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Un peu de vérité et beaucoup d'amertume dans les archives secrètes bulgares

Un peu de vérité et beaucoup d'amertume dans les archives secrètes bulgares

"Je n'ai aucun remords. J'ai servi l'État". Simeon Nikolov, un ancien responsable du renseignement militaire, est droit dans ses bottes après la révélation de ses activités passées pour les services secrets communistes bulgares.

Tranquille avec sa conscience, l'officier en retraite ne risque pas non plus d'être inquiété par la justice. La loi sur l'ouverture des archives d'espionnage et contrespionnage a été votée en hâte fin 2006 à la veille de l'adhésion de la Bulgarie à l'Union européenne. Elle ne prévoit aucune conséquence légale pour les 9.000 personnes dont les noms sont déjà remontés à la surface.

Une commission vérifie les noms des responsables des secteurs publics et prévoit d'afficher, à terme, des listes de tous les ex-agents et collaborateurs. Mais dans les faits, 40% des archives ont été détruites dès janvier 1990, deux mois après la chute du dictateur communiste Todor Jivkov.

Des dizaines de milliers de documents, dont les trois quarts des rapports rédigés par des informateurs zélés, ont brûlé à l'époque dans un haut-fourneau. Souvent, les dossiers individuels ne contiennent plus qu'un nom et le service auquel il était rattaché, sans que l'on puisse savoir en quoi a consisté sa collaboration.

Le dossier sur une victime symbole de la Guerre froide, l'écrivain dissident Gueorgui Markov tué en 1978 à Londres par une arme mystérieuse surnommée "le parapluie bulgare", est également porté disparu.

L'ouverture des archives ayant survécu a tout de même déjà embarrassé un président et des ministres, députés, magistrats, universitaires et patrons de presse.

Pour Siméon Nikolov, le passé a ressurgi en 2008, alors qu'il était vice-ministre de la Défense.

L'ouverture de son dossier ne l'a pas empêché de travailler ensuite comme expert auprès du président socialiste Gueorgui Parvanov, lui-même désigné comme ancien collaborateur en 2007, au début de son second mandat.

Ces cas sont loin d'être isolés : en 2010, plus de 40% des 114 missions diplomatiques bulgares étaient dirigées par un ancien agent. Et 12 des 15 métropolites du Saint Synode, l'organe dirigeant de l'Eglise orthodoxe, ont également été montrés du doigt.

M. Parvanov dit aujourd'hui ignorer avoir agi sous le pseudonyme Gotsé, et explique avoir seulement fourni aux services spéciaux son expertise d'historien.

D'autres reconnaissent avoir collaboré "car on n'a qu'une vie", ou bien évoquent le chantage de la police.

"Issu d'une famille aisée que les communistes qualifiaient d'+ennemis du peuple+, j'ai été réduit à devenir ouvrier sur les chantiers. Pour avoir une vie normale, j'ai dû accepter une collaboration avec les services secrets", témoigne un ancien responsable de médias sous le couvert de l'anonymat.

Une fois démasqués, rares sont les agents et collaborateurs qui s'excusent, et personne ne reconnaît avoir nui à ses collègues.

Confrontés à l'oubli collectif, les anciens prisonniers politiques et les familles des victimes de la répression réclament un Institut de mémoire nationale chargé d'étudier le passé communiste.

Onze mille personnes surveillées par les services secrets, ou leurs enfants, ont déjà pu consulter leur dossier, avec souvent des conséquences ravageuses.

A Montana (nord-ouest) Paraskev Arsenov, 28 ans, a ainsi intenté -et gagné - un procès contre sa mère, qui avait rapporté à la police l'intention de son mari de passer à l'Ouest. Ce dernier avait été emprisonné.

Darina Balkanlieva, une octogénaire qui a échappé de peu au camp de travail, tremble au souvenir de la lecture de son dossier: "J'ai éclaté en sanglots en apprenant les ragots qu'une bonne amie avait rapporté sur moi. Elle m'avait fait dire que les Américains allaient nous sauver".

Comme beaucoup d'autres, Darina est déçue du peu qui est resté dans son dossier après la destruction de tonnes d'archives dès la fin du communisme.

Une amertume partagée par la militante conservatrice Selena Dintcheva : "Mes deux grand-pères, entrepreneurs, ont été déportés. Mon père, metteur en scène, a été poursuivi toute sa vie. Et tout ce qui apparaît dans les archives, ce sont quelques pages sans valeur sur chacun d'eux".

vs/cs/abl

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