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La ruée vers l'ouest des Tatars de Crimée

La ruée vers l'ouest des Tatars de Crimée

"Ce voyage, c'est comme si on quittait l'Union soviétique pour un pays étranger". Adèle une Tatare de Crimée de 29 ans, arrivée avec ses trois enfants, découvre Lviv pour la première fois.

Comme un millier de ses compatriotes, elle a traversé son pays d'est en ouest. 30 heures de train pour couvrir les 1.200 km qui séparent Simféropol, la capitale de la Crimée, et Lviv, la plus occidentale des grandes villes ukrainiennes, proche de la frontière polonaise.

Les Tatars, communauté de confession musulmane d'environ 300.000 personnes, ont massivement boycotté le référendum sur le rattachement de leur terre ancestrale à la Russie et, avec la victoire des pro-russes, appuyés par les soldats de Moscou, certains d'entre eux ont cru prudent d'éloigner femmes, enfants et grand-mères.

Lviv leur a ouvert ses portes, tant au niveau des autorités régionales qu'à celui des habitants, nombreux à vouloir les héberger chez eux.

Adèle, comptable qui travaillait dans une banque, a eu encore plus de chance que les autres: elle habite chez Mariana et Taras, un couple aisé, disposant d'un appartement de 90 mètres carrés pour eux tout seuls. Et gagne leurs coeurs en leur mitonnant des petits plats tatars: chourpa, la soupe traditionnelle d'Asie centrale où flottent de gros morceaux de viande de boeuf et de mouton, oignons et carottes, et etchpotchmak, un triangle de pâte rempli d'un mélange de viande et d'oignons.

Mariana, de son côté, lui enseigne les secrets de la confection des vareniki, les gros ravioli ukrainiens.

"Nous avons pris peur quand les troupes russes ont tiré", dit Adèle. "Les soldats n'expliquent rien, ils disent suivre les ordres".

La jeune femme ne sait pas combien de temps elle restera, mais voudrait retourner chez elle dès que possible. "Je veux la paix en Crimée", dit-elle. "J'aime notre patrie et je veux rentrer à la maison".

En attendant, elle a inscrit ses enfants dans une maternelle à Lviv.

Selon l'administration régionale, près de 2.000 habitants de la Crimée et des régions ukrainiennes voisines, 1.945 exactement, 956 adultes et 989 enfants, ont souhaité s'établir provisoirement à Lviv. S'enregistrer est facile: les autorités ont mis en place une ligne rouge.

1.070 sont déjà arrivés et 375 familles de la région se sont dites prêtes à les recevoir.

La plupart des Tatars débarquant à Lviv viennent de familles paysannes pauvres, certains ne parlent ni ukrainien ni russe. Ils ne sont pas très bavards, ne veulent pas donner leur nom et refusent de se faire photographier.

"Je ne veux pas que les Russes sachent que je suis ici, ni même de quelle localité je viens. Si quelqu'un apprend que je suis parti, on nous prendra notre terre et notre maison", dit un Tatar d'âge mûr, débarquant du train à la gare de Lviv.

"Nous avons peur des Russes. Mon père m'a raconté ce que Staline nous a fait", poursuit-il, dans une allusion à la déportation en masse des Tatars de Crimée en Asie centrale. "Poutine, c'est Staline, mais encore pire. C'est un fasciste", conclut-il.

L'accueil des Tatars est organisé aussi par leur communauté locale. Son chef Alim Aliev explique pourquoi on ne voit arriver que des femmes avec enfants. "Les hommes restent pour défendre leur terre. Tant que les Tatars restent en Crimée, la Crimée restera ukrainienne", affirme-t-il.

Une jeune femme qui débarque du train de Simféropol, Linara, dit que les Tatars craignent des nettoyages ethniques. "Nous avons peur qu'on nous élimine physiquement. Nous avons peur des militaires russes. Je ne veux pas un tel avenir pour mes enfants", dit-elle. Sa fille joue avec une petite souris en peluche. La souris s'appelle Vali et la petite n'a pas voulu la laisser en Crimée. "Elle me manquerait et je lui manquerais", explique-t-elle.

vt/via/gmo/ml

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