sur l'île Charron, à l'entrée du tunnel Hippolyte Lafontaine. Dans ces cas, c'était non seulement l'écart qui avait attiré les soupçons du MTQ, mais aussi le petit nombre de soumissionnaires.

La tactique du MTQ échouera cependant pour l'île Charron, puisque les soumissionnaires - les mêmes - en profiteront pour augmenter leur prix. Le ministère n'eut donc pas le choix de reporter d'un an le projet, avec, cette fois, un meilleur succès.

Seulement, ces hausses des prix du marché eurent malgré tout comme conséquence de gonfler les estimations du MTQ pour l'avenir, étant basées sur les coûts historiques, ce qui permit donc aux entrepreneurs de tirer les coûts vers le haut.

D'ailleurs, cette vigilance avait de limites réelles, a souligné M. Roussy : le ministère, de fait, n'était « absolument pas » outillé pour débusquer lui-même la collusion. Son service d'enquête interne s'est d'ailleurs révélé incapable de faire confirmer les informations d'un dénonciateur sur de la collusion présumée tant le dossier de l'autoroute Décarie que de la réfection du rond-point L'Acadie.

Ironiquement, le rapport d'enquête interne sur Décarie, a malgré tout souligné que « tous (les) dirigeants d'entreprises nous ont affirmé qu'ils se parlent pour savoir s'ils soumissionnent sur tel ou tel appel d'offres ». « Seulement », poursuit-il « il n'y a pas de prix ou d'entente entre eux »...

M. Roussy a confirmé avoir appuyé sans réserve le conseiller au sous-ministre François Beaudry lorsque ce dernier lui a apporté des preuves de collusion dans la région de Montréal au début 2003, grâce à un entrepreneur montréalais lui-même impliqué dans le racket.

M. Beaudry, a-t-il expliqué servira, avec son accord, pendant des années, d'agent de liaison entre la police et son informateur secret, qui, nous a-t-il appris, rencontrera éventuellement la SQ. Le tout ne donnera finalement pas les résultats escomptés puisqu'en 2009, peu avant de faire ses révélations à Enquête, François Beaudry lui apprendra que la SQ a transféré le dossier au bureau de la concurrence.

Roussy contredit Fournier sur une histoire de corruption

Gilles Roussy a par ailleurs fermement nié avoir déjà demandé à l'ancien directeur du bureau du MTQ à Montréal, Paul-André Fournier, de « tasser » Guy Hamel, un fonctionnaire qui a avoué avoir été corrompu devant la commission.

« Je n'ai aucun souvenir de cet évènement-là, puis c'est impossible que je ne m'en rappelle pas. Vraiment impossible », a-t-il dit. Il a assuré que s'il avait bel et bien su ce que Hamel a avoué, il n'aurait pas demandé de le « tasser », mais de le relever de ses fonctions, et la commande aurait nécessairement dû être exécutée.

L'intégrité des d'appel d'offres, un souci constant

L'adjoint au sous-ministre des Transports Gilles Roussy a soutenu que son ministère s'est constamment soucié de s'assurer de l'intégrité du système d'appel d'offres dans l'octroi de contrats de génie.

Gilles Roussy soutient qu'il n'y a jamais eu de « game dans l'octroi des honoraires professionnels », ce qu'il n'a pas hésité à affirmer lorsque la chose lui fut demandée, tant par le chef de cabinet du ministre des Transports en 1994, à l'arrivée au pouvoir du PQ, que par celui de son successeur libéral au début du premier gouvernement Charest.

L'ancien adjoint au sous-ministre a expliqué que diverses mesures ont été prises au fil du temps afin de s'assurer qu'il n'y ait pas de favoritisme au niveau des fonctionnaires dans le choix des firmes : plus de membres sur les comités suivant la taille des contrats, des jurés sélectionnés de façon aléatoire et tenus au secret... « Chaque fois qu'il y avait une faille, on la bloquait, a soutenu M. Roussy.

Une programmation pour l'essentiel à l'écart du politique

M. Roussy a aussi été interrogé sur la programmation des travaux. Selon lui, il y a peu de place pour des interventions politiques, sauf s'il s'agit de projets routiers de peu d'envergure, que l'on peut préparer sur une période de 2 ou 3 mois.

Le 25 avril dernier, l'ex-sous-ministre Florent Gagné avait lui-même expliqué à la commission que des choix politiques, légitimes selon lui, pouvaient être faits pour les projets de développement du réseau routier.

Il avait notamment expliqué que des contrats d'asphaltage (dits tarifés) pouvaient être accordés sans appel d'offres - ou sur invitation dans de rares cas - à la fin de l'été, si des enveloppes budgétaires dédiées à d'autres travaux n'avaient pas été dépensées comme prévu.

Selon M. Roussy, il faut parler ici de sommes annuelles entre 15 et 20 millions de dollars disponibles pour de tels contrats.

M. Roussy a admis que le MTQ sait depuis vingt ans que le marché de l'asphalte était organisé, comme il a d'ailleurs été démontré par la commission, et qu'il a d'ailleurs tenté de contrer le phénomène en recourant à ces fameux contrats tarifés pour les projets de moins de 1 million, voire de 2 millions.

M. Roussy a expliqué que ces contrats, accordés à la fin de l'été, sont sélectionnés par le MTQ suivant les propositions de ses directions régionales. Le tout est discuté avec le ministre délégué, mais la décision ultime revient au ministre qui de façon « très majoritaire » suit les recommandations de ses fonctionnaires.

Il ne peut dire cependant s'il y avait alors une volonté politique alors de favoriser des entreprises d'asphalte qui ont eu jusqu'alors peu de contrats, afin de rééquilibrer le jeu, mais reconnaît que ce n'est pas impossible.

M. Gagné avait déjà souligné que ces contrats d'asphaltage donnaient lieu à des « considérations de nature politique » visant à s'assurer d'une répartition régionale des contrats. Ces choix, a-t-il précisé, se font parmi des projets méritoires, sélectionnés par les directions territoriales du ministère.

« Il y a des ministres régionaux à Québec comme vous savez, des ministres qui s'occupent des intérêts particuliers de leur région », a-t-il encore dit.

Chevrette : un prélude...

Gilles Roussy a aussi été brièvement interrogé sur la construction du lien routier entre Saint-Donat et Lac-Supérieur. En mai 2013, l'ex-vice-président au développement des affaires de la firme Roche, Gilles Cloutier, avait accusé l'ex-ministre péquiste des Transports Guy Chevrette d'avoir « fait de la magouille » dans ce dossier.

M. Roussy a expliqué que cette route, pour laquelle la MRC de Matawinie a obtenu des subventions de 18,8 millions de dollars du gouvernement, était un projet politique décidé par le gouvernement péquiste alors en place. Il a convenu qu'il s'agissait là d'un projet « hors norme » le seul du genre d'ailleurs qu'il a vu dans sa carrière.

Le ministère des Transports du Québec a épaulé la MRC de Matawinie dans ce projet, en raison de son manque d'expertise, mais sans plus. La construction de ce lien routier, a-t-il indiqué, « ne [répondait] pas à un besoin que le ministère avait à combler ».

Un dossier à fermer

M. Roussy a aussi révélé que c'est lui qui a recommandé au sous-ministre Florent Gagné de signer l'autorisation ministérielle pour la construction, au coût de 2,8 millions $ de trois murs de soutènement effectués par Louisbourg en 2002 lors d'un contrat de réfection pour le rond-point L'Acadie.

Ce contrat avait fait l'objet d'un long litige entre la direction montréalaise du MTQ et le bureau du sous-ministre qui refusait d'approuver les travaux - déjà payés, de fait - sur recommandation du conseiller François Beaudry. Selon M. Roussy, il était tout simplement temps de mettre leurs efforts ailleurs : « Là, on est en 2004. J'ai la confirmation qu'il y a de la collusion. Je ne suis plus sur la question du conflit variation de quantités versus travaux imprévus ».

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