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Commission Charbonneau: les suspects ont aussi contribué à des partis fédéraux

Commission Charbonneau: les suspects ont aussi contribué à des partis fédéraux
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MONTRÉAL - Des dizaines d'individus et d'entreprises soupçonnés de corruption à l'échelle municipale et provinciale au Québec ont également versé en toute légalité plus de deux millions de dollars à différents partis fédéraux, a appris La Presse Canadienne.

Une enquête menée relativement aux 102 personnes déjà ciblées par l'Unité permanente anticorruption (UPAC) démontre que près de la moitié d'entre elles — 45 individus — ont versé, en toute légalité, des contributions à des partis politiques fédéraux entre 1993 et 2011.

Et si la Commission Charbonneau a repris ses travaux cette semaine, son mandat ne s'étend pas à la sphère fédérale. L'étendue de l'influence de ces entrepreneurs auprès des partis fédéraux demeure donc inconnue, bien que de brèves allusions y aient été faites au détour de certains témoignages.

La Presse Canadienne a aussi examiné les dons versés à des partis fédéraux par 13 entreprises formellement accusées par l'UPAC; ces données révèlent que 10 firmes ont fait des dons à des partis fédéraux entre 1993 et 2006.

L'enquête de La Presse Canadienne a également répertorié les contributions versées à des partis fédéraux par des entrepreneurs en construction et des firmes de génie-conseil au sein desquelles certains de ces 102 personnes ciblées par l'UPAC occupaient des postes influents. Au total, les contributions versées par les particuliers et les entreprises concernées — soit plus de 900 dons faits pendant une vingtaine d'années — frisent les 2,2 millions $.

Les données disponibles sur le site d'Élections Canada débutent en 1993. En 2003, sous le gouvernement de Jean Chrétien, Ottawa avait resserré les règles entourant les dons des sociétés. Ces contributions avaient ensuite été complètement interdites, en 2006, par le gouvernement de Stephen Harper. Les conservateurs avaient également plafonné les dons des particuliers à 1100 $ par année.

Déjà, il y a une dizaine d'années, l'ancienne ministre libérale Sheila Copps plaidait en faveur d'une telle interdiction des dons provenant d'entreprises, soulignant l'importance d'empêcher les compagnies d'influencer les décisions gouvernementales.

Mme Copps, qui était à l'époque ministre du Patrimoine dans le gouvernement Chrétien, avait soutenu que la pression des entreprises avait nui aux efforts d'Ottawa pour mettre en oeuvre les principales politiques du protocole de Kyoto.

En entrevue récemment avec La Presse Canadienne, l'ex-ministre ontarienne a déclaré que les allégations entendues à la Commission Charbonneau ne se limitaient pas qu'au Québec. «Les firmes de génie-conseil entretiennent des liens avec des partis politiques parce qu'elles veulent décrocher des contrats de travaux publics, c'est assez évident», a indiqué Mme Copps.

«Si vous mettez en place une Commission Charbonneau dans n'importe quelle autre province au pays, il y a de fortes chances que vous y trouviez, là aussi, des gens qui ont eu des vacances (payées) (...) et se sont fait graisser la patte par quelqu'un qui voulait obtenir un contrat», a-t-elle poursuivi.

Mme Copps estime qu'il n'y a rien de mal à vouloir s'investir en politique et faire la promotion de sa cause personnelle. Mais selon elle, il faudrait instaurer un mécanisme efficace de surveillance par l'État pour empêcher des gestes illégaux tels les pots-de-vin, entre autres.

L'enquête de La Presse Canadienne a par ailleurs permis de démontrer le déclin abrupt des contributions politiques sur la scène fédérale, un déclin qui s'est opéré en trois étapes.

Les contributions des individus aujourd'hui incriminés par l'UPAC ont commencé à chuter en 2003, à la suite de la réforme du gouvernement Chrétien en matière de financement des partis politiques. Elles se sont abaissées de plus belle avec les nouvelles règles du gouvernement Harper, en 2006, pour ensuite se maintenir à un faible niveau avant de disparaître complètement, en 2009, lorsque le scandale de la corruption a éclaté au Québec.

Le Parti libéral du Canada, qui détenait le pouvoir à Ottawa entre 1993 et 2006, a reçu la plupart de ces dons. Des sommes plus petites ont été versées au Parti progressiste-conservateur, au Bloc québécois et aux ancêtres de l'actuel Parti conservateur du Canada avant la fusion de 2003 — l'Alliance canadienne et le Parti réformiste.

Des témoins évoquent la scène fédérale

Quelques témoignages entendus à la Commission Charbonneau ont levé une partie du voile sur les dons à l'échelle fédérale, dont celui de l'ancien vice-président d'AECOM, Patrice Mathieu. L'ingénieur a évoqué un présumé système de collusion dans la région de Québec, par lequel huit entreprises en construction se seraient entendues pour faire grimper les prix alors qu'Ottawa atteignait des niveaux records de dépenses de plusieurs milliards de dollars en infrastructures après 2007.

Une autre allégation a été avancée en mars dernier, lors du témoignage de l'ancien vice-président de la firme de génie-conseil Dessau, Rosaire Sauriol. Il avait alors expliqué avoir fabriqué de fausses factures pour permettre le versement de deux millions de dollars, puisés dans les coffres de son entreprise familiale, à des partis provinciaux et municipaux. Interrogé quant à savoir s'il avait usé du même stratagème pour fournir de l'argent aux partis fédéraux, il avait répondu par l'affirmative.

De tels dons illégaux ne figurent bien sûr pas dans les données d'Élections Canada examinées par La Presse Canadienne. M. Sauriol n'a révélé aucun autre détail des contributions aux partis fédéraux lors de son témoignage devant la commission.

Selon les données d'Élections Canada, il a fait deux dons au Bloc québécois, à titre individuel, pour une somme totalisant 304 $.

Entre 1993 et 2006, l'entreprise Dessau et ses sous-traitants ont versé au total 246 368 $ à des partis fédéraux. La majeure partie de ces dons ont été versés au Parti libéral et, dans une moindre mesure, au Parti progressiste-conservateur et au Bloc québécois.

Le sénateur Housakos

Par ailleurs, le nom du sénateur conservateur Leo Housakos a été cité à deux reprises par les procureurs de la Commission Charbonneau. Le patron de la firme BPR, Pierre Lavallée, avait ainsi été questionné à brûle-pourpoint par un procureur de la commission sur les expériences antérieures de M. Housakos et sur sa nomination au Sénat.

M. Housakos n'a jamais été accusé d'une quelconque malversation, et les procureurs n'ont pas expliqué pourquoi ils le mentionnaient.

Des sources ont confié à La Presse Canadienne que le sénateur avait aidé à organiser une lucrative campagne de financement du Parti conservateur, en 2009 à Montréal. Plusieurs employés de firmes de génie-conseil avaient assisté à cette activité dans le cadre de laquelle le premier ministre Stephen Harper avait prononcé un discours.

M. Housakos a reconnu avoir sollicité son ancien patron chez BPR pour un don à l'époque, mais soutient ne pas avoir joué de rôle officiel pour cet événement.

Le commissaire fédéral à l'éthique a ensuite conclu en 2009 que le sénateur Housakos n'avait pas été en situation de conflits d'intérêts suite à son passage chez BPR.

Le sénateur a depuis fait part de sa frustration face à ce qu'il qualifie de «chasse aux sorcières», et a menacé de poursuivre en justice différents médias, dont La Presse Canadienne, en lien avec des articles concernant ce témoignage à la commission Charbonneau.

Ottawa observe de loin

Il reste que des agences fédérales gardent un oeil attentif sur les révélations faites à la commission.

Le Bureau de la concurrence du Canada a indiqué avoir rencontré les membres de la commission pour leur expliquer son travail, qui comprend notamment des enquêtes sur le truquage d'appels d'offres. L'agence fédérale, qui a également été impliquée dans des perquisitions et des saisies menées par l'UPAC, assure qu'elle collaborera de nouveau avec la commission dans les limites permises par la loi.

Une porte-parole a refusé de préciser si Élections Canada enquêtait sur les allégations entendues à la commission, soulignant que l'agence n'avait jamais confirmé ou infirmé que des plaintes avaient été reçues et des enquêtes ouvertes. Elle s'est contentée de mentionner qu'elle suivait les travaux de la Commission Charbonneau.

Or, la semaine dernière, l'agence a annoncé avoir déposé sept chefs d'accusation contre l'agent officiel de l'ex-candidat libéral fédéral (défait) dans la circonscription lavalloise d'Alfred-Pellan en 2006, Jean-Claude Gobé.

Élections Canada affirme que l'agent officiel de M. Gobé à l'époque, Jacques Chouinard, n'avait pas ouvert un compte bancaire distinct dans une institution financière canadienne pour la campagne électorale du candidat.

M. Gobé se présente par ailleurs à la course à la mairie de Laval, dont le scrutin aura lieu en novembre. Les deux derniers maires lavallois, Gilles Vaillancourt et Alexandre Duplessis, ont dû tirer leur révérence après avoir été éclaboussés par différents scandales. Vaillancourt a depuis été formellement accusé de gangstérisme.

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Tony Accurso

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