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« C'est quoi la mafia M. Milioto? ''Je ne sais pas'' »

À la recherche de failles dans l'histoire de Milioto

Nicolo Milioto, soupçonné d'être un intermédiaire entre des entrepreneurs en construction et le clan mafieux Rizzuto, persiste à nier toute connaissance de la mafia et de la taxe qu'elle perçoit auprès de commerçants, le « pizzo ».

« C'est quoi la mafia M. Milioto? », lui a rapidement demandé la procureure en chef Sonia Lebel en début de journée « Je ne sais pas », a répondu l'homme qui fréquentait pourtant Nicolo Rizzuto père au café Consenza.

L'ex-président de Mivela, une enteprise spécialisée dans les trottoirs, soutient que tout ce qu'il connaît de la mafia lui vient des journaux, sans plus. Quant au « pizzo », il dit en avoir vaguement entendu parler à la campagne, en Italie.

Nicolo Milioto dit ne rien savoir des activités criminelles alléguées de Rizzuto père, pas plus que de celles des lieutenants du clan Rizzuto - Paolo Renda, Rocco Sollecito, Frank Arcadi, Francesco Del Balso et Lorenzo Giordano. Il dit avoir croisé certains d'entre eux au café Consenza, mais a dit ne pas savoir ce qu'ils faisaient dans la vie.

La procureure a demandé à M. Milioto s'il n'aurait pas mieux fait de ne pas fréquenter le café Consenza, sachant ce que les journaux rapportaient, notamment, du procès et de la condamnation pour meurtre de Vito Rizzuto aux États-Unis. Il ne voit cependant pas de problème.

« Ce que les autres personnes font, ce n'est pas mes affaires [...] pour moi, le monde est tout pareil. Moi, le monde c'est fait de respect : vous me respectez, je vous respecte; vous me maltraitez, je peux vous maltraiter de la même façon. » — Nicolo Milioto

Nicolo Milioto nie par ailleurs avoir ramassé une ristourne de 2,5 % sur des contrats attribués par la Ville de Montréal pour la mafia, comme l'a dit l'ex-propriétaire d'Infrabec, Lino Zambito, lors de son témoignage.

La procureure Lebel a également interrogé le témoin sur d'autres entrepreneurs spécialisés dans les trottoirs à Montréal, soit Joe Borsellino de PB Asphalte, Alex Sciascia, d'ATG, Domenico Cammalleri de Pavages CSF, Joey Piazza de TGA, Franco Cappelo d'Excavations Super, et Michel Leclerc de Terramex.

Les entrepreneurs dans ce secteur sont fortement soupçonnés de s'être adonnés à la collusion pour se répartir des contrats publics de la Ville de Montréal.

Là encore, le témoin n'a rien révélé de significatif. Il a dit connaître ces entrepreneurs, et a souligné qu'il empruntait parfois de l'équipement à certains d'entre eux. Il a nié avoir d'autres liens d'affaires avec eux.

La commissaire Charbonneau se fâche

La procureure Lebel l'a ensuite longuement interrogé sur l'échange d'argent qui s'est produit entre le témoin et Lino Zambito d'Infrabec au café Consenza le 24 décembre 2005.

Nicolo Milioto a répété qu'il n'avait fait que rendre service à Lino Zambito et qu'il avait remis l'argent à Rocco Sollecito, en lui précisant que l'argent était destiné à Nicolo Rizzuto père.

L'homme d'affaires a dit qu'il faisait confiance à M. Sollecito, parce qu'il est Italien, et ce, même s'il dit n'avoir aucune idée de ce qu'il faisait dans la vie. La procureure Lebel a noté qu'il avait pourtant caché l'argent de Zambito dans ses chaussettes peu avant, alors que la fête de Noël du Consenza se déroulait entre Italiens.

La procureure Lebel a alors demandé au témoin le nom de deux autres personnes présentes ce jour-là à qui il aurait pu faire confiance. Le témoin a refusé de répondre à cette question.

La commissaire France Charbonneau a alors tancé le témoin : « Vous n'avez pas à décider de la pertinence des questions », lui a-t-elle lancé. « Nous allons suspendre maintenant, et je vais dire à votre avocat de vous expliquer ce qu'est un outrage au tribunal, et ce qu'est une accusation de parjure », a-t-elle ajouté.

« Après la pause, vous devrez répondre aux questions! »

Le témoin a finalement dit qu'il n'aurait fait confiance à « personne d'autre » que Rocco Sollecito. La séance a ensuite été suspendue pour la pause.

Milioto interrogé sur des vidéos filmées au Consenza

Après la pause, le jeu du chat et de la souris a néanmoins repris, alors que la procureure Lebel a présenté plusieurs autres vidéos filmées au Consenza lors de l'opération Colisée en 2004 et en 2005. On y voit entre autres Nicolo Milioto remettre de l'argent à Rocco Sollecito.

Ces vidéos étaient la pièce maîtresse du témoignage livré par l'enquêteur de la commission Eric Vecchio en septembre dernier.

Sommé de s'expliquer, le témoin a repris son explication de la veille : il s'agissait soit d'argent provenant de la vente de billets pour des événements organisés par l'association Cattolica Eraclea, soit de l'argent que Lino Zambito lui avait demandé de remettre à Nicolo Rizzuto père.

Dans certaines vidéos, on voit cependant que Nicolo Milioto remet de l'argent à Rocco Sollecito, même en présence du défunt patriarche du clan mafieux. Interrogé à ce sujet, il a argué dans un cas que Rizzuto père était au téléphone; dans un autre, il a plaidé que Sollecito était tout simplement plus proche de lui.

Le témoin n'a pas bronché lorsque la procureure a suggéré qu'il agissait de la sorte pour une question de hiérarchie au sein de l'organisation.

Une des vidéos montre en outre que Rocco Sollecito fait des piles d'argent. La procureure lui a demandé à quoi cela pouvait bien rimer. Le témoin a alors suggéré que d'autres personnes avaient peut-être avancé de l'argent à Lino Zambito. « Ça se fait entre Italiens [...]. On avance dans la vie comme ça », a-t-il plaidé.

En fin de matinée, la procureure Lebel a présenté une autre vidéo dans laquelle on voit Milioto, Sollecito et Rizzuto père compter de l'argent. Les hommes font sept piles; Nicolo Miloto en prend cinq et les glisse dans ses chaussettes.

Le témoin a dit ne pas savoir pourquoi il avait agi de la sorte. Il a avancé que Nicolo Rizzuto lui avait possiblement prêté de l'argent, peut-être pour le mariage ou les fiançailles d'une de ses filles, ou pour une maison qu'il s'était fait construire à Laval peu auparavant.

Il avait déjà évoqué avoir emprunté quelques milliers de dollars à Nicolo Rizzuto pour le mariage d'une de ses filles.

Lorsque la procureure lui a demandé pourquoi il emprunterait de l'argent au parrain de la mafia plutôt qu'à la banque, Nicolo Milioto a répondu que cela pouvait se faire pour des prêts « sans intérêts » à court terme.

La procureure y est alors allée d'une tirade bien sentie, qui résumait bien le témoignage livré jusqu'ici par le témoin.

« Vous ne parlez pas d'affaires avec M. Rizzuto, vous ne savez pas ce qu'il fait dans la vie, vous ne savez pas comment il se procure son argent, vous ne savez pas pourquoi M. Zambito lui en donne, pourquoi il lui en devrait, vous ne savez pas qui est M. Sollecito, vous ne savez pas sa relation avec M. Rizzuto, vous ne savez pas c'est quoi la mafia, le pizzo c'est une légende urbaine pour vous, vous avez la capacité d'emprunter à la banque, vous ne parlez de rien quand vous jouez aux cartes mais vous êtes capable de lui faire suffisamment confiance pour lui emprunter 25 000 $ alors que vous êtes président d'une compagnie qui fait 5 millions de chiffre d'affaires, et cela pour sauver quelques dollars d'intérêt : c'est ce que je dois comprendre ? »

« C'est plus facile », a répondu Nicolo Milioto, qui ne se laisse pas facilement démonter. « L'argent est là. Tu le demandes. Peux-tu me prêter 20, 25 000 $ pour trois mois? [...] C'est comme rendre service », a-t-il dit, en avançant que cela pouvait aussi être un retour d'ascenseur pour services rendus.

« Il vous prête 20 000 $, 25 000 $ parce que vous allez chercher du pain? », a alors répliqué la commissaire Charbonneau. Le témoin a répondu qu'il avait rendu beaucoup de service à Nicolo Rizzuto père, par exemple en allant chercher ce que lui devait Lino Zambito ou en allant à la pharmacie. « Ça se peut qu'il me rende des services aussi, pour deux mois, trois mois. Entre Italiens, on prête beaucoup ».

Il a finalement lâché : « L'argent était à lui, probablement que je lui ai demandé, et il me l'a prêté. »

Alex Sciascia remettait aussi de l'argent à Milioto

En après-midi, la procureure Lebel a présenté de nouvelles vidéos filmées au Consenza, mais qui n'avaient pas déjà été présentées à la commission. Dans une vidéo filmée le 18 avril 2006, on voit l'entrepreneur Alex Sciascia d'ATG remettre une pile d'argent à Nicolo Milioto.

Ce dernier, qui venait de dire n'avoir jamais emprunté de l'argent à quiconque autre que Nicolo Rizzuto, a une fois de plus présumé que cela devait être lié aux activités de l'Association Cattolica Eraclea, mais sans en avoir le moindre souvenir. Alex Sciascia présidait cette association à l'époque.

La procureure a noté que Nicolo Milioto avait alors mis l'argent dans ses poches, plutôt que dans ses bas. Le témoin n'a pu expliquer pourquoi il en était ainsi. Il a suggéré qu'il pouvait avoir fait cela « inconsciemment ».

Une autre vidéo montrée précédemment avait également montré les trois mêmes hommes dans le cadre d'une discussion semblant animée au Consenza. Là encore, le témoin n'avait pu que présumer qu'il était question de l'Association, même lorsque tous trois discutaient dans la pièce du fond.

Le début de la séance de l'après-midi a été marqué par une nouvelle mise en garde de la commissaire Charbonneau à l'endroit de Nicolo Milioto. « Des propos vagues et imprécis peuvent parfois être de nature d'un outrage au tribunal », l'a-t-elle prévenu. Le témoin s'est borné à répondre qu'il faisait « son possible ».

Milioto : une vie honorable

Lundi, lors de sa première journée à la barre des témoins, l'ex-président de Mivela Construction avait donné le ton à son interrogatoire : il a gagné sa vie honorablement et n'a rien à se reprocher, pas plus en ce qui concerne le fonctionnement de son entreprise que pour ses liens avec la famille Rizzuto. Il a soutenu n'être allé au Consenza que pour jouer aux cartes, boire du café et saluer des connaissances, dont le défunt patriarche du clan Nicolo Rizzuto père.

Nicolo Milioto dit avoir quitté Mivela en janvier 2012 par souci pour sa santé. Il soutient ne plus se mêler des affaires de Mivela depuis, même si son ex-associé, sa fille et ses gendres la dirigent. Il a d'ailleurs précisé qu'il n'avait plus aucun actif à son nom. Sa maison et son immeuble à logements avaient déjà été transférés à sa femme après la création de Mivela, afin qu'ils ne soient pas saisis en cas de faillite.

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