Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Achat de followers sur Twitter: nous avons fait le test et acheté 50 000 abonnés

Achat de followers sur Twitter: nous avons fait le test et acheté 50 000 abonnés
DR

RÉSEAUX SOCIAUX - Le marché noir du Web a une nouvelle filière florissante: la vente de followers, les abonnés du réseau social Twitter. Depuis les premières heures de Twitter, le nombre d'abonnés est un gage de crédibilité et de popularité pour les utilisateurs. Pour cette raison, les marques, les professionnels de la communication et les politiques ont été les premiers à s'offrir les services de revendeurs de followers. Aujourd'hui, même les stars de téléréalitéet les particuliers s'y mettent... alors pour comprendre cette contrebande Le Huffington Post France a fait le test.

Avec un budget d'à peine 42 $ (33 euros), nous avons acheté plus de 50 000 followers au @Oeuf_Post, un compte créé spécialement pour l'occasion.

Qu'en pensent les équipes de Twitter? Quelles offres avons-nous choisi? Quelles sont les méthodes des vendeurs? Et à quoi ressemblent nos faux followers? Nous sommes-nous fait "attraper" ? Nous vous disons tout.

Une pratique interdite... en principe

Pour commencer, il faut savoir que l'achat de followers est interdit par le règlement de Twitter. Lorsqu'on lui fait part de notre enquête, Rachel Bremer, la responsable de la communication de Twitter en Europe, nous renvoie immédiatement vers le règlement du site:

"Il se peut que vous rencontriez des sites web ou des applications prétendant pouvoir vous aider rapidement à obtenir beaucoup d'abonnés. Ces programmes peuvent vous inviter à payer pour obtenir des abonnés ou à suivre une liste d'utilisateurs pour y participer. Utiliser ces programmes n'est pas autorisé par le règlement de Twitter."

Pour autant, est-ce que Twitter supprime les comptes ayant recours à ces services ? L'expérience montre que le réseau social peine à intervenir. Twitter n'est pas particulièrement doué pour repérer les faux followers, d'ailleurs les équipes du site préfèrent parler de comptes "inactifs"... Certains utilisateurs sont sur Twitter simplement pour écouter ce qu'il se dit, alors comment faire la différence avec des robots après tout?

Comme sur de nombreux autres aspects (lire à ce sujet: Le silence assourdissant de Twitter dans l'affaire #UnBonJuif), le site laisse faire. "La question des 'faux abonnés' est malheureusement hors de notre champ d'actions", expédie l'équipe Twitter. Mais le site peut tout de même "tuer" les faux comptes: cette démarche est prévue par le règlement et ceci est arrivé à un contributeur de Slate.com après un billet dans lequel il expliquait avoir eu recours à l'achat de followers.

Malgré tout, les vendeurs d'abonnés nous confirment que Twitter n'inquiète pas vraiment leur business. Alors ils n'hésitent pas à s'offrir la plus grande visibilité possible, sur les moteurs de recherche, mais aussi directement sur Twitter.

Des followers à foison et à tous les prix

Pour nous lancer à la recherche des offres auxquelles nous pourrions souscrire, nous avons d'abord fait confiance à Google. Une simple recherche - avec pour mots clés "achat de followers" - donne des centaines de résultats. En excluant les articles de presse et les blogs, nous nous retrouvons encore face à des dizaines d'offres et de nombreuses en français.

Wieland Alge, le porte parole de Barracuda Networks, a récemment mené une étude sur ce sujet et ce dernier a recensé 58 sites vendant de faux followers ainsi qu'une vingtaine de vendeurs sur Ebay, le célèbre site de vente aux enchères.

Parmi les sites en français, on retrouve Boostic - et sa page d'accueil qui nous fait penser que nous avons débusqué le téléachat du follower - acheter des followers (un .com et un .net) ou encore Autofollow.

Un aperçu de la page d'accueil de Boostic

Les "packs" les plus chers sont ceux de Boostic, qui nous propose 500 abonnés pour un peu plus de 100 dollars (99 euros) et encore, nous bénéficions de 50% de remise... Si les prix varient considérablement en fonction des offres, à environ 5 dollars l'abonné ces "packs" ressemblent à l'arnaque du siècle.

Les prix moyens vont en effet de quelques sous le follower, selon PegasusData.

Et avec ces tarifs, "un vendeur de faux abonnés peut gagner jusqu'à 600 euros par jour", nous apprend Wieland Alge.

Finalement, les offres les plus attractives sont les plus discrètes. On les déniche parmi les vendeurs d'Ebay dont parle Wieland Alge ou encore sur Fiverr, un site américain sur lequel les internautes proposent différents services au prix unique de 5 dollars.

C'est décidé, @Oeuf_Post achètera du follower premier prix.

25 000 followers pour 5 dollars

Après avoir testé une offre gratuite d'Autofollow nous faisant cadeau de 20 followers en échange d'un tweet de publicité sur notre compte...

... il est temps de passer à la vitesse supérieure.

Les offres les moins chères se trouvent incontestablement sur Fiverr. Pour 5 dollars (soit 3,80 euros), certains vendeurs proposent jusqu'à 30.000 followers. Pour notre compte @Oeuf_Post nous avons opté pour une très bonne affaire: 25 000 nouveaux abonnés livrés en quelques heures pour 5 dollars.

La vendeuse est américaine et se fait de l'argent de poche avec cette activité depuis 7 mois. Tout ce qu'elle demande à ses clients, c'est le nom de leur compte sur Twitter.

Un virement Paypal et quelques heures plus tard, @Oeuf_Post a reçu 25 000 nouveaux amis. Ils ont tous un prénom, un nom et une photo, mais ces derniers ne tweetent pas et n'ont pas rempli la biographie de leur profil. Lorsque l'on regarde notre liste d'abonnés de près, ces derniers ne font pas très "authentique" et, 8 jours plus tard, 3 000 d'entre eux ont déjà disparu... D'autres acheteurs ont perdu l'intégralité de leurs abonnés, alors pour moins de quatre euros, difficile de se plaindre.

Des grossistes aux quatre coins du monde

Si nous étions raisonnables, nos 20 000 followers pourraient amplement suffire, mais nous voulons également essayer les enchères sur Ebay.

Les prix sont plus élevés mais nos abonnés seront peut-être de meilleure qualité. Nous optons donc pour 20 000 nouveaux abonnés contre 29,90 euros.

Notre vendeur, Jonas, est allemand et se décrit comme un spécialiste du marketing sur Internet. Il précise qu'il est "revendeur" puisqu'il ne crée pas les comptes lui-même. En effet, Jonas achète plusieurs milliers de comptes à "des grossistes aux quatre coins du monde" et les distribue ensuite à ses clients. La partie "création" des comptes qu'il administre lui échappe un peu: "je suppose que mes grossistes utilisent des logiciels pour les créer", se hasarde-t-il.

Si les clients de Jonas (essentiellement des blogueurs ou des web-entrepreneurs) lui ont laissé d'excellentes notes sur Ebay, nous avons failli ne jamais voir la couleur de nos followers. Après 15 jours d'attente, le compteur d'@Oeuf_Post stagne et nous portons réclamation. Le vendeur nous explique alors que nos abonnés ont dû être supprimés par Twitter et propose de lui-même une nouvelle livraison plus généreuse encore.

L'évolution du nombre de followers sur le compte

Bilan: avec un budget de 42 dollars (33 euros), @Oeuf_Post compte plus de 50 000 followers. Pourtant, sur ce compte, on se sent rapidement seul...

Rien ne vaut les humains

Les followers que nous avons acheté sur Ebay font meilleure impression que les précédents puisqu'ils ont tous une biographie et, détail non négligeable, ils tweetent.

Mais en y regardant de plus près: ils ont des prénoms improbables, sont anglophones, hispanophones ou lusophones, prétendent travailler sur Internet ou dans le marketing, annoncent qu'ils s'abonneront aux comptes qui les suivent ("si tu me suis je te suis") et affichent leurs goûts avec banalité dans leurs quelques lignes de présentation (la description la plus courante étant "j'aime la musique").

Voici un nuage de mots réalisé à partir de leurs noms et biographies qui reflète ces tendances:

Nos followers suivent plusieurs milliers de comptes (en moyenne un faux compte suit 1799 personnes selon Barracuda Networks), mais ne répondent pas quand on les interpelle. Ils ne retweetent pas nos messages, et quand ce sont eux qui tweetent cela devient du grand n'importe quoi. Ils publient des phrases toutes faites, et ce, dans des langues différentes. Ils donnent également l'impression de s'être endormis sur leur clavier, enchaînant les "fleefefenelnfelfnkelkn" et autres néologismes de robots.

Les incohérences ne manquent pas: par exemple, comment une "coach" et "porte-parole" peut-elle avoir une photo de Justin Bieber pour avatar? Deux jours plus tard, ce même compte a changé de photo et de biographie pour devenir un "gourou du référencement de Toronto"...

Bref, nos faux followers ne nous ont pas coûté cher, mais ils ne servent à rien. Pour Jean-Claude Charrier, créateur du site Plug'n Geek qui a étudié la question: "ceux qui vendent ce type de services ont un discours marketing très bien rôdé fondé sur l'e-réputation de leurs clients. Ils partent du principe que plus on a de followers, plus on est une personne fiable sur le réseau. Mais ce qui compte, c'est la relation de l'utilisateur avec ses abonnés, (les retweets, les échanges, etc.), le reste est très superficiel."

Superficiel et risqué... "Si vous trichez et que ça s'ébruite, vous risquez d'être lynché", ajoute Jean-Claude Charrier. Un simple ratio nombre de tweets / nombre de followers, ou la date de création d'un compte Twitter permettent de voir si les chiffres sont crédibles. Et c'est sans compter les programmes qui repèrent les faux abonnés tels que l'outil de Status People.

En analysant les abonnés d'@Oeuf_Post, on voit bien qu'aucun d'entre eux n'est considéré comme "bon".

Et si on arrêtait de compter?

"Le nombre de followers reste un indicatif, mas c'est de moins en moins important, admet Jean-Claude Charrier. La twittosphère murit et les gens s'abonnent plus par intérêt que pour le nombre d'abonnés."

D'ailleurs fin septembre, Ev Williams, le cofondateur et l'ex-directeur général de Twitter, a suggéré de remplacer le nombre d'abonnés par un nouvel indice. Ev Williams souhaiterait prendre en compte "le nombre de personnes qui voient un tweet", par exemple. On peut également imaginer une mesure comptabilisant les abonnés ainsi que les interactions (retweets, favoris, discussions) avec les autres utilisateurs, soit un indice similaire au Klout.

Lancé en 2009, le Klout est un score "de référence" permettant de mesurer l'activité et l'influence d'un individu sur les principaux réseaux sociaux. En ce qui concerne Twitter, cet indice s'intéresse:

  • A l'audience liée au nombre d'abonnés/ de lecteurs actifs;
  • Au pouvoir d'amplification lié aux réactions de l'audience (les retweets);
  • A l'influence sur les membres du réseau.

Voilà pourquoi @Oeuf_Post a un indice Klout médiocre malgré ses 50 000 followers...

Un nouvel indice pourrait donc être la solution pour contrer l'expansion de ce marché noir. Alors, avant que Twitter ne supprime tous ses faux followers, @Oeuf_Post va devoir faire quelques efforts pour améliorer ses relations, et, face à 50.000 zombies, ça n'est pas gagné.

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.