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Le procureur Tremblay traque les contradictions de Borsellino

Borsellino interrogé sur la mafia
Ceic

Giuseppe Borsellino a été pressé de questions sur ses liens avec le crime organisé et a été confronté à diverses allégations faites à son endroit par plusieurs témoins clés de la commission Charbonneau. Le procureur Simon Tremblay, qui mène l'interrogatoire, a eu fort à faire pour naviguer entre les contradictions, les trous de mémoire et les réponses évasives du grand patron de Construction Garnier.

L'après-midi a été essentiellement consacré aux liens que Borsellino entretient avec le crime organisé, et plus précisément avec le clan mafieux Rizzuto. Le témoin a confirmé que ses parents étaient originaires de Cattolica Eraclea, le même village sicilien que le patriarche du clan, Nicolo Rizzuto père, mais a plaidé qu'il n'avait jamais entretenu de liens avec la mafia, du moins pas sciemment.

Il a cependant admis avoir été au mariage de Léonardo Rizzuto, le fils de Vito Rizzuto, le 19 juin 1999. Il avait d'abord hésité à reconnaître sa présence à cet événement, mais a dû l'admettre après que le procureur Simon Tremblay lui a fait valoir que la GRC avait relevé son numéro de plaque d'immatriculation sur les lieux. Il a cependant dit qu'il n'était présent que parce qu'il connaissait quelqu'un dans la famille de la mariée.

« Je suis au courant que j'étais là. Comme je vous l'ai dit, ma mémoire n'est pas bonne. Ça c'est les conséquences de l'événement », a t-il plaidé, faisant allusion à une mystérieuse agression qu'il a subie en juillet 2009. L'affaire avait été évoquée plus tôt.

Il a par la suite reconnu avoir fréquenté le café Consenza, connu comme le quartier général du clan Rizzuto. Il a d'ailleurs décrit les lieux, à la demande de la commission, en soutenant n'être jamais allée dans la pièce du fond, celle où des échanges d'argent entre des entrepreneurs et des membres du clan Rizzuto avaient lieu, selon des vidéos filmées lors de l'opérations Colisée. La GRC avait d'ailleurs noté la présence de véhicules de sa compagnie lors de cette opération.

Giuseppe Borsellino soutient qu'il a déjà payé des billets pour des événements sociaux reliés au financement de l'Association Cattolica Eraclea, mais qu'il n'a jamais versé d'argent au clan Rizzuto ou à d'autres entrepreneurs. « Je n'ai jamais payé de cotes. J'aurais mieux aimé donner les clefs de mon entreprise », a-t-il affirmé.

Au sujet de Vito Rizzuto, il dira l'avoir croisé au club de golf Le Blainvillier dont ils étaient tous les deux membres, sans plus.

Une agression aux motifs qui échappent à Borsellino

Un peu plus tôt, le patron de Construction Garnier a raconté qu'il avait été battu à la sortie de son bureau par trois hommes en juillet 2009. Bien qu'il a subi des fractures et que son visage a dû être reconstruit lors d'une intervention d'une durée de sept heures, il n'a jamais porté plainte à la police, préférant, dit-il, poursuivre ses affaires habituelles.

Le procureur et les commissaires l'ont longuement interrogé sur les raisons expliquant cette agression. Borsellino a évoqué pêle-mêle une multitude d'hypothèses pouvant l'expliquer : un contrat qu'il n'aurait pas dû obtenir, des comptes impayés, le fait qu'il venait de faire d'importants investissements dans des équipements de pavage, etc. Il n'a pas exclu que l'affaire soit liée à la mafia non plus.

Il a alors admis que la mafia pouvait avoir infiltré dans des entreprises de construction, tout en prenant bien soin de dire qu'il n'avait aucune preuve de ça, et qu'il n'en a jamais été témoin. L'information, a-t-il dit, lui venait des médias, ou de « rumeurs » que lui rapportaient des amis.

Des contrats de Garnier qui soulèvent des question sur le Rive-Nord

Giuseppe Borsellino a aussi interrogé sur ses liens avec la Ville de Laval, où se trouve le siège social de Garnier Construction. Il a dit avoir fait une poignée de contrats, mais sans plus. Il a allégué que les plans et devis, préparés par des firmes de génie privés, n'étaient pas bons, ce qui l'empêchait de faire des profits.

Il a admis qu'il était un bon ami de l'entrepreneur René Mergl, qui lui a des contrats à Laval, mais a affirmé qu'il ne lui a jamais demandé comment lui s'y prenait pour faire des affaires avec la Ville. « Il s'arrange avec ses affaires », a-t-il dit. « Je n'ai pas à lui demander. C'est comme ça. », a-t-il fait valoir.

Le procureur Simon Tremblay a aussi fait une longue démonstration visant à prouver que Giuseppe Borsellino avait offert un tracteur en 2000 à Daniel Mayer, maire de Lachute et président de la Régie intermunicipale Argenteuil-Deux-Montagnes. Documents à l'appui, le procureur Tremblay a suggéré que le cadeau avait été offert dans le cadre d'un contrat de gestion des déchets que Garnier avait obtenu à la Régie.

Le témoin a nié toute irrégularité dans cette histoire. Il a admis avoir loué un tracteur Kubota pour un prix plus élevé qu'il n'aurait dû - près de 35 000 $ pour six mois, ce qui équivaut au prix d'un tracteur neuf -, et qu'il l'avait retourné au locateur. Il a soutenu que le maire l'avait informé que son frère se cherchait un tracteur, et qu'il lui avait dit qu'il venait d'en retourner un, mais sans plus.

Le procureur Tremblay traque les contradictions de Borsellino

Le procureur Simon Tremblay a, ce matin, fait ressortir de nombreuses contradictions dans le témoignage de Giuseppe « Joe » Borsellino.Le procureur est revenu sur une série de contrats de Garnier Construction avec la Ville, évoqués hier, dont l'annulation présumée par Montréal aurait décidé M. Borsellino à inviter l'ex-grand patron des travaux publics Robert Marcil en Italie, en 2008.

M. Borsellino a soutenu aujourd'hui encore que l'objectif de l'invitation était d'améliorer ses relations avec la Ville.

Mais passant les contrats les uns après les autres, le procureur Tremblay a plutôt fait ressortir que sept d'entre eux provenaient en fait de l'arrondissement St-Laurent, et donc ne relevaient pas de M. Marcil qui oeuvrait à la Ville-Centre.

« Sur les dix contrats qui justifient vos mauvaises relations avec la Ville seulement trois contrats relevaient de M. Marcil » — Le procureur Simon Tremblay

Il a aussi fait remarquer qu'un des contrats à Montréal, pour la mise aux normes d'une pataugeoire, n'avait en fait pas été annulé, mais que Garnier avait plutôt été disqualifié, sa soumission n'étant pas conforme. La commission a par ailleurs démontré que M. Borsellino a bien obtenu le contrat pour un égout boulevard Gouin en 2005, mais un an plus tard. Il avait été annulé dans un premier temps, mais par souci d'économie.

M. Borsellino admet sinon avoir truqué un contrat sans Gilles Surprenant, qu'il a présenté hier comme l'organisateur de la collusion. Ce contrat pour un collecteur d'égout sur le boulevard Maurice-Duplessis a été annulé parce que son coût s'est révélé 83 % plus élevé que l'estimation initiale.

Le procureur Tremblay conclut que le voyage en Italie était en fait une récompense à M. Marcil pour le contrat de 5,5 M$ de 2007 pour réparer de toute urgence une conduite d'eau sur la rue Sherbrooke. M. Borsellino rejette catégoriquement cette hypothèse.

Me Tremblay a par la suite interrogé M. Borsellino sur quelque onze contrats obtenus par Garnier à la Ville de Montréal, qui ont été identifiés comme ayant été truqués par Gilles Surprenant, sinon Michel Leclerc ou Lino Zambito.

Le propriétaire de Garnier reconnaît que la plupart étaient truqués, mais ne se rappelle jamais des montants remis à l'ingénieur Surprenant et, pour un nombre moindre de contrats, à l'ingénieur Luc Leclerc.

M. Borsellino estime avoir peut-être donné, en tout, 100 000 $ à Gilles Surprenant entre 1995 et 2003-2004. Il dit avoir alors arrêté de le payer : « nous avons décidé (Garnier) de ne plus faire affaire avec lui » a-t-il dit, après avoir pourtant soutenu plus tôt qu'il n'avait pas le choix.

La commissaire Charbonneau lui suggère que c'est plutôt parce que les prix étaient désormais assez gonflés, ce qui rendait superflu le rôle de M. Surprenant.

Il juge par ailleurs que le montant de 115 000 $ en pots-de-vin mentionné par Luc Leclerc, ex-ingénieur à la Ville de Montréal, a du sens. Il croit l'avoir payé sur environ 80 % des contrats que M. Leclerc a faits avec Garnier. Il précise qu'il a aussi fait des travaux à rabais au restaurant de la fille de Luc Leclerc. Il affirme lui avoir aussi déjà donné « quelque fois » la clé d'un appartement qu'il détient à Montréal.

Giuseppe Borsellino a par ailleurs affirmé qu'il avait très probablement déjà donné de l'argent à Gilles Vézina, qui dirige l'équipe chargée de la surveillance des travaux à la Ville de Montréal. Soucieux de tempérer ses propos, il a ensuite ajouté : « c'est sûr que je ne m'en souviens pas ».

Borsellino nie avoir intimidé quiconque

En fin de matinée, Giuseppe Borsellino a nié avoir intimidé qui que ce soit pour obtenir un contrat. Il a notamment contesté la version des faits livrés par l'entrepreneur Michel Leclerc de Terramex, au sujet d'un contrat d'aménagement sur la place Jacques-Cartier, dans le Vieux-Montréal, en 1997.

Michel Leclerc a raconté que Borsellino lui avait demandé de ne pas soumisionner parce qu'il « avait décidé que c'était à lui ». L'entrepreneur disait que, devant son refus, Borsellino l'avait prévenu qu'il s'en venait à ses bureaux. Leclerc avait alors fui pour la fin de semaine, mais avait réalisé au retour, lundi matin, qu'un camion de Garnier était stationné devant ses bureaux.

Borsellino soutient qu'il a effectivement appelé Leclerc pour lui demander de déposer une soumission de complaisance dans ce dossier et qu'un camion de sa compagnie s'était bel et bien posté devant les locaux de Terramex, mais nie l'avoir intimidé ou harcelé.

Pressé de questions par le procureur Tremblay et la commissaire Charbonneau, il a expliqué que les gens qui étaient dans le camion avaient pour mission de déterminer si Michel Leclerc allait bel et bien soumissionner pour ce contrat. Il dit que Garnier avait préparé deux prix : un gonflé, en cas où Terramex ne soumissionnait pas; et l'autre réel, si le contrat devait être accordé en libre compétition.

Lors de son témoignage à ce sujet, Michel Leclerc avait aussi dit que Joe Borsellino était même allé jusqu'à sonner chez son associé à Rawdon lors de la fin de semaine. La commission ne l'a cependant pas interrogé à ce sujet.

Borsellino a également nié d'autres allégations de Michel Leclerc. Il a notamment démenti l'avoir intercepté dans son camion quelques mois plus tard pour le convaincre de lui laisser un contrat que Terramex a obtenu. Il a dit lui avoir offert un prix pour faire le travail à sa place, mais a démenti lui avoir offert 50 000 $ pour qu'il se « tasse ». Il dit n'avoir jamais offert d'argent à un entrepreneur à cette fin.

L'entrepreneur a aussi nié toute participation à un système de collusion dans le domaine de l'aménagement des parcs. Michel Leclec avait affirmé qu'il faisait partie des instigateurs de ce système.

Le procureur Tremblay a aussi demandé au témoin s'il avait déjà intimidé le promoteur immobilier David Owen pour qu'il retire une offre d'achat pour un terrain situé à l'angle de Charlotte et Berger. Borsellino a nié toute l'histoire. Il dit avoir simplement demandé à David Owen de ne pas présenter d'offre s'il n'était pas intéressé. « Je n'ai pas intimidé M. Owen », a-t-il assuré.

Le procureur Tremblay a tendu une autre perche au témoin. Il lui a demandé si sa compagnie ou lui ont pu faire un dépôt de 1,84 million de dollars dans une succursale de la Banque Nationale le 25 novembre 2004. Le témoin a répondu qu'il ne se souvenait pas de ça.

« Et si vous avez un document prouvant le contraire, vous allez dire oui? », lui a alors lancé la commissaire Charbonneau, visiblement impatientée par les trous de mémoire et les réponses évasives du témoin.

Milioto dans la salle d'audiences

L'ex-dirigeant de Mivela Construction, Nicolo Milioto, assiste aux audiences de la commission Charbonneau mercredi. Il était également présent mardi. Son témoignage semble imminent, bien que la commission assure qu'il ne sera pas appelé à la barre après le témoignage de Borsellino.

L'enquêteur Eric Vecchio a déclaré l'automne dernier que Nicolo Milioto était l'intermédiaire entre les entrepreneurs en construction et le clan mafieux Rizzuto. Il a d'ailleurs été aperçu 236 fois au café Consenza, quartier général du clan, lors de l'opération Colisée.

Lino Zambito a déjà affirmé que c'est à lui qu'il remettait une ristourne de 2,5 % destinée à la mafia, et une autre de 3 % pour Union Montréal. Michel Leclerc et Martin Dumont ont tous deux dit qu'ils avaient été intimidés par Milioto.

Par ailleurs, le débat entre les avocats des médias, et les procureurs du Directeur des poursuites criminelles et pénales et de la commission sur l'opportunité de lever en tout ou en partie l'ordonnance de non-publication qui touche plusieurs témoignages portant sur l'affaire Faubourg Contrecoeur devrait avoir lieu jeudi.

Une telle ordonnance frappe actuellement une partie des témoignages de Michel Lalonde, PDG de Genius, et de Joseph Farinacci, ex-directeur de la Direction des stratégies et transactions immobilières de la Ville de Montréal, ainsi que l'ensemble du témoignage de Jacques Victor, un spécialiste en appel d'offres.

Mardi, M. Borsellino a reconnu que des entrepreneurs montréalais ont fait de la collusion pour se répartir des contrats de la Ville dès 1995 et que le système a pris de l'ampleur au tournant du siècle. Il soutient cependant que l'idée de mettre en place le système revient à Gilles Surprenant, un ingénieur qui a longtemps préparé les plans et devis pour les projets d'égouts à la Ville avant de prendre sa retraite en novembre 2009.

Les commissaires et le procureur Simon Tremblay n'ont pas caché qu'ils doutaient fort de cette version des faits, très différente de celle livrée par Gilles Surprenant lui-même en octobre dernier.

En matinée, la commission avait mis en évidence les liens étroits entre Giuseppe Borsellino et l'ex-directeur général de la FTQ-Construction, Jocelyn Dupuis. Des écoutes électroniques réalisées pendant l'opération Diligence ont clairement établi que les deux hommes brassaient des affaires ensemble.

Le procureur Tremblay s'est longuement attardé au voyage en Italie que Giuseppe Borsellino a fait à l'automne 2008 avec Jocelyn Dupuis, Yves Lortie de Genivar et Robert Marcil, à l'époque grand patron des travaux publics à la Ville de Montréal.

Il a révélé que Daniel Toutant, PDG du consortium qui exploite le pont de l'autoroute 25 reliant Montréal et Laval, s'était joint au groupe à Florence, où il a passé deux nuits. Des documents d'une agence de voyages présentés par la commission indiquent que Borsellino a payé sa chambre d'hôtel.

Le nom de Giuseppe Borsellino avait été évoqué à plusieurs reprises devant la commission Charbonneau par de nombreux témoins.

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Tony Accurso

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